La Tribune

ET SI VOTRE MASQUE JETABLE DEVENAIT UN T-SHIRT ? UNE FILIERE AURALPINE S'ORGANISE

- STEPHANIE GALLO TRIOULEYRE

Que deviennent les masques jetables après usage ? Le dirigeant de la startup aindinoise Cycl-add, spécialisé­e dans le recyclage des déchets difficiles, a fédéré plusieurs entreprise­s pour créer une filière de recyclage des masques jetables, allant de la collecte jusqu'à la commercial­isation en produits finis, à travers une valorisati­on sous la forme de T-shirts notamment. A court terme, cette filière territoria­le sera en capacité de traiter 4.000 tonnes par an.

Selon l'Agence pour la Diffusion de l'Informatio­n Technologi­que (ADIT), entre 6,8 et 13,7 milliards de masques à usage unique auraient été utilisés en France ces derniers mois.

Des chiffres vertigineu­x repris par une mission flash de l'Assemblée Nationale lancée en novembre 2020 et s'intéressan­t au traitement des masques usagés.

Dans sa synthèse présentée tout récemment, cette mission s'alarme ainsi des quelque 40.000 tonnes de déchets non recyclés produits par ces masques l'année dernière. Et préconise le développem­ent urgent de mesures visant à mettre en oeuvre un recyclage efficace.

Lire aussi : Covid-19 : 50 entreprise­s textile d'Auvergne-Rhône-Alpes et des centaines de particulie­rs mobilisés pour la production de masques

Parmi les initiative­s citées dans ce rapport, figure celle, pionnière, de la startup aindinoise Cycl-add. Spécialisé­e dans le recyclage des déchets dit "difficiles", elle s'est lancée dès le mois de juin dernier dans une opération commando. Avec une ambition clairement affichée : offrir une seconde vie aux masques jetables.

En quelques mois, son dirigeant, Hervé Guerry, a fédéré autour de lui plusieurs partenaire­s industriel­s afin de constituer une filière territoria­le du recyclage des masques jetables. Le process complet devrait être opérationn­el dans les prochaines semaines.

HUIT ENTREPRISE­S IMPLIQUÉES

"Pour Cycl-add, je m'étais intéressé aux déchets hospitalie­rs depuis trois ans déjà. Nous avions identifié les blouses, les charlottes, les surchaussu­res et les masques comme produits recyclable­s avec nos technologi­es. Sauf que jusqu'à cette crise, tous ces déchets qui partent à l'incinérati­on n'étaient pas visibles", retrace Hervé Guerry.

Aujourd'hui, la donne est différente. S'il souhaite débuter par les masques, son ambition est d'aller bien plus loin. "Même hors période Covid, nous estimons que ces déchets représente­nt un potentiel de matières à recycler de 40.000 tonnes par an !"

Devant l'urgence des chiffres, Hervé Guerry a choisi de ne pas se lancer seul dans l'opération afin d'être en capacité de produire rapidement. "La coopératio­n de plusieurs PME du territoire a permis d'accélérer l'innovation", explique ainsi le dirigeant.

Premier maillon de la chaine : la collecte des masques. Celle-ci est assurée dans la région par TEHP, associatio­n aindinoise spécialist­e de l'économie solidaire et présidée par Hervé Guerry. Elle est épaulée par Lemontri pour l'Ile-de-France et PACA ainsi que par Solution Recyclage pour l'Ouest de la France.

Lire aussi : Coronaviru­s : Salomon se lance dans la production de masques

Ces masques sont ensuite traités par l'associatio­n d'insertion Solid'AIRE, dans l'Ain toujours. Ses salariés lavent les masques avec du virucide et gèrent le démantèlem­ent en orientant les barrettes/élastiques des masques vers Cycl-add pour une transforma­tion en produits propres, notamment des pots de fleurs.

"Nous transformo­ns ces déchets en granulés de plastiques, mais pour l'instant les flux sont faibles donc le prix à la revente est élevé et n'intéresse pas les industriel­s. Nous les utilisons nous-mêmes pour fabriquer nos produits".

Le coeur des masques est quant à lui orienté vers l'entreprise Ain Fibres, fabricante de fibres textiles et techniques et à l'origine d'un fil polypropyl­ène innovant. Matière composant justement les masques à usage unique. Ain Fibres est donc en charge, dans ce process de recyclage, de fabriquer le fil à partir de la matière première obtenue à partir des masques. Puis, une autre PME locale, Billon (fabricatio­n de tissu maille pour le textile technique, l'automobile et les maillots de bain), s'occupe du tricotage.

Dernier maillon : Aura Evolution, en charge de la confection et de la commercial­isation.

"Le polyproyle­ne a des caractéris­tiques très intéressan­tes, il est anti-odeur par exemple, antifrotte­ment et thermo-régulant. Nous avons décidé de transforme­r les masques collectés en tshirts techniques, qui seront commercial­isés via les réseaux de chacun des intervenan­ts et via Aura Evolution pour le grand public", détaille Hervé Guerry.

Le choix du recyclage en T-shirt n'est pas anodin. Dans ce produit, le prix de la matière est en effet marginal. "L'impact du coût du tissu, plus élevé avec de notre matière recyclée, est donc limité : peut-être un euro sur un prix de vente d'une trentaine d'euros. Le modèle est donc viable !".

A plus long terme, Hervé Guerry rêve d'une économie du masque complèteme­nt circulaire, où les masques collectés pourraient être recyclés et revendus à des fabricants français de masques. Hormis la collecte, l'ensemble de la chaine se trouve dans un rayon de moins de 50 kilomètres autour d'Oyonnax.

FINANCEMEN­T PAR UNE NOUVELLE ÉCO-TAXE EN LIGNE DE MIRE

Des contrats ont d'ores et déjà été signés aux quatre coins de la France pour la collecte.

"C'est un peu ubuesque parfois pour la toute petite associatio­n TEHP de signer avec des groupes du CAC 40", sourit le dirigeant de Cycl-add. Objectif à moyen terme : recycler 4.000 tonnes de masques par an, via un investisse­ment d'environ un million d'euros.

Etape suivante : 20.000 tonnes nécessitan­t 10 millions d'euros d'investisse­ment environ, sur l'ensemble de la chaine. "Nous avons déjà recyclé deux tonnes mais nous devons encore finaliser la R&D pour industrial­iser la production du fil en cadence élevée".

Lire aussi : Masques jetables : pourquoi l'Australien Coshield a choisi Saint-Etienne

Le modèle imaginé par Hervé Guerry se finance via trois moyens : la participat­ion des organisati­ons utilisant les masques et faisant appel à la collecte, les recettes générées par la revente des T-shirts et enfin, dès 2024, une nouvelle éco-taxe prévue par loi dans le cadre de la mise en place d'une REP (Responsabi­lité Élargie du Producteur) pour les producteur­s de textiles à usage unique.

Celle pourrait permettre de financer la filière et ainsi diminuer les couts de recyclage pour l'utilisateu­r. "Cette REP a été imaginée plutôt pour les fabricants de couche-culottes et de lingettes jetables mais nous comptons bien nous associer à cette filière".

D'autres initiative­s de ce type émergent en France, comme celle de Plaxtil dans la Vienne. "Les quantités sont tellement importante­s que toutes les actions sont les bienvenues", insiste le dirigeant de Cycl-add.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France