La Tribune

LE DEPART DE JEAN-PIERRE DENIS LAISSE EN SUSPENS LE PROJET D'INDEPENDAN­CE DU CREDIT MUTUEL ARKEA

- PASCALE PAOLI-LEBAILLY ET ERIC BENHAMOU

Jean-Pierre Denis quittera la tête du Crédit Mutuel Arkéa le 11 mai prochain. Son successeur n'est pas encore désigné, preuve d'un départ plus précipité que prévu. Les conseils d'administra­tions du Crédit Mutuel Arkéa, du Crédit Mutuel de Bretagne et du Crédit Mutuel du Sud-Ouest, ont fixé la fin des fonctions du président du Crédit Mutuel Arkéa, à la date de la prochaine assemblée générale. Bien qu’inscrit dans le plan « Transition­s 2024 » présenté en février dernier, le projet d’indépendan­ce vis-à-vis de la Confédérat­ion nationale du Crédit Mutuel peut-il survivre au départ de son promoteur ?

"C'est sur le sentiment du chemin parcouru que j'achève mon mandat. Mon départ ne remettra pas en cause un groupe en parfait état de marche dont la marque, Arkéa, a su affirmer son identité et son attractivi­té. Mon successeur, dont le choix relève des administra­teurs du Crédit Mutuel Arkéa, me trouvera à son entière dispositio­n".

Après le choc, Jean-Pierre Denis privilégie l'apaisement. Mardi matin, lors d'une conférence de presse en ligne, en présence d'Hélène Bernicot, directrice générale du Crédit Mutuel Arkéa et d'Anne le Goff, directrice générale déléguée, le charismati­que patron breton (depuis 2008) du Crédit Mutuel Arkéa a indiqué qu'il resterait un soutien et qu'il participer­ait à la réflexion sur sa succession.

Révélé par Le Télégramme jeudi dernier, son départ a d'abord pris le groupe bancaire de court, avant d'être confirmé lundi dans la soirée par un communiqué. Le dirigeant ne solliciter­a pas, lors de la prochaine assemblée générale du 11 mai, le renouvelle­ment de son mandat d'administra­teur et cessera de présider les fédération­s de Bretagne (CMB) et du Sud-Ouest (CMSO) ainsi qu'une quarantain­e de filiales.

Les conseils d'administra­tion du Crédit Mutuel Arkéa, de CMB et du CMSO, convoqués en urgence lundi, ont pris acte de cette décision. « Personne n'était au courant, ni à la direction, ni au conseil », confirme une source interne. Jean-Pierre Denis a évoqué une décision prise depuis un an mais reportée en raison de la crise sanitaire, pour ne pas « déstabilis­er l'entreprise ».

UNE SUCCESSION CONTRARIÉE ?

Son successeur n'est pas encore connu. Préparé depuis plusieurs mois par Jean-Pierre Denis, le passage de témoin ne se déroule visiblemen­t pas tout à fait comme prévu. « La fuite dans Le Télégramme a surpris le conseil d'administra­tion et les élus et fait capoter son plan de sortie. Il avait prévu l'arrivée d'un successeur de l'extérieur, un parachutag­e, et il fallait préparer le terrain, surtout dans un univers mutualiste. Du coup, il commence à y avoir des candidatur­es internes », décrypte une autre source interne.

Les cartes pourraient en effet être rebattues. Pour le moment, le duo exécutif composé d'Hélène Bernicot et d'Anne Le Goff, fonctionne bien. En binôme depuis octobre dernier pour piloter le navire (4,2 millions de clients, 10.500 salariés et 356 millions d'euros de résultat net en 2020), elles sont chargées de la mise en oeuvre du plan stratégiqu­e Transition­s 2024, dévoilé en février dernier. Collaborat­rices de longue date de Jean-Pierre Denis, elles assurent une efficace succession.

PROJET D'INDÉPENDAN­CE ENLISÉ

Président non-exécutif depuis l'an passé, Jean-Pierre Denis avant en effet pris du recul ces derniers mois et n'avait pas participé à la présentati­on des résultats annuels du groupe en février dernier.

L'incapacité du dirigeant à obtenir une modificati­on des statuts d'Arkéa en société à directoire et conseil de surveillan­ce, et à faire accepter une rémunérati­on variable de plus d'un million d'euros, avait sonné comme un désaveu. Et sans doute précipité le départ de son bras droit, Ronan Le Moal en février 2020, échaudé par l'enlisement du projet d'indépendan­ce du groupe, baptisé « Liberté », présenté en 2014 et « musclé » en 2015.

Malgré un bon bilan à la tête d'une banque qui s'est développée et a su innover, ce projet défendu à bout de bras par Jean-Pierre Denis, avec le soutien de salariés et de nombreux élus bretons, n'a pas encore trouvé de conclusion satisfaisa­nte. Il a provoqué une guérilla juridique sans fin avec les instances nationales du groupe Crédit Mutuel, au fil de batailles souvent perdues devant de nombreuses juridictio­ns.

Surtout l'hostilité des autorités de contrôle prudentiel semble avoir eu raison des volontés d'indépendan­ce. « La Banque centrale européenne a dit non », soutient une source proche de la Confédérat­ion. De son côté, le Crédit Mutuel Arkéa avait avancé une pause dans l'examen du projet jusqu'en 2024.

« Les autorités bancaires n'ont pas levé le petit doigt », se serait d'ailleurs plaint Jean-Pierre Denis hier durant le conseil. « Ce projet est mort et Jean-Pierre Denis le sait depuis un moment », estime une source interne au groupe breton.

Le dirigeant a reconnu mardi que la crispation des relations avec le Crédit Mutuel avait pesé dans sa décision. « L'organe central a fait le choix de me cantonner à des missions de surveillan­ce qui ont conduit à une restrictio­n des contenus de mes missions », a-t-il expliqué. « La Confédérat­ion a porté atteinte à ma liberté individuel­le », aurait même déclaré le dirigeant devant ses administra­teurs.

VERS UN APAISEMENT ?

Officielle­ment, le projet d'indépendan­ce est pourtant toujours d'actualité. Jean-Pierre Denis et les deux dirigeante­s exécutives l'ont rappelé mardi. « Pour préserver notre autonomie, sans perdre notre indépendan­ce, il n'y a pas d'autre choix que de se désaffilie­r », ont-ils indiqué. Le projet figure d'ailleurs en bonne place dans le programme du plan stratégiqu­e Transition­s 2024.

La nomination d'un nouveau patron pourrait être l'occasion de remettre sur les rails un dialogue plus apaisé entre le groupe Arkéa et les instances nationales du Crédit Mutuel. C'est d'ailleurs ce que reconnaît en filigrane Jean-Pierre Denis, parlant, avec son départ, « d'une dépersonna­lisation » du dossier.

Dans un communiqué diffusé lundi soir, au ton plutôt conciliant mais ferme sur le fond, la Confédérat­ion prend « acte du départ de Jean-Pierre Denis », saluant « l'artisan du développem­ent du Crédit Mutuel Arkéa ». Elle assure la direction générale et son ou sa successeur(e) de « tout son soutien pour que la stratégie du Crédit Mutuel Arkéa puisse s'épanouir au sein du Crédit Mutuel, dans le respect des principes d'unité, de subsidiari­té et de solidarité ».

Nicolas Théry, président de la Confédérat­ion et de l"Alliance fédérale du Crédit Mutuel, se dit prêt à se rendre au siège d'Arkéa à la rencontre des élus et des dirigeants. « Il vaudrait mieux se parler un langage de vérité », ont répondu les dirigeants d'Arkéa mardi matin, alors qu'en janvier une passe d'armes avait été déclenchée par l'adoption d'une « décision à caractère général relative au renforceme­nt de la cohésion du Groupe Crédit Mutuel ». Celle-ci avait été dénoncée comme une nouvelle manoeuvre de centralisa­tion.

Une page de l'histoire du Crédit Mutuel Arkéa va bientôt se tourner. En interne, certains expriment l'espoir « de retrouver une maison commune un peu plus apaisée ».

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