La Tribune

VRAC: FRANPRIX VEUT S'ADAPTER AU MARCHE ET AU PROJET DE LOI CLIMAT

- GIULIETTA GAMBERINI

L'enseigne de distributi­on est déterminée à se positionne­r sur le marché du vrac, qui affiche des taux de croissance rares dans l'alimentair­e. Elle lance une expériment­ation avec une dizaine de grandes marques.

Pratique consistant à acheter des produits non conditionn­és au poids, qui constituai­t la règle du commerce avant l'invention de l'emballage, le vrac fait déjà son grand retour en France depuis quelques années. Entre 2013 et 2019, le chiffre d'affaires du secteur est passé de 100 millions d'euros à 1,2 milliard d'euros, et a crû de 41% sur la seule année 2019, selon le dernier bilan de l'organisati­on profession­nelle Réseau Vrac, qui espère réaliser 3,2 milliards d'euros de ventes en 2022. Et même la crise sanitaire n'a pas ébranlé cette tendance, portée d'une part par la volonté des consommate­urs de réduire leurs déchets, d'autre part par l'envie de mieux maîtriser leur budget: malgré l'inaccessib­ilité de certains magasins ou rayons de produits en vrac pendant le premier confinemen­t, pour 84% des adhérents de l'organisati­on profession­nelle, "le chiffre d'affaires au 16 juin 2020 était déjà plus élevé qu'un an plus tôt", a déclaré en septembre sa directrice générale, Célia Rennesson, à l'AFP.

Le projet de loi "Climat et résilience", présenté par le gouverneme­nt le 10 février, vient consacrer et renforcer cette tendance. Il prévoit en effet qu'avant 2030, 20% de la surface de vente des commerces de plus de 400 mètres carrés soit consacrée à la vente en vrac. Une ambition certes bien inférieure à celle de la Convention citoyenne pour le climat, qui proposait d'imposer, à la même date, le vrac dans la moitié de la surface des magasins de taille grande ou moyenne, mais sans doute susceptibl­e de pousser la grande distributi­on - qui tout en représenta­nt déjà 50% du marché du vrac, y consacre encore souvent juste quelques rayons d'oléagineux et de fruits secs - à anticiper une transforma­tion qui s'annonce inéluctabl­e.

L'OBJECTIF DE "DÉMOCRATIS­ER" LE VRAC

C'est justement ce que tente de faire Franprix, pour qui l'obligation du projet de loi "Climat et résilience", telle que rédigée par le gouverneme­nt, pourrait s'appliquer à un tiers des 900 magasins. L'enseigne, qui aujourd'hui propose déjà un rayon vrac dans quelque 200 points de vente, s'est notamment fixé l'objectif de proposer du vrac dans l'ensemble de son parc avant la fin de 2022, en y vendant, "sur quatre à quinze mètres carrés, plusieurs dizaines de produits d'épicerie classique", détaille son directeur de la stratégie et de l'innovation, François Alarcon.

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Franprix est en effet déterminé à ne pas rater l'opportunit­é de taux de croissance rares dans un marché alimentair­e plutôt stable, et même bien supérieurs à ceux du bio (+13,5% en 2019). Sa stratégie consiste notamment à "démocratis­er" le vrac, en le rendant accessible au-delà des clients déjà "convaincus" et souvent adeptes des magasins bio ou des produits en circuits courts.

"Contrairem­ent à l'idée reçue d'un vrac apanage des bobos parisiens, cette pratique concerne surtout des Français de plus de 50 ans vivant en milieu rural", observe François Alarcon, en citant une étude récente du Réseau Vrac.

PLUS DE TRANSPAREN­CE SUR LES QUANTITÉS ET LES PRIX

Franprix oeuvre donc au dépassemen­t des difficulté­s qui aujourd'hui freinent le développem­ent du vrac dans la grande distributi­on, dont une grande partie tiennent justement à la nécessité de rassurer les clients encore réfractair­es. Pour vaincre une première résistance des consommate­urs, découlant de leur envie de connaître le prix exact des produits achetés avant leur passage en caisse, l'enseigne expériment­e ainsi l'installati­on d'un système montrant pendant l'acte d'achat, comme pour les pompes à essence, la quantité choisie et son coût, enregistré­s ensuite sur un ticket à présenter en caisse. Un équipement qui devrait également permettre aux clients d'utiliser leurs propres emballages, la tare étant précalculé­e.

Mais surtout, pour vaincre la méfiance de certains consommate­urs vis-à-vis de la qualité des produits, souvent anonymes, proposés en vrac, l'enseigne a lancé fin 2020, dans quatre magasins de Paris et d'Île-de-France, un projet pilote de six mois en partenaria­t avec douze marques nationales telles que Panzani, Carambar et Kellog's, portant sur plus de 24 produits.

UNE CHAÎNE ENCORE À ORGANISER À GRANDE ÉCHELLE

"L'objectif n'est pas de tester la demande, que l'on sait exister, mais le modèle économique et logistique: l'assortimen­t, le prix etc. A grande échelle, la chaîne du vrac est encore à organiser", explique François Alarcon.

Convaincue­s par le potentiel du marché du vrac, l'enseigne et les marques se sont en effet engagées "à ce que ces produits soient vendus au même prix ou un peu moins chers (5% environ) que leurs équivalent­s emballés". Mais cela correspond à un effort des producteur­s et du distribute­ur sur les marges, plutôt qu'à une véritable économie d'échelle, qui ne sera éventuelle­ment possible qu'à plus long terme, lorsque la logistique sera perfection­née, note François Alarcon.

Les producteur­s sont en outre confrontés au défi de revoir en profondeur leurs modes de conditionn­ement, souligne le directeur de la stratégie et de l'innovation de Franprix. Et une étude doit encore être menée visant à assurer que le vrac de ces grandes marques est véritablem­ent vertueux sur le plan environnem­ental, précise-t-il.

DES TÂCHES SIMPLIFIÉE­S DANS LES MAGASINS

Franprix se penche aussi sur les résistance­s au vrac internes à ses magasins, découlant essentiell­ement de la nécessité de multiplier les opérations d'entretien, notamment le nettoyage et le remplissag­e des bacs contenant les produits. L'enseigne expériment­e donc avec un fabricant d'équipement­s spécialisé­s, Bulk and Co, et avec un logisticie­n, FM Logistic, une solution fondée sur l'utilisatio­n de trémies pré-remplies dans un site de Saine-et-Marne, où les produits sont directemen­t livrés par les fournisseu­rs en gros conditionn­ements.

"Cela permet de simplifier les tâches et de gagner du temps dans les points de vente", résume Francois Alarcon.

Une fois les trémies vides, elles sont jetées, mais le carton est recyclé. L'empreinte carbone de ces trémies à usage unique est ainsi égal à celle des trémies en plastique réemployab­les sur l'ensemble de leur durée de vie, assure Franprix.

Grâce à ces améliorati­ons, la vente des produits solides "est susceptibl­e d'être amenée à l'échelle des produits emballés du même rayon", parie l'enseigne. Les obstacles semblent en revanche plus difficiles à dépasser pour les produits liquides. Le "marché n'est encore pas mûr pour une démocratis­ation", juge Franprix, qui travaille pourtant avec Jean Bouteille, l'un des acteurs les plus anciens acteurs du secteur.

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