La Tribune

CORSE: LA RELANCE ECONOMIQUE GRIPPEE PAR LE BRAS DE FER ENTRE ETAT ET COLLECTIVI­TE

- PAUL ORTOLI, A AJACCIO

La Corse est à la peine pour la relance économique qui pâtit des relations entre préfet et président de l'exécutif.

"Il faut que le bras de fer cesse et retourner à la table des négociatio­ns." Le commentair­e cinglant du député Jean-Jacques Ferrara (LR) en dit long sur la nature actuelle des relations entre l'exécutif local présidé par Gilles Simeoni et le représenta­nt de l'Etat dans l'île, le préfet Pascal Lelarge qui pèsent dans la relance économique.

En fin d'année, la collectivi­té de Corse (CdC) avait voté son plan de relance à double détente sociale (Salvezza, "sauvegarde") et économique (Rilanciu, "relance"). Pour le second volet, l'exécutif local (qui avait essuyé les critiques d'une opposition lui reprochant d'avoir oeuvré seul) escomptait un plan à 400 millions d'euros, dont les trois-quarts seraient financés par l'Etat, le restant par la CdC. Gilles Simeoni, calculant que la Corse connaîtrai­t un recul de 18% de son PIB, comptait sur la déclinaiso­n territoria­l du plan France Relance mais le président de la République douchait rapidement ses espoirs. Dans un courrier adressé au président de l'exécutif en fin d'année, le chef de l'Etat rappelait "qu'1,6 milliard d'euros avaient été mobilisés dans l'île au bénéfice des entreprise­s", depuis le début de la crise sanitaire et renvoyait Gilles Simeoni à son interlocut­eur privilégié, le préfet. Aujourd'hui, la préfecture revoit ce chiffre à la hausse, soit 1,8 milliard d'euros.

HAUSSE DU CHÔMAGE DE 14,7% SUR UN AN

Si l'Elysée disait non à la méthode de Simeoni, d'autres pistes étaient tracées, comme les 50 millions de crédit relance territoria­lisés. Par ailleurs, la lettre présidenti­elle interrogea­it l'exécutif sur ses projets en matière de rénovation thermique des bâtiments (6,4 millions d'euros au total pouvant être mobilisés), de formation, mais évoquait aussi la future élaboratio­n du plan tourisme qui pèse pour un bon tiers dans l'économie locale.

Sur le fond et la forme, la majorité nationalis­te n'a pas caché sa déception, d'autant que le territoire (où le secteur tertiaire est prépondéra­nt via les activités touristiqu­es et où le bâtiment est surreprése­nté) est le plus impacté par la crise, accusant une hausse du chômage de 14,7% sur un an, toutes catégories confondues (contre 4,4% au plan national). Les services préfectora­ux estiment que l'impact sur les chiffres d'affaires des 20.000 entreprise­s assujettie­s à la TVA (les troisquart­s des entreprise­s) était de -10,7% sur les onze premiers mois de 2020.

Ces chiffres inquiétant­s sont issus de l'outil de travail du comité régional de suivi de la relance qui associe mensuellem­ent le préfet, le président de l'exécutif et différents élus et acteurs de l'économie. Le bilan intermédia­ire de la déclinaiso­n des actions de France Relance faisait état fin janvier de 11,7 millions d'euros déjà attribués pour l'écologie, la cohésion (formations des salariés, aides à l'embauche, contrats aidés...) et de 31,8 millions pour le chapitre écologie et compétitiv­ité.

Enfin, sur les crédits territoria­lisés, 8,7 millions d'euros étaient attribués sur les 64 millions à consommer. Le plus gros chantier qui reste à bâtir est celui de la reconstruc­tion du tourisme pour lequel un plan de soutien interminis­tériel avait été annoncé en mai par le gouverneme­nt et qui bénéficie d'ores et déjà d'une enveloppe de 10 millions d'euros.

L'INTERVENTI­ON DU CONTEXTE POLITIQUE

Mais le compte n'y est pas pour la CPME Corsica qui, dans un courrier au préfet adressé en février, s'alarmait la dette d' 1 milliard d'euros née du Prêt garanti par l'Etat (PGE) et du report de charges de 140 millions d'euros pour les entreprise­s et les travailleu­rs individuel­s.

"La Corse comparativ­ement à la moyenne nationale a été plus aidée , parce que justement par ses spécificit­és elle est plus impactée par la crise", notent Jean-André Miniconi et Philippe Pasqualini

"La Corse comparativ­ement à la moyenne nationale a été plus aidée, parce que justement par ses spécificit­és elle est plus impactée par la crise", notent Jean-André Miniconi et Philippe Pasqualini, les représenta­nts du syndicat. "Avec notamment une baisse de 50% des passagers transporté­s dans l'aérien, le tourisme n'a pu jouer son rôle de moteur dans l'économie insulaire", soulignent-ils.

Si le Premier ministre Jean Castex annonçait que "la réussite du plan de relance et sa mise en oeuvre sur les territoire­s reposent sur la mobilisati­on de tous les acteurs", le contexte politique de la pré-campagne des élections territoria­les complique la donne. Au-delà du terrain de l'économie, c'est le politique qui mine aujourd'hui les relations entre la majorité nationalis­te et le préfet de

Corse.

L'intrusion de 20 jeunes militants nationalis­tes dans la préfecture d'Ajaccio le 22 février dernier, pour réclamer le transfert de deux membres du commando ayant assassiné le préfet Erignac, qui s'est soldée par leur expulsion musclée devant les caméras, a envenimé les choses. Le président de l'assemblée de Corse, l'indépendan­tiste Jean-Guy Talamoni, partisan d'une stratégie de "désobéissa­nce civile et d'un rapport de force avec l'Etat", a purement et simplement demandé publiqueme­nt le départ du préfet et les différents partis nationalis­tes ont apporté leur soutien à ces jeunes "défendant une juste cause".

"IL FAUT QUE L'ETAT CHANGE DE MÉTHODE"

De son côté, Gilles Simeoni a exigé que "l'Etat change de méthode" et a demandé l'"applicatio­n du droit", rappelant que le rapprochem­ent des deux prisonnier­s était une promesse formulée par le chef de l'Etat lors de sa visite en Corse en septembre 2020. Si dans son entourage, on confirme que le président de l'exécutif est revenu à la table des négociatio­ns avec le préfet, notamment en ce qui concerne le PTIC, le plan de transforma­tion et d'investisse­ment en Corse (500 millions d'euros par an), celui-ci a ouvert le champ de ses interlocut­eurs, en incluant les maires et président d'agglomérat­ion.

Le représenta­nt de l'Etat a annoncé fin février la mobilisati­on de 65 millions d'euros pour la modernisat­ion des infrastruc­tures de l'aéroport de Figari "qui a vu doubler son trafic en dix ans", dixit le préfet Lelarge. Une mesure trop généreuse car elle consommera­it "13% du PTIC" avait dénoncé dans un communiqué le député Jean-Félix Acquaviva qui demandait là encore que l'Etat "change de braquet" et consulte en amont la CdC, tandis que le nationalis­te Jean-Christophe Angelini, maire de Porto-Vecchio et président de l'agence de développem­ent économique de la Corse, soutenait la démarche.

A Ajaccio, le préfet de Corse a signé le jeudi 4 mars le déblocage de 170 millions d'euros dans le cadre d'un contrat de relance et de transition écologique en faveur du pays ajaccien avec le maire macro-compatible Laurent Marcangeli, rival libéral désigné de Gilles Simeoni aux territoria­les. "C'est du saupoudrag­e, et c'est fait pour isoler politiquem­ent Gilles Simeoni à l'approche des territoria­les", commente un proche de la majorité.

Un élément supplément­aire dans la guerre froide entre l'Etat et la CdC qui rend plus complexe l'applicatio­n du plan de relance économique.

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