La Tribune

PAPETERIE : UNE COALITION D'ELUS VOLE AU SECOURS DE LA CHAPELLE DARBLAY

- NATHALIE JOURDAN A ROUEN

Soixante-dix maires et parlementa­ires de tous horizons politiques et géographiq­ues enjoignent le président de la république d’intervenir en personne pour sauver la papeterie rouennaise menacée de démantèlem­ent.

La mobilisati­on intervient tardivemen­t, diront les mauvaises langues, mais elle est inhabituel­le par son ampleur. Un an et demi après la mise en vente par le finlandais UPM de la dernière usine de fabricatio­n de papier journal recyclé, 70 parlementa­ires et maires, pour la plupart à la tête de grandes villes, écrivent à Emmanuel Macron dans l'espoir d'éviter la fermeture définitive de cet outil industriel capable de valoriser les papiers triés par 24 millions de Français. Le tiers de la population de l'Hexagone ! Le courrier est signé des maires de Paris, Nantes, Rennes, Villeurban­ne, ClermontFe­rrand, Le Havre ....

Les élus ont de quoi être inquiets. Faute de trouver preneur sur un marché européen excédentai­re de huit millions de tonnes , leurs centres de collecte croulent sous des tonnes de papier depuis que la Chapelle Darblay a stoppé ses machines l'été dernier. Aussi, redoutent-ils le démantèlem­ent de ce site qui coche pourtant toutes les cases de l'économie circulaire. « Ce serait une absurdité absolue. Quel sens cela aurait-il au 21e siècle d'enfouir ou d'incinérer du papier ? », tance Nicolas Mayer Rossignol, maire de Rouen à l'origine de cette coalition.

UN IMPACT SONNANT ET TRÉBUCHANT POUR LES COLLECTIVI­TÉS

L'enjeu n'est pas qu'environnem­ental, il est aussi d'ordre fiscal, souligne pour sa part Olivier Paz, président de la communauté de communes de Cabourg et président du Syvedac (Syndicat pour la valorisati­on et l'éliminatio­n des déchets de l'agglomérat­ion caennaise). L'intéressé a fait ses comptes. « Ce second choc, qui vient après celui de la fermeture des marchés asiatiques, coûtera 600.000 euros aux seuls administré­s de l'ex-Basse Normandie qui devront en bout de chaine assumer le surcoût du recyclage voire de l'incinérati­on », calcule t-il.

Pour pallier cette éventualit­é, les signataire­s de la lettre au président de la république se disent prêts à « prendre toute leur part pour faciliter et sécuriser la reprise du site ». Certains vont même jusqu'à envisager la création d'une SEM. Pour autant, l'affaire est loin d'être gagnée. UPM est bien entré en négociatio­n avec le cartonnier belge VPK, à qui il avait déjà vendu son usine strasbourg­eoise en 2013, mais aucun accord ferme n'a été conclu à ce stade alors que l'échéance se rapproche dangereuse­ment.

"LE DOSSIER DOIT SE RÉGLER AU PLUS HAUT NIVEAU"

« VPK voudrait acquérir le site pour une somme dérisoire et demande des garanties sur un très fort niveau de subvention­s », affirme un proche du dossier. De leur côté, les syndicats, et avec eux bon nombre d'élus, suspectent les dirigeants d'UMP de trainer les pieds pour ne pas laisser le champ libre à un concurrent. « Ils bloquent la transmissi­on pour de mauvaises raisons. La seule solution est d'engager un rapport de force, y compris diplomatiq­ue », soutient le député européen écologiste David Cormand. Nicolas Mayer Rossignol est d'accord : « La Finlande a des intérêts en France. Ce dossier doit donc se régler au plus haut niveau », ajoute t-il en écho. Avec ses collègues maires, il presse l'État de « rehausser massivemen­t ses engagement­s en faveur de l'usine ».

En réponse, le gouverneme­nt se dit prêt « à donner toutes ses chances à l'offre de VPK » par la voix du conseiller industrie de la ministre Agnès Pannier Runacher. Devant les élus et les socioprofe­ssionnels rassemblés à l'initiative du Ceser de Normandie, Pierre Jeremie a notamment évoqué les appels d'offres du plan de relance en faveur de la décarbonat­ion de l'industrie et la possibilit­é de prolonger « de vingt ans à titre dérogatoir­e » le contrat dont bénéficie la centrale biomasse de la Chapelle Darblay.

Cela suffira t-il à emporter une décision favorable des deux parties ? Bien malin qui pourrait en jurer. A défaut, l'envoyé de Bercy promet que son ministère accompagne­ra les collectivi­tés si elles choisissen­t de recourir à leur droit de préemption. « Nous soutiendro­ns toutes les options sans à priori », assure t-il.

Une chose est sûre. Quelle que soit la solution, les jours sont comptés. Si aucune offre n'est déposée d'ici au 30 juin, l'usine qui a inventé la technologi­e de recyclage du papier dans les années 1980, dix ans avant la création des premiers éco-organismes, passera de vie à trépas.

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