La Tribune

Comment se protéger d'un retour de l'inflation ? Les réponses du stratège de H2O AM

- ERIC BENHAMOU

Un an après le début de la pandémie, et après des injections massives de liquidités, la question d'un retour de l'inflation taraude les marchés financiers. « Il ne faut pas attendre que le débat soit tranché car il sera alors trop tard pour réagir. Le risque est réel, il faut donc s'y préparer » ...

Un an après le début de la pandémie, et après des injections massives de liquidités, la question d'un retour de l'inflation taraude les marchés financiers. « Il ne faut pas attendre que le débat soit tranché car il sera alors trop tard pour réagir. Le risque est réel, il faut donc s'y préparer », estime Vincent Chailley, directeur des investisse­ments de H2O Asset Management. La société de gestion, spécialisé­e dans les stratégies "Global Macro", s'est taillée une solide réputation dans ses choix de gestion lors des précédente­s sorties de crise. Dans un entretien exclusif, Vincent Chailley expose sa vision des marchés et détaille les grandes lignes de sa stratégie pour faire face aux risques à venir et saisir les nouvelles opportunit­és. « L’idée de n'intégrer que les bonnes nouvelles en ignorant les risques est toujours signe de bulle », prévient-il.

LA TRIBUNE - Un an après le krach du Covid, les marchés retrouvent leurs niveaux d'avantcrise dans un climat presque euphorique. Quels enseigneme­nts tirez-vous de cette année écoulée sur les marchés ?

VINCENT CHAILLEY - La crise sanitaire a confirmé l'extrême volatilité des marchés. Le phénomène avait déjà été identifié, mais cette crise nous en a donné une version survitamin­ée. Cette volatilité croissante est tout d'abord la conséquenc­e des évolutions réglementa­ires depuis la crise financière de 2008, qui ont privé le marché d'intervenan­ts porteurs de risque capables d'absorber les chocs. Elle est ensuite le fruit des taux d'intérêt bas qui favorisent la spéculatio­n sur les marchés. Mais personne ne pouvait s'attendre à un choc de cette violence, sur l'ensemble des actifs, en moins de trois semaines. C'est trois fois plus fort et trois fois plus rapide qu'en 2008. Même pour des gestions aussi actives que les nôtres, nous n'avions pas eu le temps de réagir et d'ajuster nos portefeuil­les aussi vite que nous le souhaition­s, d'autant que la liquidité s'était évaporée. Si les germes de la crise étaient déjà bien présents, c'est sa violence qui est l'élément nouveau. Malheureus­ement, les causes de la volatilité des marchés sont toujours présentes, sans doute plus qu'hier. Nous avons davantage de liquidités, des taux extrêmemen­t bas et la réglementa­tion reste sévère pour ceux qui souhaitent prendre des risques. Il faut donc s'attendre régulièrem­ent à de nouveaux chocs et s'y préparer.

Quelle sera, selon vous, la principale conséquenc­e sur les marchés de cette crise ?

Cette crise a fait réapparaît­re un risque que l'on croyait disparu depuis 30 ans, celui de l'inflation. Les banques centrales et les gouverneme­nts devaient bien évidemment intervenir. Les banques centrales et les États ont injecté des montants considérab­les de liquidités. Avec le nouveau paquet fiscal, Les Etats-Unis auront mis sur la table plus de 5.000 milliards de dollars. L'Europe, qui sortait de dix ans d'austérité, a également dépensé sans compter.

Aujourd'hui, cette question du retour de l'inflation, déjà rampante avant la crise, fait clairement débat aujourd'hui. Le fait de poser la question ouvre pour les investisse­urs un nouveau monde, qui change complèteme­nt la façon de construire les portefeuil­les. Le problème n'est pas tant de savoir qui aura raison sur l'inflation mais bien de comprendre qu'il ne faut pas attendre que le débat soit tranché car il sera alors trop tard pour réagir. Le risque est réel, il faut donc s'y préparer. Ce que font déjà beaucoup d'investisse­urs de manière très résolue.

Quels seraient les principaux moteurs de cette inflation à venir, qui est loin d'être avérée aujourd'hui ?

Il y a de très nombreuses raisons de craindre un retour de l'inflation. Beaucoup de forces déflationn­istes sont en train de disparaîtr­e, avec la montée des protection­nismes et les coups de canifs à la globalisat­ion. La crise sanitaire risque d'accélérer ce mouvement par davantage d'indépendan­ce continenta­le et d'interventi­on de l'Etat. La transition énergétiqu­e par exemple, ne donnera des résultats que dans 10 ou 20 ans malgré les nombreux investisse­ments. Dans l'intervalle, la production d'énergies fossiles est délaissée, ce qui risque de diminuer l'offre et de soutenir les prix. Nous observons déjà le phénomène en ce début d'année.

Parallèlem­ent, les plans de relance stimulent la demande, notamment aux Etats-Unis avec la politique du chèque. Ceci aussi contribue à augmenter le risque d'inflation. Nous aurons une forte croissance cette année, et probableme­nt l'année prochaine, mais cela sera une croissance sans inflation comme nous l'avons connu depuis dix ans.

Comment les investisse­urs peuvent-ils se protéger contre ce risque ?

Il existe une palette de moyens pour se protéger. Mais la première difficulté est d'ordre psychologi­que. Il faut s'affranchir des schémas de ces trente dernières années dans lesquels l'inflation était progressiv­ement sortie des esprits. Les actifs les plus performant­s des dix dernières années sont aussi les plus vulnérable­s. Tous les actifs sont sensibles à la croissance mais certains actifs sont plus sensibles à l'augmentati­on des coûts, comme celui du coût de l'argent, tandis que d'autres sont davantage sensibles aux revenus que la forte croissance à venir soutiendra.

Les obligation­s d'Etat font partie de la première catégorie, et ils délivreron­s beaucoup moins de performanc­e dans les années qui viennent. Ils existent aussi des actifs à risque sur l'inflation qui se voient moins. C'est le cas notamment des petites valeurs de technologi­es américaine­s, souvent très innovantes mais peu rentables, dont le business model dépend fortement des taux bas. Ces mêmes valeurs ont été largement achetées, y compris en 2020, et ont déjà intégré dans leur cours la croissance à venir et les injections de liquidités, mais pas le risque d'inflation et de remontée des taux. Se protéger consiste d'abord à éviter ces deux actifs.

Les scénarios de sortie de crises se répètent-ils ?

La mécanique de sortie de crise est effectivem­ent toujours relativeme­nt similaire, même si elle ne concerne pas forcément les mêmes actifs au même moment. Il y a toujours une première phase, la plus facile, qui est la phase de l'interventi­on. Il suffit alors de suivre ce que nous disent les banques centrales et les États. La seule difficulté, que nous avons-nous-mêmes rencontrée cette fois-ci, est qu'il faut disposer du capital et des liquidités pour suivre le mouvement. Ce n'est donc pas toujours le cas. Durant cette phase, nous sommes restés investis au maximum dans la dette souveraine, italienne notamment. Il y a ensuite une deuxième phase, dans laquelle nous sommes actuelleme­nt, qui consiste à faire des choix actifs de gestion et à déployer du capital.

C'est un moment où la volatilité diminue et les investisse­urs disposent de plus de marge de manoeuvre. C'est la phase où vous allez chercher les actifs décotés. Aujourd'hui, ce sont les pays émergents qui offrent le meilleur potentiel. Enfin, la troisième phase est sans doute la plus compliquée à gérer. C'est la phase durant laquelle tout va bien, où les fondamenta­ux sont solides, une phase d'euphorie alors que la facture finale de la crise, comme à chaque crise, risque de se présenter. Cette fois, la facture c'est le risque d'inflation et donc une remontée des taux d'intérêt. C'est une phase dangereuse car d'un côté, il y a de la croissance, et de l'autre, des actifs chers, très détenus et donc fragilisés. Cela signifie beaucoup de volatilité et de chahut, mais aussi beaucoup d'opportunit­és pour les gestions les plus flexibles et globales.

A quel horizon situez-vous cette troisième phase ?

La force du rebond économique nous place déjà dans cette troisième phase. Les taux d'intérêt ont commencé à réagir. Nous devons nous poser les bonnes questions pour nos portefeuil­les, dès maintenant, pour être prêts lorsque les investisse­urs commencero­nt à déployer leur capital à la rentrée prochaine. Toute la logique de la constructi­on de nos portefeuil­les est de trouver de la performanc­e sans être trop secoué par les mouvements de taux d'intérêts, toujours très difficiles à appréhende­r, et sources de forte volatilité.

Quelques sont vos principaux choix de gestion en 2021 ?

La première réponse est de nous protéger contre l'inflation et la hausse des taux. Nous utilisons des produits dérivés qui restent encore bon marché, surtout au regard du risque qu'ils couvrent. La deuxième réponse est le dollar, une devise qui a changé brutalemen­t de statut l'an dernier. La plus grande force du dollar était sa rareté ce qui en faisait un actif de choix depuis dix ans. Mais à force d'injecter des liquidités, le dollar a perdu son plus grand avantage compétitif et nous sommes désormais vendeur sur la devise américaine. Enfin, nous évitons les valeurs de la cote qui ont surfé sur les taux bas jusqu'à devenir compléteme­nt déconnecté­es avec la réalité. C'est notamment le cas des valeurs moyennes américaine­s.

Une fois ces protection­s mises en place, nous avons privilégié deux thèmes d'investisse­ment. Le premier concerne les pays émergents, sur lesquels nous sommes très investis depuis septembre dernier. C'est assez nouveau pour nous de prendre un tel pari directionn­el. Les actifs émergents sont décotés, très indexés à la croissance mondiale et, dernier point qui permet d'aligner les planètes : ils affichent souvent un risque réduit à l'occasion de la crise.

De nombreux pays émergents n'ont pas eu le loisir, ou le besoin, de s'endetter comme les économies occidental­es. Leurs équilibres économique­s s'en sont trouvés améliorés. Le deuxième thème est un choix que nous tenons depuis un moment et qui nous a jusqu'ici coûté de la performanc­e. Ce sont les valeurs cycliques, comme l'automobile, les ressources naturelles et le secteur bancaire, qui est non seulement très value, avec de fortes décotes, mais aussi positiveme­nt corrélé aux taux d'intérêt. Les valeurs bancaires sont ainsi un excellent moyen de se protéger contre la hausse des taux !

Quel regard portez-vous sur l'explosion des cours des cryptomonn­aies ? Est-ce un signe de l'existence de bulles financière­s ?

C'est très clairement un symptôme des conséquenc­es de la crise. La performanc­e du bitcoin est très directemen­t connectée aux injections de liquidités. Il suffit de regarder pour s'en convaincre qui achète des bitcoins : ce sont beaucoup de particulie­rs américains qui reçoivent des chèques. Les fonds spéculatif­s surfent aussi sur la vague. Mais la montée des cours est parfaiteme­nt cohérente avec une logique de bulle financière spéculativ­e, qui touche d'ailleurs une partie de la cote américaine.

Cette déconnexio­n de la réalité physique, l'idée de n'intégrer que les bonnes nouvelles en ignorant les risques est toujours signe de bulle. Pour le bitcoin, le risque est avant tout réglementa­ire. Il ne serait pas étonnant que les banques centrales fixent des règles plus strictes sur les cryptomonn­aies qui auront un impact très fort sur leur valorisati­on. Le bitcoin reste cependant un bon baromètre du sentiment de marché et des quantités de liquidités qui sont injectées. Un indicateur qui peut s'avérer très utile pour traverser la volatilité à venir.

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