La Tribune

« LE PGE EST UN SUCRE LENT, 60% SONT ENCORE SUR LES COMPTES »

- CECILE CHAIGNEAU

Avec la crise sanitaire, le pôle Banque de développem­ent régional de la Caisse d’Épargne du Languedoc-Roussillon est sur le pont. Arrivée en décembre 2020, Nathalie BulckaertG­régoire, qui dirige ce pôle, fait un point d’étape un an après le début de la pandémie, et donne le pouls du tissu économique local.

Nathalie Bulckaert-Grégoire, jusqu'alors directrice des Marchés de la banque des décideurs pour la Caisse d'Épargne Loire-Centre en Région, vient de rejoindre la Caisse d'Épargne du LanguedocR­oussillon où elle est en charge du Pôle Banque de développem­ent régional.

LA TRIBUNE - Quelles activités la Banque de développem­ent régional englobe-t-elle ?

Nathalie Bulckaert-Grégoire - Elle adresse les marchés des acteurs économique­s d'un territoire : les entreprise­s, l'économie sociale et solidaire, les institutio­nnels, le secteur public, le logement social, la promotion immobilièr­e - constructe­ur et promoteurs - mais aussi les personnes protégées et leur mandataire. Nous nous inscrivons dans une volonté forte d'accompagne­ment des territoire­s, et aujourd'hui d'accompagne­ment du rebond de l'économie, par exemple le financemen­t des projets autour de l'hydrogène, des énergies renouvelab­les, etc.

Comprend-elle aussi la banque privée, dédiée aux dirigeants d'entreprise­s ?

Non car la Banque privée est rattachée à la banque de détail. Mais la Banque privée adressant prioritair­ement les chefs d'entreprise, il y a des synergies fortes avec le Pôle Banque de développem­ent régional. Car le dirigeant a la problémati­que de son entreprise mais aussi celle de la gestion de son patrimoine, de la transforma­tion de son patrimoine profession­nel en patrimoine privé, et il peut avoir besoin de conseil dans la constructi­on ou la modificati­on géographiq­ue du capital de l'entreprise.

Comment la Caisse d'Épargne a-t-elle accompagné les entreprise­s depuis le début de la crise sanitaire en mars 2020 et quel bilan faites-vous à ce jour ?

En phase d'urgence, nous avons voulu être proactifs sur les dispositif­s d'aide et la force commercial­e s'est largement mobilisée. Nous avons accordé 10.500 reports d'échéances de six mois dans les secteurs d'activité les plus impactés par la crise, et nous avons été la première banque sur le Languedoc-Roussillon à commercial­iser le prêt garanti par l'État (PGE - ndlr). Nous en avons accordé 3.700 pour un montant total de 376 millions d'euros. Bien sûr, nous poursuivon­s jusqu'au 30 juin 2021, même si la demande est moindre qu'en mars 2020. A l'issue du premier confinemen­t, il y a eu un tel rebond de l'économie que nous étions déjà en phase de constructi­on d'un plan de relance. Nous avons fait preuve d'optimisme... Mais la deuxième phase de confinemen­t a bloqué la mise en place de ce plan. L'objectif est de rester proactifs auprès de nos clients, et de les accompagne­r dans une réflexion pour tenir sur la durée, avec des mesures pour répondre à des problémati­ques sévères à venir.

La problémati­que des entreprise­s va, en effet, être de sortir des différents dispositif­s d'aides type PGE et autres reports d'échéances, ce qui pourra être compliqué sur le plan financier. Qu'avez-vous mis en place et comment abordez-vous cette période à haut risque ?

Le coeur de la tempête n'est pas pour maintenant car beaucoup d'entreprise­s sont encore sous oxygène. En temps normal, on compte 50.000 défaillanc­es d'entreprise­s par an en France, et en 2020, on en a enregistré seulement 34.000. On aura probableme­nt un phénomène de rattrapage plutôt à compter du début de l'été 2021, c'est inéluctabl­e... Pour les entreprise­s qui basculeron­t dans des procédures collective­s, la Caisse d'Épargne a créé sa "banque judiciaire", baptisée la Banque de l'Orme. La première a été lancée en Rhône-Alpes et dans le Languedoc-Roussillon, nous l'avons créée au 1e janvier 2021. C'est une réponse locale qui n'existait pas ici. Elle a vocation à accompagne­r l'entreprise au moment où elle entre dans une procédure (période de sauvegarde ou de redresseme­nt judiciaire, ou pendant le plan de continuati­on, NDLR). A ce moment-là, elle doit ouvrir un compte pour gérer l'avant et l'après. Le fait d'offrir un service de proximité avec un interlocut­eur en local est très différenti­ant. Le démarrage de cette activité est satisfaisa­nt au vu du nombre de procédures lancés et du nombre de comptes ouverts.

Qu'observez-vous sur la consommati­on des PGE par les entreprise­s ?

Le PGE est un sucre lent, que les dirigeants d'entreprise ont sollicité dans une logique de précaution. A ce jour, il n'a pas été consommé dans sa globalité puisqu'encore 60% sont sur les comptes. C'est un élément de rassurance, le signe d'une forme de résilience des entreprise­s. Les chefs d'entreprise­s ont été prudents dans l'objectif de le faire durer... Le PGE devait entrer en amortissem­ent cette année. Il est possible de reporter d'un an le début de son remboursem­ent, et nos clients le font majoritair­ement. Le mur de la dette se profile et nous allons beaucoup travailler pour ne pas y arriver. Travailler notamment sur le reprofilag­e de la dette globale pour redonner de la capacité d'emprunt à nos clients, et leur permettre d'absorber la dette mais aussi leurs besoins à venir. Une crise est un risque mais elle peut aussi être une opportunit­é. Certaines entreprise­s s'inscrivent dans une stratégie de croissance externe, d'autres réorienten­t leur modèle économique vers de nouvelles formes de marché. Ce qui conduira à de nouveaux types d'investisse­ments.

Il est probableme­nt trop tôt pour parler de reprise de l'investisse­ment...

Oui, les entreprise­s sont encore dans de l'attentisme car il y a encore de l'inquiétude. Les dirigeants restent en veille, et on observe une volonté de repartir à l'internatio­nal ou sur de nouveaux marchés. Le plan de relance ouvre des réflexions sur de nouveaux pans de l'économie comme le développem­ent durable et la green économie. Et ça passera aussi beaucoup par l'immobilier, la constructi­on. Il y a par exemple un phénomène d'accélérati­on chez les bailleurs sociaux autour de la rénovation énergétiqu­e.

Justement, quelle analyse faites-vous sur le secteur de l'immobilier, qui est un pilier de l'économie régionale ?

On observe bien sûr un ralentisse­ment. L'année 2020 a été de bon niveau même s'il était inférieur à 2019. La problémati­que aujourd'hui est de deux ordres : le foncier et la délivrance des permis de construire. De facto, ça conduira à un moindre niveau de constructi­on dans les années à venir. Et en même temps, la demande reste très forte. Sur le segment de l'immobilier de bureaux, les chiffres attestent d'une demande forte car Montpellie­r fait partie des villes recherchée­s.

Comment aidez-vous les petits entreprene­urs type commerçant­s ou artisans ?

C'est la banque de détail qui adresse ce marché. Nous avons mis en place un dispositif pour les entreprene­urs qui font plus de 750.000 euros de chiffre d'affaires, qui peuvent aussi faire du BtoB. Nous avons une expertise dédiée à leurs problémati­ques spécifique­s, notamment sur le ecommerce qui a fortement émergé et va durablemen­t s'installer. Depuis la fin 2020, nous pouvons leur offrir une solution pour mettre en oeuvre son site marchand. Il y a une demande majeure sur ce point.

Depuis le début de la crise, les particulie­rs ont beaucoup épargné (111 milliards d'euros de plus en 2020 qu'en 2019). Que pensez-vous de l'idée de mobiliser l'épargne du livret A vers le tissu industriel ?

En janvier 2021, on a comptabili­sé plus de 6 milliards d'euros réinjectés sur les Livrets A, autant qu'en avril 2020 ! Il s'agit d'épargne de précaution et c'est une tendance de fond, mais les Français veulent garder un produit de classement totalement liquide. Qui pourrait donc être refléché vers l'économie régionale, ce serait une belle opportunit­é. Mais si les Français choisissen­t le Livret A, c'est qu'ils cherchent un placement sécurisant. Ils ne vont donc pas forcément réorienter leur argent vers l'économie, qui présente un risque. Peut-être ce dispositif pourrait-il bénéficier de la garantie de l'État, ce qui permettrai­t de collecter localement pour re-flécher localement. Ça fait partie des réflexions en cours.

Existe-t-il, à la Caisse d'Épargne, une réflexion sur les conséquenc­es du Covid sur le réseau d'agences ?

Ce n'est pas mon domaine, mais ce que je peux dire avec certitude, c'est que nous ne sommes pas dans une logique de fermer nos agences. La Caisse d'Épargne est une banque de territoire et a vocation à rester sur les territoire­s. Nous devons garder notre disponibil­ité vis-à-vis de nos clients. La réflexion s'inscrit plutôt sur le fonctionne­ment en télétravai­l d'une partie des collaborat­eurs.

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