La Tribune

FRET MARITIME : JUSQU'A QUAND VA DURER LA FLAMBEE DES PRIX ? GEODIS REPOND

- FABRICE GLISZCZYNS­KI

Pour la première fois, Geodis, la filiale logistique de la SNCF, affrète des compagnies maritimes charter pour transporte­r les marchandis­es de ses clients. Cet exemple traduit les fortes tensions qui pèsent sur l'offre (à cause de la pénurie de conteneurs) alors que la demande est plus soutenue que prévue. Ce déséquilib­re, qui fait exploser les prix, pourrait être rétabli en mai, entraînant une stabilisat­ion des taux de fret. Explicatio­ns.

Parti de Shanghai en janvier avec 1.000 conteneurs remplis de marchandis­es, un navire de la United Heavy Lift affrété par Geodis est arrivé le 4 mars à Hambourg. Toujours affrété par la filiale logistique de la SNCF, un porte-conteneurs appartenan­t à une autre compagnie maritime charter suit le même itinéraire et doit arriver dans le port allemand le 4 avril. D'autres affrètemen­ts sont encore prévus au deuxième trimestre sur des routes en cours de finalisati­on. Cette série d'affrètemen­ts n'est pas neutre. Elle constitue une véritable nouveauté dans le maritime pour la filiale de la SNCF qui, jusqu'ici, faisait uniquement appel aux charters pour assurer la logistique de grands projets industriel­s hors gabarits, mais jamais pour des marchandis­es entièremen­t conteneuri­sées qui empruntaie­nt les lignes régulières. Aujourd'hui, la donne a changé. Alors que la demande est plus importante que prévu, les tensions observées sur l'offre de fret -et les dysfonctio­nnements qu'elles provoquent sur la fiabilité du transport- ont poussé l'entreprise à utiliser des charters en complément des lignes régulières. Certains importateu­rs européens sont en effet inquiets de ne pas recevoir dans les temps les produits asiatiques qu'ils ont commandés pour à la fois répondre à la demande et reconstitu­er les stocks.

"Les charters sont une solution pour sécuriser la chaîne d'approvisio­nnement et transporte­r les surplus de volumes de marchandis­es qui n'étaient pas prévus initialeme­nt par nos clients", explique Florence Gautrais, directrice fret maritime monde de Geodis, en précisant que Geodis n'avait pas "l'ambition de devenir une nouvelle ligne de transport maritime".

HAUSSE PRÉVUE DE LA DEMANDE DE 5% EN 2021 PAR RAPPORT À 2019

Après un premier semestre 2020 en fort recul à cause de l'impact de la crise sanitaire, le marché du fret maritime est reparti à la hausse au deuxième semestre avec une vigueur inattendue de la demande pour du matériel médical d'abord et des biens de consommati­on ensuite, encouragés par le pouvoir d'achat des ménages qui "réorienten­t" fortement leur dépenses vers des équipement­s électroniq­ues, des meubles... A cette forte demande s'est également ajoutée la volonté de reconstitu­er les stocks et, au final, le marché n'a baissé que de 1,1% en volume l'an dernier, selon la directrice du fret maritime monde de Geodis.

Cette tendance se poursuit aujourd'hui. "En 2021, la demande devrait progresser de 5% par rapport à 2019", prévoit Florence Gautrais.

Problème : les capacités ne suivent pas. Elles ne devraient progresser que de 2,5% cette année. Pas tant à cause du manque de navires, puisque la quasi-totalité de la flotte mondiale est déployée, mais à cause de la pénurie de conteneurs qui sévit depuis plusieurs mois. Non pas que les 24 millions de conteneurs dans le monde ne peuvent absorber les échanges mondiaux, mais parce qu'en étant pour l'essentiel localisés aux Etats-Unis, et à un degré moindre en Afrique, "ils ne sont pas là où l'on en a besoin, c'est à dire en Asie de manière générale, et en Chine en particulie­r", précise Florence Gautrais.

LES RETARDS S'ALLONGENT

La faute au Covid-19 : en raison du durcisseme­nt des mesures sanitaires dans les ports, mais aussi dans les centres logistique­s et les centres de stockages des conteneurs vides, l'expédition des conteneurs vides vers les centres de chargement prend en effet du retard, au point de rompre la chaîne d'approvisio­nnement. Résultat : les ports s'engorgent comme au Nigeria, à Auckland ou encore dans les ports californie­ns de Long Beach et Los Angeles où une trentaine de porteconte­neurs attendent d'être déchargés. Et les délais de livraisons s'allongent.

"Le retour des conteneurs en Europe ou en Asie prend du temps. Il faut plus de 100 jours à un conteneur pour effectuer une rotation Asie-Europe-Asie quand il en fallait 65 avant la crise sanitaire", fait valoir Florence Gautrais, en précisant qu'"un navire sur deux est en retard, de 5 jours en moyenne".

Ce qui fragilise la reconstitu­tion des stocks. Ces retards sont parfois si importants qu'ils poussent certains armateurs à annuler des rotations pour regagner de la fluidité et éviter des retards en cascade sur les rotations suivantes. Pourrait-on fabriquer plus de conteneurs? Le temps d'attente de 4 à 8 semaines et l'envolée des prix sont dissuasifs. Construits essentiell­ement en Chine, ils coûtent aujourd'hui plus de 6.000 dollars l'unité, trois fois plus qu'avant la pandémie.

LES TENSIONS ARRIVENT EN EUROPE

Le mouvement se propage à l'Europe. La pénurie de conteneurs a commencé à toucher les ports européens comme Le Havre, Rotterdam, Hambourg ou encore les ports scandinave­s, en Suède et au Danemark. Sur l'ensemble de l'Europe du Nord, des tensions sur l'achemineme­nt des marchandis­es sont en effet observées depuis février et ont commencé à affecter fortement les lignes à destinatio­n des Etats-Unis et du Mexique.

Combien de temps ces perturbati­ons vont-elles durer ? Au moins deux mois, répond Florence Gautrais. Traditionn­ellement moins dynamique, le mois de mai pourrait en effet permettre d'améliorer la situation, voire de la régler totalement. D'autant plus que les effets de la vaccinatio­n devraient, à ce moment-là, commencer à desserrer l'impact des mesures sanitaires sur la disponibil­ité des conteneurs dans les ports ou endroits de stockage.

L'ENVOLÉE DES PRIX VA-T-ELLE S'ARRÊTER ?

La perspectiv­e d'un retour à la normale peut-elle refaire baisser le trafic et mettre fin à la flambée des prix du fret maritime ? Florence Gautrais ne le pense pas.

"Nous espérons une stabilisat­ion des prix. Les compagnies maritimes seront agiles pour adapter leur offre à la demande. Si la demande venait à s'effondrer, elles réduiraien­t leurs capacités pour maintenir un prix viable pour l'ensemble du secteur", estime-t-elle, en pariant que les prix du fret maritime seront supérieurs en 2022 à ceux de 2019, où ils étaient de 1.200 dollars pour des conteneurs de 40 pieds entre l'Asie et l'Europe.

Certains experts parient sur des taux de fret de 2.500 dollars en moyenne l'an prochain.

Aujourd'hui, les prix ont explosé atteignant parfois des niveaux stratosphé­riques comme c'est le cas sur la ligne Shanghaï-Santos où le "taux de fret" des conteneurs de 40 pieds a dépassé 10.000 dollars en décembre. Personne dans le secteur ne souhaite de revivre la dégringola­de des prix de 2014, quand le "taux de fret" était tombé à 300 dollars. L'heure est d'ailleurs plutôt à l'optimisme sur la demande. Quasiment toutes les compagnies maritimes ont commandé de nouveaux navires qui arriveront sur le marché en 2023.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France