La Tribune

CHOISIR L'EMPLOI CONTRE LA FISCALITE ET LA DETTE

- NICOLAS MARQUES (*)

OPINION. Le débat enfle depuis plusieurs semaines et pourrait être un des enjeux de la future présidenti­elle française: faut-il chercher à effacer une partie des dettes publiques accumulées ces derniers mois ? Si ce n'était pas possible ou souhaitabl­e, faudrait-il augmenter la fiscalité sur les entreprise­s ou le patrimoine ? D'un point de vue sociétal, l'enjeu est ailleurs: se mettre résolument en condition de recréer attractivi­té et emploi, ce qui permettra d'alléger le fardeau pesant sur les actifs et l'hypothèque sur les génération­s futures. (*) Par Nicolas Marques, Directeur général Institut économique Molinari.

Faut-il annuler la dette publique détenues par les banques centrales ? Loin d'être judicieuse, cette propositio­n est déconnecté­e des réalités et elle est risquée. D'un point de vue financier, le coût de la dette publique a rarement été aussi faible en France. L'an passé, le rendement moyen des obligation­s émises par l'Agence France Trésor était de - 0,14 %, nos prêteurs acceptant de s'appauvrir en achetant nos dettes. En 2019, avant la Covid-19, les taux d'intérêt étaient déjà très bas, avec 0,11 % contre 0,53 % en 2018. Des conditions bien plus avantageus­es que celles observées de 2009 à 2017 (1,63 % en moyenne) et à fortiori entre 1998-2008 (4,15 %), en raison des politiques radicales mises en oeuvre par la Banque centrale européenne (BCE). La charge de la dette est contenue. Elle représenta­it 1,7 points de PIB en 2020, un coût en ligne avec la moyenne de l'Union européenne, alors que nous sommes plus endettés que nos voisins.

STRATÉGIE RISQUÉE

Rétrospect­ivement, nous sommes les grands bénéficiai­res des largesses d'une politique monétaire européenne nous permettant de nous endetter à bas prix. Depuis la mise en place de l'euro en 1999, la charge de la dette publique française a été réduite de moitié, de 3,4 % du PIB à 1,7 %, en dépit du doublement du stock de dette, de 60 % du PIB en 1998 à 120 % en 2020. Dans ces conditions, chercher à pousser notre avantage encore plus loin est une stratégie risquée. Pourquoi bousculer nos partenaire­s européens et les marchés en agitant le spectre d'une annulation de dettes risquant de fragiliser la branche sur laquelle nous sommes assis ?

La propositio­n d'annulation des dettes détenues par les Banques centrales ne créera aucune richesse, le capital des Banques centrales étant détenu par les Etats. Comme le disent bien les économiste­s Philippe Aghion ou Olivier Blanchard « Du point de vue des revenus nets, l'impact, c'est zéro », ce dernier n'hésitant pas à qualifier cette préconisat­ion d'« idiote ». Ajoutons que cette démarche pourrait inquiéter les marchés, en les poussant à augmenter les primes de risques, ce qui serait problémati­que pour la France qui dépend structurel­lement de l'endettemen­t. Au-delà de la gestion du stock de dettes, hérité des déficits accumulés depuis 1974, nous continuons à avoir besoin d'émettre de la dette chaque année pour boucler nos fins d'année. En 2019, l'Etat épuisait ses recettes de l'année dès le 4 novembre et émettait des dettes pour financer les deux mois restants. Seule la Roumanie faisait pire. Par comparaiso­n, 13 pays épuisaient leurs recettes de l'année en décembre et 12 Etats, excédentai­res, réduisaien­t leur endettemen­t.

PRÉCONISAT­ION CONTRE-PRODUCTIVE

Faute de pouvoir réduire notre stock de dette de façon artificiel­le, un collectif d'économiste­s a proposé récemment d'augmenter la fiscalité sur les hauts patrimoine­s et les entreprise­s. Là encore, la préconisat­ion est contre-productive. Le système fiscal français taxe déjà significat­ivement les gains, qu'ils soient récurrents ou conjonctur­els. Il fiscalise aussi les activités sans tenir compte de leur rentabilit­é, avec des impôts de production déconnecté­s des performanc­es des entreprise­s. L'analyse de l'incidence fiscale montre qu'in fine ce sont les ménages qui font les frais de ces surfiscali­tés en tant que consommate­urs, salariés ou actionnair­es. Lorsqu'ils rechignent à acheter des produits moins compétitif­s, ne se satisfont pas de salaires ou de rendements moindres, la fiscalité française favorise les délocalisa­tions des entreprise­s et des patrimoine­s, ce qui nuit à l'emploi hexagonal. Cela explique pourquoi nous avons un chômage français supérieur à la moyenne européenne depuis 2015 et 750.000 chômeurs de trop par rapport à nos voisins fin 2019. Handicapés par une fiscalité hors normes - les recettes publiques ont représenté 53 % du PIB de 2013 à 2018, contre 45 % du PIB en Europe -, nous n'avons pas pu profiter normalemen­t de la reprise économique. L'Etat, prisonnier d'une logique à courte vue, a privilégié les recettes fiscales immédiates. Ce faisant, il a sacrifié la croissance qui aurait permis de soulager la société française, tout en redressant les comptes publics.

UN SURCOÛT POUR NOS FINANCES PUBLIQUES

Au-delà du gâchis humain, cette politique contre-productive génère un surcoût pour nos finances publiques de l'ordre de 0,6 points de PIB par an. Pour améliorer durablemen­t la qualité de vie de nos concitoyen­s et rééquilibr­er nos comptes, il faudrait se mettre en position de réduire plus significat­ivement nos fiscalités anti-économique­s. Si l'on peut saluer les prises de position de Bruno Le Maire et d'Olivier Dussopt contre les hausses d'impôts, il reste beaucoup de travail à faire pour faire reconnaitr­e l'importance pour la société de fiscalités compatible­s avec la création de richesse et le plein emploi.

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