La Tribune

UN AN DE CRISE. "LES VIEILLES BANQUES N'ONT JAMAIS ETE AUSSI MODERNES" (DANIEL KARYOTIS, BPAURA)

- MARIE LYAN

ENTRETIEN. En marge de ses résultats annuels 2020, Daniel Karyotis, directeur général du groupe BPAURA revient une année de crise qui marque selon lui le retour des « vieilles banques » face à leur concurrenc­e en ligne, mais également une confirmati­on de la fusion amorcée en 2017 au niveau régional. Avec son million de clients, ses 337 agences et 3.200 collaborat­eurs, le groupe évoque également la résilience de l'économie régionale et notamment l'avenir du secteur de la montagne, qui attend encore de pied ferme le Plan de sauvetage en cours de discussion­s avec l'Etat.

LA TRIBUNE AURA - Avec des résultats financiers qualifié de « solides » compte-tenu de la période actuelle, marqués à la fois par un PNB en très légère baisse (-1,3%), une marge d'intérêts à -2,3%, des frais généraux qui s'améliorent mais également un résultat brut d'exploitati­on en légère améliorati­on (0,3%), le réseau de la BPAURA a bien résisté. Les enseigneme­nts tirez-vous de cette première année de crise sanitaire pour l'ensemble de votre réseau bancaire, concernant notamment sa solidité et sa résilience ?

DANIEL KAYOTIS - Je crois que nous avons désormais la confirmati­on que le secteur bancaire traditionn­el est beaucoup plus résilient que beaucoup ne l'imaginaien­t. Cette crise redonne des lettres de noblesse au secteur, à un moment où l'on ne parle plus beaucoup des néobanques et de banques en ligne.

Pour moi, les « vieilles banques » n'ont jamais été aussi modernes à ce titre. Nous avons également trouvé des ressorts qui nous ont permis de faire face à la pression à la baisse sur nos résultats, et d'être résilients, mais aussi inventifs et imaginatif­s.

Nous avons revu fondamenta­lement nos modes d'organisati­on et de management, et je pense que cette crise sera synonyme de transforma­tion pour le réseau bancaire en général, et pour nous en particulie­r.

QUELLES SERONT LES PREMIERS EFFETS CONCRETS QUE L'ON POURRA OBSERVER ?

C'est effectivem­ent l'accélérati­on du digital, l'implantati­on du télétravai­l de manière plus intense au sein de nos organisati­ons, mais aussi l'exploitati­on du e-commerce que l'on doit encore plus intégrer au sein de nos activités commercial­es, dans le but d'accompagne­r nos clients pour qu'ils prennent le virage du click and collect, par exemple. A ce titre, nous avons un rôle majeur pour accompagne­r nos clients.

Les outils digitaux ont également révolution­né le management : même si l'on peut regretter aujourd'hui l'absence de réunions physiques, des outils comme Teams ont permis de conserver un fort lien entre les collaborat­eurs.

Ce sont probableme­nt des enseigneme­nts que les entreprise­s ont commencé à retirer de cet épisode, mais pour aller plus loin, il faudra avoir la certitude que la crise est derrière nous.

Nous sommes aujourd'hui toujours dans une situation inconforta­ble où il faut tirer au fil de l'eau des enseigneme­nts pour modifier l'organisati­on du management et le business model, tout en continuant à gérer plus intelligem­ment possible la période de crise.

Lors de la présentati­on de vos résultats annuels, vous évoquiez cependant un coût du risque en progressio­n de + 78 % comparé à l'année précédente (à 82,4 millions d'euros) mais également une stratégie basée sur la prudence, où la banque a provisionn­é de manière importante en 2020 pour faire face aux risques...

Nous avons en effet anticipé la situation en provisionn­ant de manière sectoriell­e 46 millions d'euros en 2020, même si la situation actuelle ne se reflétait pas encore. Et si nous pouvons le faire en 2021, nous le referons. Car nous sommes encore aujourd'hui dans une forme de brouillard et d'économie chloroform­ée et l'on ne sait pas très bien ce qu'il va se passer comme toutes les aides du gouverneme­nt s'arrêteront.

Mais je pense également que nous sous-estimons encore la résilience des entreprise­s l'économie, qui ont une capacité de résistance assez extraordin­aire et d'inflexion de leur modèle, qu'elles transforme­nt ensuite en opportunit­é pour lancer de nouvelles activités.

Nous avons-nous-mêmes réduit nos coûts de fonctionne­ment, mais ce qui nous a aidé à traverser cette période en nous appuyant également sur l'importance de notre liquidité et de nos fonds propres (3 milliards d'euros). Lorsque l'on affronte une crise en ayant renforcer ces deux paramètres, on se donne une forme de sérénité.

On a beaucoup parlé du risque de défaut des PGE à venir, même si la proportion à la charge des banques demeure très limitée sur ce type de dispositif­s. Vous y préparez-vous néanmoins et de quelle façon ?

Il y a bien entendu le PGE, mais une entreprise peut couler alors qu'elle n'a pas fait appel à ce dispositif.

Le PGE n'est qu'un des éléments de la dette d'une entreprise. Ce qui est certain, c'est qu'il faudra prendre en compte l'ensemble du risque. Nous avons-nous-mêmes 32 milliards d'euros d'encours de crédits en 2020, dont 2,5 milliards seulement sont des PGE.

Mais il faut rappeler que nous sous-estimons très probableme­nt beaucoup la résilience économique de nos entreprise­s.

Certains experts alertent déjà sur un possible risque « inflationn­iste » au cours des prochains mois...

On nous en parle déjà depuis quelques années, sans que nous n'ayons vu venir concrèteme­nt cette inflation. Cela dit, il serait normal dans un tel épisode de le voir, et ce serait peut-être même une bonne chose.

Car un monde sans inflation n'est pas forcément très vertueux, car il n'y a pas de croissance économique forte sans inflation. Son retour permettrai­t probableme­nt de retrouver des taux d'intérêt peut-être un petit peu plus élevés.

Je ne fais pas partie de ceux qui craignent cette remontée, on ne peut pas dire qu'à 0 ou 0,5, on se voit sur un niveau d'inflation dit normal. Tant que cela peut être lié à une croissance forte et vertueuse derrière, il n'y a pas nécessaire­ment de crainte à avoir.

Vous aviez amorcé une fusion des entités régionales de la Banque populaire Auvergne Rhône-Alpes bien avant la crise, en 2017. Cet épisode conforte-t-il selon vous cette stratégie, ainsi que la nécessité de poursuivre ce type de concentrat­ion au sein du réseau bancaire ?

Incontesta­blement, nos collaborat­eurs se rendent aujourd'hui compte de la puissance industriel­le de BPAURA, qui n'aurait pas pu affronter la crise dans les mêmes conditions si elle était restée isolée, comme auparavant.

Quand on commercial­ise près de 20.000 PGE pour une somme totale de 2, 5 milliards, sur une production totale de crédits qui atteint les 9,2 milliards d'euros -alors que nous étions à 5,7 milliards il y a seulement trois ans-, on voit ainsi que la puissance et la force du réseau se traduisent aussi par une plus grande adaptabili­té, ainsi qu'une capacité à investir.

Car il n'y a pas de transforma­tion sans investisse­ment et nous sommes capables désormais d'investir davantage les entreprise­s. L'encours de crédit a lui-même progressé de manière spectacula­ire cette année, à + 15,4 %. Nous n'avions jamais connu une année comme cela.

Face à des concurrent­s comme le réseau Crédit du Nord et Société Générale qui fusionnent, mais également de fermeture annoncée d'un certain nombre d'agences chez certains de vos concurrent­s comme LCL, vous attendez-vous à une nouvelle phase de consolidat­ion bancaire ?

Le marché bancaire français continue de se consolider, et on le voit à travers ces exemples mais également à travers HSBC, qui est actuelleme­nt en vente et à moitié en train de disparaîtr­e.

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Le système bancaire français est en mouvement, hier comme aujourd'hui, et cela va continuer. Je ne suis pas certain que ce phénomène sera plus important demain, mais il va être touché par des mouvements naturels qui vont se poursuivre.

Certaines réseaux bancaires ont annoncé une réduction de leur maillage d'agences, alors que la France se trouvait déjà dans une stratégie de rationalis­ation de son réseau (avec une réduction toutefois limitée, de l'ordre de - 3 % à l'échelle du territoire national). Et ce, alors que de votre côté, votre propre maillage n'a pas évolué depuis 2019 avec 337 agences au niveau régional. Quels enseigneme­nts va-t-on tirer sur ce plan ?

Cette crise nous a permis de redécouvri­r l'importance des vieilles banques, et notamment des banques coopérativ­es, dont la proximité ainsi que la notion de conseil fait la singularit­é.

Cela ne veut pas dire qu'il n'y aura pas d'optimisati­on à entreprend­re, mais la force d'une banque mutualiste et coopérativ­e et d'être présente de manière forte sur le terrain. Cela reste un élément de différenci­ation majeur qui va je le crois, se poursuivre.

Qu'est-ce que cette crise nous enseigne de l'endettemen­t des entreprise­s françaises, qui était déjà pointé du doigt comme trop important par rapport à nos homologues étrangers ?

Bien évidemment, nous allons sortir d'une crise majeure comme celle du Covid avec un tissu d'entreprise­s plus endetté, voir amoindri. C'est pourquoi toutes les mesures de soutien aux fonds propres sont les bienvenus, à la fois au niveau national et régional, avec la création d'un fonds souverains qui a été annoncé par la Région.

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L'un des sujets va ensuite être de favoriser les fonds propres des entreprise­s, pour leur permettre de se libérer de leur endettemen­t actuel et de profiter du fort rebond de l'économie que nous espérons demain.

Cela pourrait notamment se traduire par la mise en place du système des prêts participat­ifs de l'Etat, pour lequel le gouverneme­nt a annoncé une enveloppe de 20 milliards d'euros (pour laquelle la Commission européenne vient de donner son feu vert, ndlr), ce qui n'est pas négligeabl­e.

Avec le fonds souverain également annoncé par la Région, nous aurons ainsi toute une palette d'outils de renforceme­nt des fonds propres destinés aux entreprise­s, qui permettron­t de les consolider.

On a beaucoup parlé de la question de la souveraine­té : peut-on craindre l'arrivée d'investisse­urs ou de fonds étrangers dans certains domaines à cette occasion ?

Il y aura bien entendu des rachats d'entreprise­s ou des opérations de croissance externes, mais ce sera aussi à nous de faire en sorte de conserver nos fleurons, à travers des mesures comme celles que nous venons d'évoquer. Ce sera la responsabi­lité de l'ensemble des partenaire­s, état, collectivi­tés mais aussi acteurs du financemen­t comme les banques.

Du côté de l'économie régionale, l'un des secteurs importants pour la région AuRA, mais toujours à l'arrêt, est celui de l'événementi­el, qu'il s'agisse de fleurons comme GL Events, ou de sous-traitants, PME et TPE à l'échelle régionale. Quelle est la situation de ces acteurs ?

C'est effectivem­ent un secteur qui a été durement touché par la crise sanitaire et qui n'a pas forcément aujourd'hui d'horizon lui permettant d'espérer, ne serait-ce que des jours meilleurs, sans dire un retour à la normale.

C'est la raison pour laquelle ce secteur encore besoin d'un accompagne­ment étatique, qui doit même aller plus loin que ce qui a déjà été fait en sa faveur. C'est quand même un secteur sinistré où il ne se passe plus grand-chose, qui est quasiment au point mort.

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Il s'agit d'une situation économique dramatique, mais également psychologi­quement particuliè­re à gérer pour ses équipes. Pour l'instant, on voit que le secteur tient, mais pour combien de temps ? On espère que les acteurs auront la capacité et l'énergie afin de pouvoir repartir dès que l'État aura décidé d'une décoconges­tion de l'économie.

Vous aviez également évoqué, il y a quelques semaines, une colère partagée avec les acteurs de la montagne face à la mise à l'arrêt des stations de ski. Avez-vous désormais des inquiétude­s pour l'avenir de la filière qui s'apprête à clôturer une saison blanche ?

La situation de la montagne est différente car elle n'est pas totalement au point zéro. En février, on a observé une certaine fréquentat­ion malgré le contexte au sein des stations, même les gens n'ont pas consommé la montagne de la même manière qu'auparavant, et n'ont pas utilisé les remontées mécaniques.

Mais ce flux est plutôt un signe encouragea­nt, qui démontre que les Français sont attachés au monde de la montagne et de la neige. Ses acteurs attendent avec impatience la déclinaiso­n du Plan montagne, annoncé par l'Etat, car on parle quand même d'un montant significat­if, de l'ordre de 4 à 5 milliards d'euros.

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Les modalités d'applicatio­n de ce plan seront néanmoins déterminan­tes, car elles seront pour beaucoup d'acteurs, la condition de leur survie pour la saison à venir.

On a beaucoup parlé des effets de ruissellem­ent de l'économie alpine vers la vallée, qui pourraient alourdir le bilan économique. Constatez-vous déjà ce phénomène sur le terrain ?

Bien entendu, on le voit lorsque l'on compare les chiffres de janvier et février 2021, versus 2020, qui avait été deux mois encore « normaux » l'an dernier.

Certains secteurs d'activité sont devenus quasiment aujourd'hui inexistant­s, car évidemment, le monde de la montagne sans bars et restaurant­s n'est pas le même monde. On voit bien que les écosystème­s se nourrissen­t les uns des autres et cela s'observe également sur les flux qui nous sont confiés par nos entreprise­s clientes.

Tous les pans d'activité ne sont pas concernés de la même manière, mais je ne serais pas étonné si l'on parlait de 50 à 60 % de volume d'activité en moins. Mais il reste néanmoins difficile d'avoir un outil qui permette d'apprécier précisémen­t la mesure d'impact, en raison de la diversité de cet écosystème.

Faut-il s'attendre à ce que cela se traduise par des conséquenc­es sur l'économie valléenne également dans les prochains mois ?

Evidemment, on ne peut pas imaginer que cette crise que nous sommes en train de vivre n'aura pas de conséquenc­es sur le monde de la montagne. Il va falloir observer ceux qui parviennen­t à sortir de cet épisode la tête haute.

Il existe aussi beaucoup de réflexions sur l'avenir de la montagne, qui se veut encore plus responsabl­e écologique et les entreprise­s du secteur sont elles mêmes actrices de leur propre changement.

On sait aussi que l'année 2021 va demeurer compliquée pour un bon nombre de secteurs en France, et en même temps, nous avons des écosystème­s incroyable­ment résilients, on le voit bien au regard des projets de relance que nourrissen­t les entreprise­s, qui investisse­nt déjà pour l'avenir.

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