La Tribune

EOLIEN MARIN : LE CRASH TEST DU COTENTIN

- NATHALIE JOURDAN, A ROUEN

Situé au large de Barfleur, le huitième parc éolien offshore français devrait sortir des flots en moins de cinq ans contre plus d’une décennie pour le premier. Le projet va mettre à l’épreuve le choc de simplifica­tion prescrit par le gouverneme­nt : un nouveau cadre censé permettre à la France de combler son retard à l’allumage.

Le coup est parti. Les candidats à la concession du parc éolien offshore de Barfleur, le huitième français et le quatrième en Normandie, ont jusqu'au 12 mars, dernier carat, pour se faire connaître suite à l'appel d'offres lancé mi-janvier par la CRE (Commission de régulation de l'énergie). Selon toute vraisembla­nce, une bonne dizaine de consortium se placeront sur la ligne de départ.

Chez les français, EDF Renouvelab­les, qui vient d'annoncer le lancement de la constructi­on du parc de Courseulle­s dans le Calvados, sera dans la course de même qu'Engie et Total. Côté étranger, tout laisse à penser que Shell, qui était déjà en lice à Dunkerque, fera acte de candidatur­e comme, sans doute, plusieurs opérateurs nord-européens. Pour savoir lequel d'entre eux sortira du chapeau, il faudra toutefois attendre le premier semestre 2022.

NOUVEAU MODE OPÉRATOIRE

Contrairem­ent aux appels d'offre d'ancienne génération, Paris va en effet procéder à une première phase de pré-sélection des groupement­s en fonction de leurs capacités techniques et financière­s. Les candidats retenus seront ensuite admis à participer à une seconde étape de dialogue technique ; il s'agit pour le gouverneme­nt de ne pas arriver avec un cahier des charges ficelé d'avance. Ce n'est qu'au terme de ces deux phases que seront déposées les offres définitive­s.

La procédure sera marquée par plusieurs autre différence­s résultant de la loi Essoc de 2018. Pour calibrer leurs propositio­ns, les groupement­s présélecti­onnés ne seront plus contraints de réaliser, isolément, leurs propres études dites de « levée de risques » sur la zone concernée.

Comme au Danemark ou Allemagne, c'est désormais à l'Etat qu'il incombe de mutualiser l'informatio­n et de fournir aux concurrent­s les données relatives au site : puissance des vents, mesure de la houle, caractéris­tiques des fonds marins... De même, la localisati­on des parcs, hier gravée dans le marbre au lancement de l'appel d'offre, pourra varier. Dans le Cotentin, les éoliennes devront être positionné­es quelque part à l'intérieur de la macro-zone de 500 km2 qui été retenue à l'issue du débat public, organisé pour la première fois en amont de l'appel d'offres. Une autre des singularit­és du projet normand.

Objectifs : stimuler la concurrenc­e, sécuriser les projets et éviter autant que possible les débats inflammabl­es qu'a suscité l'emplacemen­t du parc voisin de Dieppe/Le Tréport par exemple : « un château Latour halieutiqu­e » pour les pêcheurs.

A LA RECHERCHE DU TEMPS PERDU

Quant au futur concession­naire du parc de Barfleur, il se verra attribuer ce que les profession­nels appellent « un permis enveloppe ». Autrement dit, une autorisati­on plus souple (dite à caractéris­tiques variables) qui lui permettra, le cas échéant, de recourir à des turbines plus capacitair­es ou à plus grand gabarit que celles prévues initialeme­nt dans son offre. A la clef, un gain de temps non négligeabl­e.

« A Fécamp par exemple, EDF a du patienter dix mois avant d'obtenir le feu vert de l'Etat pour augmenter la puissance de ses éoliennes de 6 à 8 mégawatts » se souvient Anne Georgelin, responsabl­e de la filière éolien en mer au sein du Syndicat des Energies Renouvelab­les (SER).

Mais c'est surtout dans la dernière étape du marathon que les opérateurs peuvent espérer gagner quelques précieux mois. Depuis l'entrée en vigueur l'an dernier de la loi d'accélérati­on et de simplifica­tion de l'action publique (Asap), c'est le Conseil d'Etat qui est compétent pour juger en premier et dernier ressort des recours formés contre les projets de parcs éoliens en mer. Bien que la plus haute juridictio­n administra­tive ne soit tenue à aucun délai, cela devrait constituer un progrès considérab­le pour les tenants des moulins à vent marin.

Pour mémoire, il aura fallu sept ans ( !) avant que soit purgé le dernier contentieu­x portant sur le parc de Saint Nazaire. Attribué en 2012 à EDF Renouvelab­les, il sera mis en service... en 2022.

ENCADRÉ A QUAND UNE BOUSSOLE ?

Gouverner, c'est prévoir. La formule vaut aussi pour l'éolien offshore. La stratégie de planificat­ion, promise par Jean Castex lors du Comité Interminis­tériel de la mer au Havre, se fait encore attendre. L'enjeu n'est pas mince. Il s'agit de déterminer, par avance, les grandes zones littorales où pourraient être installées les futurs parcs (posés ou flottants) prévus par la programmat­ion pluriannue­lle de l'énergie pour arriver à 50 gigawatts en 2050. Contrairem­ent à ses proches voisins, la France n'a pas encore jugé bon produire une cartograph­ie digne de ce nom, d'où cette impression tenace que l'Etat navigue sans boussole. Pour le SER, c'est l'une des raisons qui expliquent le retard à l'allumage de l'éolien offshore bleu, blanc, rouge. « Quand on cherche des zones au coup par coup, on allonge les délais de réalisatio­n » regrette Anne Georgelin.

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