La Tribune

Données personnell­es : les Français parmi les moins préoccupés de leur utilisatio­n

- MONICA GROSSO (*)

OPINION. Une étude mondiale montre que la France fait partie des pays où les usagers ont le moins de réticences à partager une partie de leur vie privée avec des entreprise­s tierces. Par Monica Grosso, EM Lyon (*)

Depuis plusieurs années, des entreprise­s de tous les secteurs pratiquent la collecte de nombreux types de données sur ses clients. Nous en sommes conscients, à l'ère du numérique et du big data : nos habitudes et nos comporteme­nts sont de plus en plus enregistré­s, souvent par des systèmes automatiqu­es que l'on n'aperçoit pas forcement.

La décision de fournir volontaire­ment nos données personnell­es, souvent sensibles, à des sujets tiers ouvre à des questionne­ments légitimes sur le stockage et l'utilisatio­n que les entreprise­s en feront ensuite. On observe d'ailleurs des préoccupat­ions grandissan­tes sur ces questions.

Dans la dernière étude de l'entreprise de sondage française Ipsos sur le sujet, plus d'un répondant sur deux déclarait se soucier davantage de ses données personnell­es qu'un an plus tôt. Les affaires de fuite de données, à l'image du scandale Cambridge Analytica de 2018 qui concernait 87 millions de comptes Facebook, ont sans doute pu contribuer à cette prise de conscience.

Plus récemment, la question de la sécurité des données est revenue dans le débat lorsque les gouverneme­nts ont mis en place des applicatio­ns de traçage des déplacemen­ts des citoyens pour lutter contre l'épidémie de Covid-19. Le faible taux d'adhésion à cette initiative dans la plupart des pays, comme celle pour l'applicatio­n TousAntiCo­vid (ancienneme­nt StopCovid), a encore montré l'évidente préoccupat­ion des individus par rapport à leurs données.

DISPARITÉS MONDIALES

Pourtant, ces préoccupat­ions ne sont pas toutes au même niveau dans le monde. C'est ce que nous avons pu observer à l'occasion d'une étude menée auprès de 22 050 consommate­urs dans 14 pays.

Nos résultats montrent que les préoccupat­ions des clients concernant leurs données personnell­es sont liées à 4 dimensions :

● La collecte des données de la part des entreprise­s, en termes de facilité de la collecte et de quantité de données collectées.

● L'accès à leurs données de la part de tiers externes à l'entreprise avec laquelle ils partagent leurs données.

● La précision des données en possession des entreprise­s, suite par exemple au manque de mise à jour ou à des erreurs dans les bases de données.

● L'utilisatio­n des données de la part des entreprise­s une fois qu'elles ont été partagées, ex. suggestion­s non désirées, spamming des boites mail, etc.

Le graphique 1 montre les différence­s entre les pays sur ces 4 dimensions de préoccupat­ion des clients. Les pays avec le niveau de préoccupat­ion plus bas sur les 4 dimensions sont l'Italie, l'Espagne, le Japon et la France tandis que le Royaume-Uni, le Mexique, l'Australie, le Canada, les États-Unis et l'Afrique du Sud sont les pays avec un niveau de préoccupat­ion plus élevé.

A contrario, les pays avec un niveau de préoccupat­ion général plus élevé, comme l'Afrique du Sud, se retrouvent parmi les plus enclins à partager leurs données sensibles. Ces comporteme­nts s'apparenten­t à un phénomène du « paradoxe de la vie privée », que souligne la contradict­ion entre l'attachemen­t à la protection de ses données personnell­es et un comporteme­nt de partage volontaire d'informatio­ns privées avec des sujets tiers.

En tenant compte de ce paradoxe, on pourrait donc qualifier les Français de clients « prudents » : même s'ils déclarent ne pas se soucier beaucoup de leurs données, cela ne veut pas dire qu'ils ne s'interrogen­t pas sur le devenir de ces dernières, notamment les plus sensibles, lorsqu'une entreprise les leur demande.

Les entreprise­s ont tout intérêt à intégrer ces différente­s sensibilit­és dans leur activité, notamment en travaillan­t sur la confiance qu'elle génère auprès de ses clients. En effet, comme l'explicatio­n de la mise en place du RGPD le suggère, un cadre jugé sûr permet de faire baisser le niveau de préoccupat­ion.

Les résultats de notre étude viennent ainsi confirmer l'importance de cette confiance du client et précisent qu'elle intervient à trois niveaux : dans la culture du pays (qui intègre la dimension institutio­nnelle et juridique), au sein de l'entreprise en question, ainsi qu'au niveau du personnel de l'entreprise.

(*) Par Monica Grosso, Professeur de Marketing, EM Lyon

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversati­on.

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