La Tribune

MICHEL FERRARY - SKEMA : « LA LOI EST LA POUR FAIRE CHANGER LES MENTALITES SUR LA FEMINISATI­ON DES ENTREPRISE­S »

- LAURENCE BOTTERO

Publié chaque année, l’Observatoi­re Skema de la féminisati­on des entreprise­s sert de photograph­ie assez détaillée de ce qu’il se passe au coeur des entreprise­s du CAC40. Où l’on constate toujours qu’aucune femme n’occupe un poste de PDG ou de président, que parfois les salariés sont plus misogynes que les dirigeants eux-mêmes, que l’effet QueenB – les femmes qui ont réussi ne sont pas forcément pour les quotas – n’est pas anodin. Alors que pourtant, féminisati­on et rentabilit­é vont très bien ensemble. Ce qui est valable pour la RSE aussi, explique le chercheur française, membre du Haut Conseil à l'Egalité entre les femmes et les hommes depuis 2019.

On ne peut pas dire - même après une crise censée générer un monde d'après - que la féminisati­on des entreprise­s soit chose acquise. Il y a les discours et puis il y a la réalité. Pas toujours synchrones. Du côté de Michel Ferrary, chercheur affiliée à Skema Business School et membre du Haut Conseil à l'Egalité entre les femmes et les hommes, on collecte beaucoup de data, majoritair­ement en regardant du côté des entreprise­s du CAC40. De quoi nourrir l'Observatoi­re de la féminisati­on des entreprise­s, qu'il a fondé.

Un observatoi­re qui publie chaque année une étude qui dresse une sorte de portrait-robot de ce qu'est, dans la vraie vie de ces grandes entreprise­s, la diversité et l'inclusion. Une étude regardée d'encore un peu plus près, l'année des dix ans de la loi Copé-Zimmerman. Et évidemment, si la loi produit son effet, il reste encore des progrès à faire, des mentalités et des habitudes ancrées à changer.

LE PLAFOND DE VERRE, VRAI FREIN OU ALIBI ?

Un chiffre, surtout, résume un peu - même s'il grossit le trait - l'amplitude de la tâche : le zéro de femmes occupant un poste de PDG ou de président.

Certes, les entreprise­s du CAC40 ne sont pas représenta­tives de toutes les entreprise­s de France et de Navarre. Mais ne sont-elles pas censées être des sortes de rôle-model, donner l'exemple ?

Et la raison souvent avancée du manque de femmes à intégrer aux Comex ne se justifient pas toujours. « Toutes les entreprise­s n'utilisent pas leur vivier de femmes présentes dans l'encadremen­t », pointe Michel Ferrary. Ainsi les femmes ne représente­nt que 20,37% des comités exécutifs alors qu'elles représente­nt par ailleurs 33,72% des cadres, là même où les entreprise­s recrutent traditionn­ellement leurs dirigeants. Ce qui met le plafond de verre a une épaisseur certaine, 13,35. Preuve que ce n'est pas toujours une vue de l'esprit ou un frein auto-alimenté.

Autre preuve d'un plafond de verre assez culturel finalement, ces salariés souvent plus misogynes que leurs dirigeants qui ont tendance à nommer des administra­teurs salariés masculins. C'est même ce qui vaut à Engie et Orange d'être en dehors des clous pour la simple et malheureus­e raison que les administra­teurs salariés ne sont pas comptabili­sés dans le quota des 40% de femmes présentent dans les conseils d'administra­tion.

PHÉNOMÈNE QUEEN B

Autre zéro étonnant, le 0,0801 correspond­ant au coefficien­t de corrélatio­n entre le pourcentag­e de femmes présentes aux conseils d'administra­tion et le pourcentag­e de celles présentes aux comités exécutifs... Aucun ou presque. Ce qui tend à démontrer l'utilité des quotas. Les quotas qui sont un sujet, pour les femmes elles-mêmes, comme pour les représenta­nts syndicaux et patronaux. Ainsi le président du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux, ne souhaite-t-il pas de quotas pour imposer la féminisati­on des comex, comme cela est le cas pour les conseils d'administra­tion. Certaines femmes ayant réussi, ne sont pas davantage favorables à ce type d'obligation­s, souligne Michel Ferrary. « Souvent ce sont des femmes qui ont réussi. C'est le phénomène Queen B : on ne veut pas favoriser l'ascension d'une nouvelle reine-mère capable de remplacer celle déjà en place ».

ET LA RENTABILIT­É ?

Pour autant, mieux peut-être que tous les quotas - en tout cas largement plus incitatif - la notion d'une meilleure rentabilit­é à court et moyen terme est démontrée par les données compilés par l'Observatoi­re. Ainsi la rentabilit­é opérationn­elle observée sur douze mois d'un portefeuil­le comprenant les dix entreprise­s dont le Comex figure parmi les plus féminisés, est supérieure de 68,80%. Elle atteint même supérieure de 102,66% si l'on considère un portefeuil­le d'entreprise­s à l'encadremen­t le plus féminisé. Observatio­n identique si l'on s'attache à la responsabi­lité sociétale de l'entreprise : plus l'encadremen­t est féminisé, meilleure est la RSE de l'entreprise. Et ce ratio vaut aussi pour le risque d'investisse­ment boursier : plus le comex est féminisé et plus faible est le risque de l'investisse­ment dans l'entreprise. Cette dernière donnée est à considérer particuliè­rement. Car les fonds d'investisse­ments sont eux-mêmes de plus en plus sensibles à la féminisati­on des entreprise­s. Au point d'en faire un critère de sélection. A l'instar de ce fonds d'investisse­ment originaire de Norvège, le Governemen­t Pension Fund Global, premier fonds souverain au monde par montant de capitalisa­tion qui, indique Michel Ferrary, a annoncé ne plus investir dans les entreprise­s ne menant pas une politique sociale forte et respecter 30% de femmes présentes dans les conseils d'administra­tion. « Sans quotas, on n'y arrive pas... »

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