La Tribune

GIGAFACTOR­Y : UN "AIRBUS DES BATTERIES" POUR FAIRE DECOLLER LES HAUTS-DEFRANCE ?

- GAETANE DELJURIE, A LILLE

En septembre dernier, était annoncée l'arrivée d'un "Airbus de la batterie" à Douvrin, sur une partie du site de la Française de Mécanique. Fin février, le groupe PSA annonçait confier la fabricatio­n de certains de ses nouveaux moteurs en Hongrie, plutôt que dans le Pas-deCalais. La gigafactor­y est-elle une réelle opportunit­é ?

En 2019, c'était la douche froide pour la CCI Grand Hainaut : Tesla n'avait pas retenu sa candidatur­e de Valencienn­es pour accueillir sa gigafactor­y, préférant l'Allemagne et Berlin. En tant que première région automobile de France, produisant 700.000 véhicules, 1,3 million de boîtes de vitesse et 750.000 moteurs par an, les Hauts-de-France pouvaient-ils rater le coche des « gigafactor­ies » ? Certaineme­nt pas.

Surtout quand on sait que la filière régionale pèse 56.000 emplois, répartis dans près de 800 établissem­ents, dont 157 équipement­iers et 625 autres fournisseu­rs sous-traitants, selon une étude de l'ARIA (Associatio­n régionale de l'Industrie automobile) et la CCI Hauts-de-France. Les sept principaux sites d'assemblage, que sont Renault (Cuincy), Toyota (Onnaing), Française De Mécanique (Douvrin), Sevelnord (Hordain), PSA (Trith-Saint-Léger) et MCA (Maubeuge), représenta­ient à eux seuls 15.400 emplois en 2019.

C'est peut-être ce tissu industriel de premier ordre (voire aussi le futur parc éolien qui devrait voir le jour au large de Dunkerque) qui semble séduire le chinois Envision. Le leader mondial dans le secteur des turbines éoliennes intelligen­tes, qui a racheté l'activité batteries de Nissan en 2018 lorgne sur Dunkerque, d'après le journal L'Opinion. Le port pourrait accueillir sa gigafactor­y, avec 1.000 emplois potentiell­ement créés à terme et près d'un milliard d'euros d'investisse­ment. A ce jour, rien n'est encore officielle­ment décidé.

"AIRBUS" DE LA BATTERIE

Un seul projet est aujourd'hui confirmé, celui d'Automotive Cells Company (ACC), joint-venture créée en août dernier, avec Saft (spécialist­e des batteries et filiale de Total), PSA (devenu Stellantis avec la fusion de PSA et Chrysler Automobile­s) et Opel. Pour attirer cette gigafactor­y dans le Pas-de-Calais, les élus ont sorti l'artillerie lourde. A commencer par les moyens financiers.

Lire aussi : ACC, l'Airbus des batteries électrique­s, "vise 10 % du marché européen à horizon 2028/2029"

A cheval sur Douvrin et Billy-Berclau, au coeur de l'ex-bassin minier, cet « Airbus de la batterie » va mobiliser 2 milliards d'euros, dont 121 millions d'euros d'aides publiques : 80 millions d'euros du conseil régional Hauts-de-France (soit quasiment l'intégralit­é de son enveloppe consacrée à la relocalisa­tion de l'industrie du plan de relance), 20 millions du Syndicat intercommu­nal de la zone industriel­le Artois Flandres, 11,97 millions d'euros de la Communauté d'agglomérat­ion BéthuneBru­ay-Artois-Lys Romane et 9,03 millions de la Communauté d'agglomérat­ion de Lens-Liévin.

1.400 À 2.000 EMPLOIS

Impossible de laisser passer une telle implantati­on, qui fait miroiter la création de 1.400 à 2.000 emplois, dans un territoire où le chômage baisse lentement mais enregistre encore 11,8%.

« J'insiste sur le fait que cette projection sur le nombre d'emplois n'est aujourd'hui qu'une estimation : la concrétisa­tion dépendra de notre compétitiv­ité réelle et de la demande du marché pour les batteries », souligne Yann Vincent, président d'ACC depuis sa création en août 2020, exresponsa­ble de la fabricatio­n monde du groupe PSA, ex- directeur de l'usine Renault-Douai, de 1998 à 2004. A titre de comparaiso­n, la gigafactor­y General Motor- LG Chem dans l'Ohio aux EtatsUnis a créé 1.100 emplois et l'usine LG Chem de Wroclaw en Pologne en annonce 1.800.

« Ce projet d'ACC est perçu comme une incroyable opportunit­é », souligne Chantal Ambroise, souspréfèt­e de Béthune. Et de rappeler le passé minier mais également la reconversi­on vers l'automobile, avec l'arrivée de (feu) Bridgeston­e en 1961, France de Mécanique en 1969 (filiale de PSA et de Renault jusqu'en 2013) et STA Ruitz (fabricant de boîtes de vitesse automatiqu­e) en 1970.

POSITION STRATÉGIQU­E

Car outre les aides techniques et financière­s, la position géographiq­ue du site a certaineme­nt pesé dans le choix des Hauts-de-France. La future gigafactor­y pourra alimenter directemen­t les sites de constructi­on automobile Renault de Douai et MCA Maubeuge mais aussi PSA Valencienn­es qui a lancé une version électrique de ses utilitaire­s.

Coup double, la future usine occupera une friche de 35 hectares laissée par la Française de Mécanique (FM), aujourd'hui filiale de PSA, qui continue de produire des moteurs thermiques (850.000 moteurs par an, 1.700 salariés). Initialeme­nt étendue sur 140 hectares, l'usine a peu à peu rogné sur les coûts, en concentran­t ses production­s dans quelques ateliers...

UNE MAUVAISE NOUVELLE

On aurait pu pressentir la mauvaise nouvelle. Fin février, à la surprise générale des syndicats, la direction de PSA a annoncé confier la production de son moteur essence EP Gen 3, pourtant à l'étude à Douvrin, à l'usine Opel de Szentgotta­rd, en Hongrie. Problème, l'usine nordiste ne produisait déjà plus que deux moteurs, dont l'un, diesel, était de toute façon voué à disparaîtr­e... pour produire le EP Gen 3 ! La stratégie de PSA serait-elle de profiter de la montée en puissance de la gigafactor­y pour transférer peu à peu les salariés de la future ex-FM ?

Yann Vincent l'affirme, les retombées se feront sur le territoire « à l'échelle locale (avec le chantier de constructi­on et en matière d'emploi), régionale (avec un impact sur l'ensemble de la filière) et nationale : c'est la première réalisatio­n industriel­le de cette échelle en France », assure-t-il. ACC insiste d'ailleurs à chaque présentati­on sur les plans de formation et d'emploi, construits avec les acteurs locaux. « Nous sommes en train de répertorie­r finement tous les métiers : la technologi­e d'une batterie imposera de recourir à des métiers très qualifiés », prévient le président d'ACC.

« Notre ambition est de venir le leader européen », martèle Yann Vincent. «Ce projet est structuran­t pour les Hauts-de-France : c'est une opportunit­é pour la revitalisa­tion économique du territoire. Dans le contexte du mouvement de Rev3, pour l'accélérati­on de la 3e révolution industriel­le, le projet doit également initier le développem­ent d'une filière de recyclage ».

RAYONNEMEN­T EUROPÉEN

Et de mettre en avant également le rayonnemen­t potentiel de ce méga-projet à l'échelle de l'Europe. Cette coentrepri­se fait partie du groupement de projets « importants d'intérêt communs » (PIICE), approuvés par la Commission européenne pour créer un écosystème à travers sept Etatsmembr­es. Objectif affiché : contrer une fabricatio­n de batterie quasiment asiatique.

Du point de vue environnem­ental, « il n'y aura donc pas de consommati­on d'espace agricole et nous ne rejetteron­s pas d'eaux industriel­les et nous allons faire notre maximum pour consommer le moins possible, même si elle sera quand même importante », anticipe également Yann Vincent. Les rejets atmosphéri­ques devront être surveillés et les solvants correcteme­nt gérés.

La concertati­on publique vient d'ailleurs de commencer. S'en suivront les démarches d'autorisati­ons environnem­entales et d'obtention du permis de construire. La production devrait démarrer fin 2023. En 2030, 500.000 batteries devraient sortir chaque année des nouvelles chaines de Douvrin. En espérant, un jour peut-être, égaler les 1,6 million de moteurs produits par la FM de Mécanique en 2006.

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