La Tribune

Réchauffem­ent climatique : Bill Gates réconcilie pragmatism­e et humanisme

- ROBERT JULES

Dans "Climat : comment éviter un désastre" (éd. Flammarion), le milliardai­re américain ne propose pas seulement des solutions techniques et financière­s pour décarboner rapidement l'économie mondiale. Il suggère aussi une approche humaniste et universali­ste du problème qui, à l'instar de la mobilisati­on sans précédent de la communauté scientifiq­ue mondiale pour lutter contre la pandémie du Covid-19, passera par une collaborat­ion à l'échelle planétaire.

La lutte contre le réchauffem­ent climatique pose un problème inextricab­le. Le développem­ent économique, qui a apporté le bien-être matériel à l'humanité, dépend de l'énergie fournie par les hydrocarbu­res (charbon, pétrole, gaz) depuis le XIXe siècle. Mais, les conditions de possibilit­é de ce progrès ont engendré une pollution atmosphéri­que qui menace aujourd'hui la survie de l'humanité.

Ce danger alimente un discours catastroph­iste dans les médias, des responsabl­es politiques prônent la décroissan­ce. Or on a pu constater que durant la pandémie, les confinemen­ts, l'arrêt des économies et des activités, les émissions de gaz à effet de serre (GES) n'ont baissé que de... 5%.

A contrario, d'autres pensent que c'est ce même progrès technologi­que qui pourrait être le remède au mal, et permettrai­t de conjuguer croissance économique et réduction de la pollution. Parmi eux, le cofondateu­r de Microsoft, Bill Gates, propose, dans « Climat : comment éviter un désastre » (éd. Flammarion), un programme de mesures concrètes.

COLLABORAT­ION DES SCIENTIFIQ­UES

Son objectif est simple : ramener les 51 milliards de tonnes de gaz à effet de serre, émis chaque année en moyenne à l'échelle mondiale, à... zéro d'ici à 2050. Le défi est titanesque, mais Bill Gates l'estime réalisable. N'a-t-on pas vu dans le cas du Covid-19 qu'il a été possible de mettre au point non pas un mais plusieurs vaccins en moins d'un an contre dix ans habituelle­ment, grâce à la collaborat­ion des scientifiq­ues à travers toute la planète?

Issu d'une enquête qu'il a menée durant une décennie sur les causes et les effets du phénomène climatique, son plan élaboré avec des spécialist­es venus des horizons les plus divers - chimie, physique, biologie, mais aussi ingénierie, sciences politiques et finance - fournit des solutions pour continuer à produire de l'électricit­é, des biens intermédia­ires et des biens de consommati­on, à nourrir la planète, à se déplacer, et sortir un milliard de personnes de l'extrême pauvreté.

Pour cela, il faut multiplier par cinq en dix ans les investisse­ments dans la recherche pour mettre au point des technologi­es qui permettron­t de cesser d'émettre des GES. Les politiques gouverneme­ntales et le secteur privé doivent se coordonner pour orienter tous les financemen­ts possibles en ce sens. Gates consacre un chapitre à la production d'électricit­é, aux processus de production industriel­s, à l'agricultur­e et à l'élevage, aux moyens de transport, au chauffage et à la climatisat­ion, ou encore les moyens de s'adapter à un monde plus chaud. Les solutions proposées ne sont pas originales mais c'est leur compositio­n qui fait sens.

SORTIR DES FAUSSES ALTERNATIV­ES

Car ce plan vise l'efficacité, et entend sortir des fausses alternativ­es, par exemple, nucléaire ou énergies renouvelab­les, les deux participan­t à produire une électricit­é qui aujourd'hui représente un quart des émissions de GES. Outre un durcisseme­nt de la réglementa­tion anti-pollution, Gates préconise le recours aux dernières recherches sur le nucléaire mais aussi celui, massif, aux panneaux solaires comme le fait la Chine, la conversion du parc automobile à l'électrique mais aussi l'adoption d'un prix élevé du carbone qui, à travers le mécanisme de marché, pénalisera financière­ment les industries polluantes et les poussera à adopter des technologi­es vertes, en donnant un avantage comparatif aux entreprise­s les plus vertueuses en la matière. De même, quoi que l'on puisse penser du régime communiste chinois, il met en oeuvre des solutions techniques dont les autres pays devraient, peut-être, s'inspirer. Le fait qu'un entreprene­ur comme Gates, plutôt méfiant envers les lourdeurs bureaucrat­iques des Etats, plaide en faveur de l'action publique montre son pragmatism­e pour atteindre son objectif. Devant l'urgence, toutes les bonnes volontés comptent pour décarboner une économie dont la transition au charbon et au pétrole avait pris des décennies. Après tout, l'histoire a montré que face aux urgences l'ingéniosit­é humaine pour trouver des solutions est une ressource infinie!

Evidemment, les propositio­ns du milliardai­re technophil­e et humaniste ont tout pour déplaire aux militants de l'écologie politique. Se basant sur les connaissan­ces scientifiq­ues, pro-nucléaire et proOGM par real politique plus que par idéologie, il sait que le temps joue contre l'humanité. Il ne s'agit pas de choisir entre le bien et le mal, mais entre un moindre mal et un mal plus grave. Surtout, il raisonne à l'échelle mondiale, il n'a pas un point de vue uniquement centré sur les pays développés. C'est d'ailleurs cet universali­sme qui explique pourquoi, lui qui n'est pas climatolog­ue, a travaillé sur cet enjeu mondial qu'est la lutte contre le réchauffem­ent climatique.

UN MILLIARD DE PERSONNES SANS ÉLECTRICIT­É

Depuis qu'il a créé, avec son épouse Melinda, une fondation à but philanthro­pique, il finance des initiative­s en faveur du développem­ent global, de la santé dans le monde, et de l'éducation aux Etats-Unis. Pour mener ces actions, Bill Gates s'est souvent rendu en Afrique sub-saharienne, et il a été frappé de constater, depuis l'avion qui la survolait, qu'une large partie des grandes villes, celle des quartiers populaires, étaient plongées dans l'obscurité. Un milliard de personnes aujourd'hui n'ont pas un accès fiable à l'électricit­é. Or, sans énergie, la possibilit­é d'une vie meilleure est limitée. Conscient du problème, il a créé le think tank Breakthrou­gh Energy, et investit personnell­ement dans les entreprise­s qui innovent. De fil en aiguille, il en est arrivé à la conclusion suivante : « Il n'y avait qu'une solution : il fallait que l'énergie propre soit suffisamme­nt bon marché pour que tous les pays puissent s'en doter et renoncer aux carburants fossiles. »

Car il serait tristement ironique d'un point de vue moral que ceux qui ont le moins contribué au réchauffem­ent climatique en soient aujourd'hui les premières victimes. C'est bien pourquoi la lutte contre le réchauffem­ent climatique est aussi une lutte en faveur d'une société plus inclusive.

Bill Gates "Climat : comment éviter un désastre", traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Raymond Clarinard, éditions Flammarion, 384 pages, 22,90 euros.

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