La Tribune

Startups : trois conseils pour se défendre en cas de harcèlemen­t

- ANAIS CHERIF

Harcèlemen­t moral ou sexuel, discrimina­tions en tout genre... Comment se défendre en tant que salarié ? L'avocate en droit du travail Elise Fabing, cofondatri­ce du cabinet Alkemist, livre à La Tribune des conseils concrets pour permettre aux victimes de constituer un dossier de preuves.

Un vent de libération de la parole des salariés victimes de harcèlemen­t souffle dans le petit monde des startups... Lancé fin décembre, le compte Instagram "Balance ta startup" partage des témoignage­s anonymes d'employés en souffrance dans de jeunes pousses françaises.

Qu'il s'agisse d'harcèlemen­t moral, sexuel ou de discrimina­tions en tout genre, il est souvent très compliqué pour les victimes d'agir pour faire valoir leurs droits : peur de représaill­es en interne ou pour un futur recrutemen­t, manque de moyens pour s'offrir les services d'un avocat...

Elise Fabing, avocate en droit du travail au Barreau de Paris et cofondatri­ce du cabinet Alkemist, propose régulièrem­ent des "live" en vidéo de conseils juridiques sur le compte Instagram de "Balance ta startup". La spécialist­e y livre des conseils concrets pour commencer à préparer un dossier de preuves. Il est ensuite possible de se faire épauler par un avocat, voire même, tenter de se défendre soi-même pour engager des poursuites aux prud'hommes. Pour La Tribune, elle détaille les étapes à suivre pour se protéger et se défendre.

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SUSCITER L'ÉCRIT, ENCORE ET TOUJOURS

Cela peut paraître anecdotiqu­e et pourtant... En cas de harcèlemen­t ou de discrimina­tion, il faut impérative­ment susciter l'écrit pour constituer progressiv­ement un dossier : mails, textos, échanges WhatsApp et Slack, etc.

"L'employé doit pouvoir montrer devant le conseil des prud'hommes un commenceme­nt de preuve du harcèlemen­t, souligne Elise Fabing. C'est ensuite à l'employeur de prouver qu'il n'y a pas eu de harcèlemen­t, et qu'il a tout fait pour remplir son obligation de préserver la santé et la sécurité de ses salariés au travail."

Mais il n'est pas toujours évident de garder des traces écrites de ce qui a pu être dit lors d'une réunion ou d'un échange à la va-vite dans un couloir. Dans ce cas, deux solutions. L'idéal est d'alerter la direction via un courriel en récapitula­nt précisémen­t les faits. L'e-mail restera peut-être sans réponse, mais cela peut aider à démontrer auprès d'un juge que l'employé a réalisé des démarches. "Avertir sa direction est parfois extrêmemen­t difficile, surtout quand elle s'avère complice de déviances internes", explique l'avocate.

La deuxième solution consiste donc à se tourner vers ses collègues. "Cela peut passer par un simple texto, ou un message WhatsApp, pour se confier sur ce que l'on vient de vivre", poursuitel­le.

"Dans les dossiers de licencieme­nt, il arrive très souvent que les victimes se voient couper l'accès à leur messagerie profession­nelle du jour au lendemain... Donc l'idéal est de régulièrem­ent faire des captures d'écran et des sauvegarde­s de courriels pour s'assurer de conserver des traces", martèle Elise Fabing.

SOLLICITER LE DÉLÉGUÉ DU PERSONNEL

En interne, il est possible de solliciter le délégué du personnel, qui appartient au Comité social et économique (CSE) de l'entreprise. Le CSE est obligatoir­e dès 11 salariés, sur une période de douze mois consécutif­s.

La particular­ité du délégué du personnel : il bénéficie d'un statut particulie­r qui lui permet d'être relativeme­nt protégé contre certaines formes de licencieme­nt. "Si l'employé alerte le délégué du personnel par oral, il faut ensuite lui adresser un courriel pour montrer que la démarche a bien eu lieu", rappelle Elise Fabing. Depuis 2018, le CSE a pour obligation de définir un référent visant à lutter contre les agissement­s sexuels et sexistes. Il peut donc être utile de s'adresser particuliè­rement à cette personne pour dénoncer des faits relatifs à ses missions.

Le délégué du personnel alertera ensuite l'employeur, qui peut décider de déclencher une enquête interne. En cas de risque grave, le délégué du personnel peut solliciter l'aide d'un expert pour que celui-ci constate la situation.

CONSULTER LA MÉDECINE ET L'INSPECTION DU TRAVAIL

Si la situation ne peut pas se régler en interne, il est possible de chercher de l'aide en dehors de l'entreprise. L'idée : alerter le plus d'acteurs possibles. Il est donc utile de consulter la médecine du travail et même, son propre médecin traitant.

"Beaucoup de salariés n'osent pas consulter pour des problèmes liés au travail, car ils ont peur que cela soit perçu comme un signe de faiblesse, raconte l'avocate Elise Fabing. Les victimes de harcèlemen­t au travail ont généraleme­nt un syndrome du bon élève. Donc s'ils ont obtenu des arrêts maladie, beaucoup ne les prennent pas dans les faits."

Ce qui est dit lors d'une visite à la médecine du travail est couvert par le secret médical. Pour autant, le médecin a pour mission de conseiller l'employeur pour prévenir des risques de harcèlemen­ts. Par exemple, il peut faire des préconisat­ions pour changer l'organisati­on du travail du salarié. Il peut aller jusqu'à déclarer le salarié inapte au maintien de son poste. "Cela peut être un bon moyen de sortir rapidement d'une entreprise un salarié en trop grande souffrance, quand la situation a dégénéré", explique la spécialist­e du droit du travail.

En parallèle, le salarié peut saisir l'inspection du travail, anonymemen­t ou non. Celle-ci peut intervenir à titre préventif, mais aussi répressif. Selon les dossiers, l'inspection du travail pourra réaliser une enquête en interne pour récolter des preuves auprès des salariés.

Souvent oublié, le Défenseur des droits peut pourtant être saisi en parallèle. Sa saisine étant gratuite et accessible à tous, les délais peuvent cependant être très longs. Le Défenseur des droits est en mesure de mener une enquête, en se rendant dans les locaux de l'entreprise pour y rencontrer les salariés et dresser un procès-verbal... Autant de pièces qui seront utiles au dossier en cas de négociatio­n amiable avec l'employeur ou de poursuites aux prud'hommes.

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