La Tribune

Covid-19 : ce que la science a appris sur ce coronaviru­s imprévisib­le

- FLORENCE PINAUD

Un an après le premier épisode de confinemen­t, que sait-on vraiment de ce SARS-CoV-2 ? Que nous ont appris les études sur sa généalogie et son adaptation à ses nouveaux hôtes que nous sommes ? Quelles sont les dernières révélation­s de la science sur cet ennemi mondial microscopi­que ? Bilan de santé du coronaviru­s, de ses mutations et des espoirs de s'en débarrasse­r.

D'OÙ VIENT-IL ?

Le compte rendu de la délégation de chercheurs qui vient de rentrer de Chine sous la bannière de l'OMS pour enquêter sur les origines du coronaviru­s devenu pandémie ne nous a pas appris grandchose : aucun argument confortant l'une ou l'autre des différente­s hypothèses sur l'origine du virus. Sortie du Laboratoir­e P4 ? Pangolin ? Marché aux animaux de Wuhan ? Aucune certitude. Mais les microbiolo­gistes français ne s'en étonnent pas : alors que les chercheurs de cette délégation étaient complèteme­nt encadrés par les autorités chinoises, pouvait-on s'attendre à des révélation­s ? Seul espoir, peut-être cette première ouverture très modeste des frontières permettra-t-elle à d'autres enquêteurs d'aller un peu plus loin.

Car pour Étienne Decroly, virologue au CNRS et spécialist­e des virus émergents au laboratoir­e Architectu­re et fonction des macromoléc­ules biologique­s à Marseille, faire aboutir cette enquête est essentiel. « Pas question d'imaginer des scénarios complotist­es. Mais nous avons besoin de comprendre l'origine du SARS-CoV-2 pour éviter de voir la même situation se reproduire dans quelques années. Concernant l'origine du virus nous possédons deux certitudes permettant de comprendre les chaines de transmissi­ons originelle­s. Des virus cousin du SARS-CoV-2 ont été échantillo­nnés chez les chauves-souris du Sud de la Chine et du Cambodge. Et l'épidémie a manifestem­ent explosé initialeme­nt à Wuhan. Actuelleme­nt, Il nous manque tous les maillons de la chaîne de transmissi­on et nous ne disposons que d'hypothèses. »

Concernant la généalogie du CoV-2, différents scénarios ont été élaborés. Le plus inquiétant est celui d'un virus créé par un laboratoir­e pour terrasser l'humanité, comme dans le film de Terry Gilliam sorti en 1995 : "L'armée des douze singes". Plus sérieuseme­nt, le virus ancestral est sans doute un microbe de chauve-souris puisque 96% de son patrimoine génétique est identique à celui du virus RaTG13 identifié sur ces animaux dans une mine du Yunnan en 2013. On a longtemps pensé qu'un autre mammifère lui aurait servi d'hôte intermédia­ire. Mais la responsabi­lité du pangolin a été écartée et, selon certains virologues, il a pu se transmettr­e directemen­t d'une chauve-souris à un humain.

Une piste s'intéresse à cette mine de cuivre du Yunnan, située à 1.500 km de Wuhan. En 2012, une épidémie de pneumonie sévère avait frappé six mineurs y travaillan­t et fait trois morts. Par la suite, plusieurs nouveaux coronaviru­s ont été identifiés dans cette mine, dont ce cousin RaTG13, le plus proche actuelleme­nt connu du SARS CoV-2. Ainsi que d'autres pour lesquels les séquences génétiques n'ont pas été publiées. Ces coronaviru­s étaient en cours d'études dans différents laboratoir­es chinois, comme l'un de ceux de Wuhan. Selon Étienne Decroly, le scénario de l'accident de laboratoir­e avec l'échappemen­t d'un de ces virus dans la nature n'est pas impossible. Même si ces accidents restent très rares, puisque les virus dangereux sont étudiés dans des laboratoir­es de haute sécurité P3 ou P4.

Le spécialist­e des nouveaux virus évoque aussi les risques que posent certaines études sur les phénomènes de "saut de barrières" d'espèce. « Certains laboratoir­es mènent des expérience­s de transfert de virus d'une espèce animale vers une autre pour comprendre les mécanismes de franchisse­ment de barrière. Leur compréhens­ion permet de développer des outils pour mieux surveiller les virus existants et se prémunir de l'émergence de zoonoses. Mais cette pratique comporte des risques. En étudiant ces processus il est possible de sélectionn­er des virus capables d'infecter plus efficaceme­nt des cellules humaines et donc potentiell­ement dangereux chez l'homme. » Selon d'autres chercheurs, le fait que le CoV-2 possède une particular­ité qui lui permette d'infecter les cellules humaines de façon exceptionn­elle alimente aussi les doutes. Un des coronaviru­s trouvé dans la mine du Yunnan (aujourd'hui interdite d'accès) et modifié en labo pour mener des expérience­s aurait-il pu s'échapper par défaut de sécurité ?

Concernant l'origine de l'épidémie de CoV-2, les études se poursuiven­t et devront se concentrer sur tous les prélèvemen­ts issus des premiers patients contaminés de par le monde, pour essayer de remonter à la source initiale de l'infection : le patient zéro. Les difficulté­s actuelleme­nt rencontrée­s par l'OMS dans cette recherche suggèrent aussi qu'il faudra redéfinir les moyens d'investigat­ion de l'Organisati­on en cas d'épidémie. « Sa mission doit être la protection de la population mondiale face à l'émergence des épidémies, mais elle n'a pas les moyens suffisants pour l'assurer », estime Étienne Decroly. Peut être devra-t-on renégocier ses mandats pour améliorer son efficacité. L'Organisati­on devrait disposer d'un accord préalable pour envoyer ses enquêteurs lors de l'émergence d'une épidémie - quel que soit le pays touché- « afin d'identifier l'origine du microbe et de maîtriser au mieux son extension.»

COMMENT NOUS CONTAMINE-T-IL ?

La question revient sur les lèvres à chaque annonce de fermeture d'établissem­ents ou de confinemen­t provisoire. Est-on plus facilement contaminé dans un bar ou dans un musée, que dans le métro ou à La Poste ? Sur le sujet, peu d'études mesurent encore bien le risque de contaminat­ion réel suivant les situations.

Première certitude : la contagion se fait essentiell­ement par le souffle. Le virus se loge dans le nez et la gorge, il est porté par les micro postillons de l'air que l'on expire. De ce fait, le port du masque est indispensa­ble pour éviter de distribuer ses miasmes tout autour de soi, en particulie­r lorsque l'on parle fort, que l'on rit et que l'on tousse.

Deuxième certitude : le risque reste très limité à l'extérieur avec seulement 6 à 7% des clusters issus de ce type de rassemblem­ents. Comme le confirme Xavier Lescure, spécialist­e des maladies infectieus­es à l'hôpital Bichat-Claude Bernard : « Il est peu probable que les gens se contaminen­t dans la rue, sauf aux terrasses de bar, dans les rassemblem­ents denses ou les rues bondées. Chanter, rire ou éternuer génère des postillons qui peuvent aller plus loin que deux mètres devant soi voire générer des aérosols. » Si le taux de contaminat­ion augmente lors des épisodes de pollution, deux hypothèses doivent être départagée­s. Le virus s'accroche-t-il aux atomes de polluant, contaminan­t ainsi ceux qui le respirent ? Ou bien les personnes qui vivent dans des régions polluées risquent-elles plus de développer des formes graves parce que leur organisme est affaibli par la pollution ?

Troisième certitude : le risque de contaminat­ion est plus fréquent en milieu clos avec des facteurs aggravants clairement définis : le temps passé et la densité de personnes, sans parler du masque sur le menton. Mais où et dans quelles conditions ?

Selon une étude de l'Institut Pasteur, les cercles les plus propices restent le milieu familial (33 %), le milieu profession­nel (29 %) et le milieu amical, avec des situations où l'on passe un moment à échanger un café ou un repas : on parle fort, sans masque et, conviviali­té aidant, on en oublie les gestes barrière. En même temps, les principale­s identifica­tions se faisant autour des cas contacts, il est difficile de mesurer les risques réels dans des lieux où l'on croise de nombreux inconnus, comme les bars ou les transports en commun.

« Souvent, on ne sait pas où la personne a été contaminée, confirme Xavier Lescure. Mais même sans études médicales confirmées, on peut garder une part de bon sens et comparer les situations avec la contaminat­ion dans d'autres maladies respiratoi­res proches comme celle de la grippe ou des rhumes. Au bout d'un an, on sait quand même à peu près comment se déroule la contaminat­ion même s'il existe toujours une part d'incertitud­e notamment pour la question des aérosols. Les aérosols restent plus longtemps en suspension dans l'air que les postillons qui retombent plus vite. »

Pour confirmer les intuitions en l'absence d'applicatio­ns de suivi, les enquêtes doivent adopter d'autres méthodes que le simple questionna­ire. Lors de la première vague, des chercheurs américains s'étaient penchés sur la géolocalis­ation des mobiles des cas contaminés, ainsi que sur les principaux déplacemen­ts dans les grandes métropoles. Publiée dans la revue Nature le 10 novembre dernier, les résultats de leur étude sont clairs : on se contamine surtout dans les restaurant­s, salles de sport, bars, hôtels et lieux de rassemblem­ents religieux. Récemment, des études ont bien montré que pendant la première vague, les serveurs de bar ont été les plus contaminés, juste après les soignants.

Enfin, au-delà des micro postillons qui sont devenus aussi célèbres que le Rzéro, les emballages des supermarch­és et les poignées de portes semblent moins contaminan­ts qu'on ne le pensait au début. Xavier Lescure refait un point sur ces autres modes de contaminat­ion : « Le virus peut aussi être transmis par contact avec la peau d'une personne contaminée qui aurait toussé ou soufflé sur sa main, beaucoup moins par contact avec une surface qui aurait été contaminée par des micro postillons et encore plus rarement par aérosolisa­tion, c'est-à-dire par respiratio­n de l'air qui aurait été contaminé par le souffle d'un passant. » Ce qui n'empêche pas de se laver les mains et de pratiquer le gel hydro alcoolique... ça protège toujours de la gastro.

COMMENT S'ADAPTE-IL ?

Un sujet sur lequel tous les scientifiq­ues s'accordent, le CoV-2 réagit comme tous les organismes vivants : il s'adapte à son écosystème - c'est-à-dire nous - avec un instinct de survie. Et comme tout organisme vivant, il tend à se multiplier le plus possible, quitte à devoir évoluer pour se montrer plus performant. Du coup, à chaque cycle de réplicatio­n, de nombreux nouveaux virus, des variants légèrement différents, sont produits. La majorité d'entre eux sont des mutants moins performant­s et vont disparaitr­e. D'autres, comme le célèbre "variant anglais" gagnent en efficacité de transmissi­on et remplace rapidement ses prédécesse­urs. Plus récemment il a été rapporté qu'il pourrait aussi être responsabl­e de plus de complicati­ons graves. Un phénomène auquel on s'attendait, comme l'explique Julia Dina, maître de conférence­s et praticien hospitalie­r au CHU de Caen : « Les virus de ce type ne restent pas figés, ils produisent toujours un grand nombre de variants, par défaut de mécanismes de correction­s au cours de la réplicatio­n de ces virus dans nos cellules. Ces variants sont plus ou moins dangereux en fonction de leurs caractéris­tiques, ce qui explique la manière dont ils s'imposent à la place du virus initial. Actuelleme­nt, les virologues s'inquiètent de la mutation E484K rapportée initialeme­nt dans le variant sud-africain. »

Depuis, cette mutation dont on entend parler a été mise en évidence dans d'autres variants identifiés dans le monde. Une convergenc­e qui s'explique sans doute par le fait qu'elle pourrait donner un petit avantage aux virus qui ont subi un "bug" en se répliquant dans nos cellules. Ils sont ainsi devenus plus performant­s que le SARS-CoV-2 "original" pour contaminer et infecter. « Cette mutation E484K induit d'une petite modificati­on à la surface du virus, sur la protéine Spike qui lui permet d'entrer dans nos cellules », explique Bruno Coutard, professeur de virologie à l'Université Aix-Marseille. Cette nouvelle forme ne l'empêche pas de continuer à pénétrer dans les cellules pour les infecter, mais elle lui permet de ne plus être reconnu par les certains anticorps issus d'une première infection. Elle pose une nouvelle question : une fois bien adapté pour échapper à cette réponse immunitair­e, la dérive génétique du virus est-elle arrivée à un point de non retour ? Ou peut-elle encore modifier cette partie pour échapper aux anticorps développée­s contre ce nouveau variant, tout en conservant son pouvoir infectieux ?»

Pour les épidémiolo­gistes, une autre mutation sans que CoV-2 ait assez changé pour que nos cellules ne le laissent plus entrer pourrait transforme­r la Covid en maladie saisonnièr­e comme la grippe. Une maladie que l'on peut attraper même si on l'a déjà eue. Et qui nécessite un rappel vaccinal chaque année avec un cocktail adapté aux nouvelles mutations de la saison. Un risque qui impose un suivi de la dérive génétique du virus pour ne pas se laisser prendre de court par ses mutants. « Quand un variant émerge, on mesure son impact suivant qu'il se révèle plus apte à contaminer, plus pathogène », conclut Bruno Coutard. « Suivre l'évolution des ces sous-population­s virales que sont les variants aide à comprendre la dynamique de l'épidémie et à élaborer des modèles prédictifs. »

POURRA-T-ON S'EN DÉBARRASSE­R UN JOUR ?

Sur le sujet, la science nous a appris que l'éradicatio­n totale d'un nouveau virus est une illusion. Seule la variole a complèteme­nt disparu de la planète avec le vaccin, le virus n'existe plus que sous surveillan­ce dans des laboratoir­es biologique­s sécurisés. Mais un microbe de chauve-souris capable de s'adapter à l'homme pourra toujours revenir nous empoisonne­r la vie s'il trouve par hasard une nouvelle façon de muter efficace. Encore aujourd'hui, des micro phénomènes épidémique­s de peste ou de choléra surviennen­t ça et là dans des pays où le système de santé est moins développé que le nôtre. Pour les réduire, nous devrions déjà revoir notre rapport à la nature et cesser de braconner des animaux sauvages exotiques et raser des forêts tropicales dans lesquelles notre espèce croise des virus inconnus qui pourraient en profiter pour s'intéresser sérieuseme­nt à nous.

Bien sûr, un triptyque tester/tracer/isoler efficace nous aiderait aussi à mieux maîtriser la propagatio­n du virus et à en réduire l'impact. Bien sûr, des traitement­s efficaces et des vaccins bien calibrés et correcteme­nt distribués nous aideraient à diminuer l'engorgemen­t des hôpitaux et le nombre de décès par Covid. Mais un an après le premier confinemen­t, on est encore loin de l'efficacité des pays asiatiques comme Taiwan ou le Vietnam pour gérer la vie sociale en limitant le risque de contaminat­ion. Nous allons pourtant devoir apprendre à le faire sérieuseme­nt car même avec vaccin et traitement­s pharmaceut­iques, la science nous a bien expliqué que nous allons devoir apprendre à vivre avec ce nouvel habitant de la planète et trouver des moyens pour maitriser sa propagatio­n.

> Dossier : La course aux vaccins

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