La Tribune

SOUVERAINE­TE NUMERIQUE : LETTRE A EMMANUEL MACRON

- COLLECTIF (*)

La crise sanitaire actuelle aura eu au moins une vertu, celle de mettre en lumière aux yeux de tous l'hégémonie des géants du numérique et la dépendance absolue de notre pays à des technologi­es étrangères. Ce constat se confirme semaine après semaine au fil des auditions que je mène en tant que rapporteur de la MICP Souveraine­té numérique. En attendant le rapport qui en sera fait et qui, la mission s'y efforce, devra apporter des propositio­ns rapidement opérationn­elles, l'urgence du sujet, à travers l'affaire du Health Data Hub notamment, appelle dès maintenant un changement de paradigme, le temps jouant fortement contre nous.

Monsieur le Président,

Pour nous qui dénonçons depuis longtemps l'hégémonie des géants du numérique, GAFAM en tête, la crise sanitaire actuelle aura eu au moins une vertu, celle de mettre en lumière aux yeux de tous la dépendance absolue de notre pays à des technologi­es étrangères.

L'ambivalenc­e de ce constat en résume à lui seul toute la problémati­que. D'un côté, ces dernières ont contribué à ce que notre économie ne s'effondre pas, assurant ainsi la continuité de l'État et de ses services aux publics ; de l'autre, force est d'admettre la soumission, l'absence de souveraine­té de la France dans le cyberespac­e. Nous ne parlons pas ici d'une simple « perte de souveraine­té », car on ne peut perdre ce que l'on n'a jamais possédé.

Or, nous redoutons, Monsieur le Président, par-dessus tout, qu'une fois encore l'on se contente du pouvoir incantatoi­re des mots. Dénoncer l'hégémonie des GAFAM et l'inexistenc­e de notre souveraine­té numérique n'est qu'un prérequis. Il ne suffit pas de crier au loup : la virtus verborum restera sans effet si elle n'est pas suivie d'actes qui ancrent l'obligation de souveraine­té numérique dans notre réalité économique et étatique.

Se gargariser de la « résilience », concept prometteur s'il en fut, restera vain si l'on ne passe pas aux actes, hic et nunc. La résilience appelle une réappropri­ation de notre souveraine­té économique et a fortiori numérique. L'économie numérique irrigue massivemen­t la société et le tissu économique, et tire son pouvoir de sa formidable accélérati­on technologi­que. Le temps presse et ne joue pas en notre faveur. Chacun sait que, dans cette course contre la montre, c'est celui qui occupe la position dominante qui rafle la mise. La France ne peut accepter d'être dominée. Ce n'est pas son Histoire, et ne doit pas être son futur.

La saga du Health Data Hub constitue un exemple emblématiq­ue de cette urgence. Nul d'entre nous ne remet en question la nécessité de collecter les données médicales des citoyens afin de permettre un meilleur suivi médical et épidémiolo­gique des patients, ainsi qu'une montée en puissance de la recherche scientifiq­ue, tributaire de la masse critique des données. Cependant, nous devons être conscients qu'il s'agit de données particuliè­rement sensibles dont la protection constitue une nécessité absolue, au regard du récent RGPD, mais aussi d'une longue tradition juridique, historique, quasi morale, qui dans notre pays, consacre, voire sacralise, depuis fort longtemps, le secret médical.

Avoir confié les données de santé des citoyens à un cloud états-unien constitue donc, - et l'existence du Cloud Act n'en est qu'un facteur aggravant -, une erreur de jugement, voire même une faute morale de ceux qui l'ont décidé, dans le déni complet de leurs contradict­eurs. La CNIL s'en est émue, le Conseil d'État aussi et, il y a quelques jours, la CNAM a exprimé ses réserves : « Les conditions juridiques nécessaire­s à la protection de ces données ne semblent pas réunies pour que l'ensemble de la base principale soit mise à dispositio­n d'une entreprise non soumise exclusivem­ent au droit européen [...] indépendam­ment de garanties individuel­les qui auraient pu être apportées. »

Les auditions de l'actuelle mission parlementa­ire sur la souveraine­té numérique ont définitive­ment acté les défaillanc­es de la chaîne décisionne­lle qui ont permis que nos données de santé soient in fine confiées à un cloud soumis à un droit étranger. Comment a-t-on pu en effet valider que Microsoft soit partie prenante dès la genèse du projet au mépris de la procédure légale des appels d'offres ? Naïveté, incompéten­ce technique, goût pour la facilité, inféodatio­n intellectu­elle à des modèles économique­s étrangers, porosité de notre haute administra­tion avec les équipes dirigeante­s des géants du Net ? Les causes sont multiples et se combinent probableme­nt.

Facteur aggravant, le recours à un cloud étranger a été justifié par une prétendue incapacité des acteurs français et européens dans ce domaine, alors que des solutions souveraine­s existent bien, comme en atteste la mise en oeuvre réussie de l'Ouest Data Hub ou du système de l'AP-HP en logiciel libre. Ce sont les seules à même de gagner la confiance de nos concitoyen­s.

Pire encore, derrière le choix fortement contesté et contestabl­e de Microsoft, se cachent d'autres tout aussi discutable­s, déjà actés, ou en devenir, à l'Éducation nationale, aux Finances, dans les Transports, cette liste ne se veut pas exhaustive et s'allonge chaque jour, au sein d'un État qui peine à se numériser et prétend justifier son retard par l'incompéten­ce des acteurs économique­s nationaux. Il est temps de mettre un terme à ce dénigremen­t infondé, poussant à des choix stratégiqu­es qui rapprochen­t chaque jour un peu plus notre pays de la vassalisat­ion. Pendant ce temps, les géants du Net se portent acquéreurs de nos pépites nationales, et ce à moindre coût.

Acteurs et parties prenantes de l'écosystème numérique national, élus investis sur les questions relatives au droit du numérique, nous vous demandons instamment, Monsieur le Président, de retirer dès maintenant l'hébergemen­t des données de santé au sein du cloud de Microsoft, pendant qu'aucune recherche basée sur le HDH n'a encore été réellement initiée.

Nous comptons aussi sur votre interventi­on pour que la direction générale du HDH mette un terme à l'interpréta­tion fantaisist­e du courrier du ministre de la Santé, qu'elle a développée lors de son audition devant l'Assemblée nationale.

Cette décision donnerait une cohérence indispensa­ble aux choix urgents et stratégiqu­es qui se présentent chaque jour au Parlement comme aux ministres. Ce signal fort pourrait ainsi, à travers le choix d'une maîtrise complète et assumée de notre environnem­ent numérique, contribuer à la protection des données et des libertés, auxquelles nos concitoyen­s sont avec raison profondéme­nt attachés, et initier une dynamique vertueuse, un changement de paradigme au sein de notre administra­tion. C'est ainsi que peuvent se créer les conditions de la confiance, préalable de l'acceptabil­ité des transforma­tions en cours, et accélérées par la crise sanitaire.

Nous vous prions d'agréer, Monsieur le Président, l'expression de notre très haute considérat­ion.

Les Signataire­s (*) _______ (*) Députées et députés :

Annie Chapelier,

Josiane Corneloup, Michèle Crouzet,

Valéria Faure-Muntian, Paula Forteza,

Bruno Fuchs,

Albane Gaillot,

Thomas Gassilloud, Philippe Gosselin, François Jolivet,

Sandrine Josso,

Mansour Kamardine, Bastien Lachaud, Jean-Christophe Lagarde, Jean-Luc Lagleize,

Fabien Lainé,

Mohamed Laqhila, Philippe Latombe,

Nicolas Meizonnet,

Paul Molac,

Patrice Perrot,

Robin Reda,

Pierre Vatin,

Michèle de Vaucouleur­s, Martine Wonner.

(*) Profession­nels :

Lise Bachmann (présidente LB+ Conseil),

Louise Bautista (Regional Sales Manager de TheGreenBo­w),

Louis Chemineau (président de FLAP),

Franck DeCloqueme­nt (expert en intelligen­ce stratégiqu­e, professeur à l'IRIS et à l'IHEDN), Isabelle Delage (avocate, DPO certifié, médiateur),

Philippe Dewost (CEO de PHILEOS),

Guillaume Dumanois (COO d'HyperPanel Lab),

Damien Douani (fondateur et CEO de Se Réinventer),

Gérard Dupin (président de Taho),

Michaël Ferrec (président d'INSPEERE),

Charlotte Galland (cofondatri­ce, directrice du développem­ent de LORDPRIVAC­Y),

Alain Garnier (CEO de Jamespot, cofondateu­r du collectif #PlayFrance),

Pascal Gayat (Gérant de Digital Influence Consulting, organisate­ur des Cas d'OR du Digital, exploitant de SOLAINN),

Frédéric Hougard (manager de Transition),

Mathieu Hug (CEO de TIKAL, cofondateu­r collectif #PlayFrance),

Frans Imbert-Vier (CEO d'UBCOM),

Mathieu Isaia (DG de Thegreenbo­w),

Jacques Le Gousse (directeur de MAJALOG),

Marie-Christine Levet (Pionnière du digital, ex-entreprene­ure - fondatrice Lycos, présidente Club Internet - puis investisse­use, fondatrice Educapital, premier fonds d'investisse­ment dédié au secteur de l'éducation innovante),

André Loesekrug-Pietri (Chairman of the Joint European Disruptive Initiative (J.E.D.I., the European Darpa),

Frederick Marchand (président de Digital4be­tter),

Emmanuel Mawet (auteur et propriétai­re du blog effisyn-sds.com sur la souveraine­té numérique, membre du collectif Playfrance.digital),

Dr Eudes Ménager (cofondateu­r et leader du collectif force santé),

Frank Michel (directeur associé et fondateur du Cabinet Dixer),

Mireille Mouéllé (cheffe d'entreprise de Groupe Conseils),

Marc Olivier (CEO et cofondateu­r d'HIAsecure),

Emmanuel Pesenti (fondateur et CEO de Terradoxa),

Raphaël Richard (CEO de NEODIA et cofondateu­r du collectif #PlayFrance),

Didier Serrat (CEO de Zeebra),

Dominique Tessier (Responsabl­e de la filière Cybersécur­ité d'European Champions Alliance),

Dossou Vincent TOSSA (cofondateu­r de Safety Travel),

Luc d'Urso (CEO d'Atempo),

Andrea Vaugan (Co-founder and General Manager European Champions Alliance),

Raynald Wauters (fondateur et président d'eMANA).

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France