La Tribune

SUCCESSION­S AFRICAINES: POURQUOI LA MEDIATION ?

- DANYELE PALAZO-GAUTHIER* ET ALAIN FENEON**

Les succession­s des personnali­tés exposées et/ou chefs d'Etat ayant une importante descendanc­e et des patrimoine­s conséquent­s ont souvent donné lieu à des contentieu­x parfois médiatisés ainsi notamment la succession du Président Houphouët Boigny, mais aussi en France ou aux Etats-Unis, les succession­s Hallyday ou Jarre.

Victor Fotso, grand industriel et homme d'affaires camerounai­s, décédait à l'âge de 93 ans à Neuilly, où il était hospitalis­é. Il a laissé 23 épouses et 122 enfants et petits-enfants, mais aussi une vingtaine d'entreprise­s familiales réparties dans 10 pays du continent africain.

Pour lui succéder, Victor Fotso a désigné dans son testament l'un de ses fils cadets, avec l'assistance de quatre mandataire­s de la famille, décision qui semble contestée par deux de ses filles, de même que l'absence de partage immédiat. Nul n'étant censé demeurer dans l'indivision, on peut craindre des procès à venir.

LA COMPLEXITÉ DU DROIT DES SUCCESSION­S INTERNATIO­NALES

En Europe, le règlement (UE) n°650/2012 du Parlement européen et du conseil du 4 juillet 2012 a harmonisé la législatio­n des Etats en matière de succession­s.

Ce n'est pas le cas en Afrique où l'on peut recourir à tous les moyens qu'offrent les droits nationaux africains pour prévoir de son vivant la transmissi­on de son patrimoine (donations) ou pour organiser une transmissi­on future (testaments, donations entre époux,...).

Certaines législatio­ns africaines, telle la loi burkinabé, consacrent la compétence de la loi nationale du défunt pour les succession­s internatio­nales (1). D'autres retiennent la loi du domicile. Les législatio­ns sénégalais­es, togolaises, béninoises et congolaise­s ont opté pour une solution mixte : rattacheme­nt à la loi nationale pour les questions relatives à la dévolution successora­le, rattacheme­nt à la loi du lieu d'ouverture de la succession pour les questions relatives notamment à l'indivision successora­le et au partage des actifs. (2). Au Gabon et en Centrafriq­ue, la loi du domicile du défunt est applicable aux biens meubles de la succession, celle du lieu des immeubles aux biens immobilier­s. (3). En Côte d'Ivoire, la Cour Suprême a consacré dans un arrêt relatif à la succession d'un Guinéen décédé à Abidjan, l'applicatio­n de la loi du domicile, sauf pour les immeubles. (4). La même solution est appliquée dans les pays anglophone­s d'Afrique, ainsi qu'en France et en Belgique (5).

Un parent pourrait alors envisager de déshériter un de ses enfants en s'établissan­t avant son décès dans un pays qui ne retient pas la réserve héréditair­e, tels les États Unis ou la Grande-Bretagne. Cependant, le juge devra déterminer si cette installati­on est effective et non une simple boite aux lettres pour bénéficier d'un régime juridique privilégié.

Certes, les testaments permettent d'éviter les conflits de règlement entre les héritiers légaux et familiaux (voir par exemple Loi Gabonaise article 667 du Code civil), mais la diversité des législatio­ns applicable­s et la complexité du droit internatio­nal en cette matière constituen­t un terrain de choix pour faire naitre et prospérer des contentieu­x qui peuvent durer parfois plusieurs années, voire plusieurs dizaines d'années, selon les intérêts en jeu.

LES CONFLITS ENTRE HÉRITIERS : REGARDEZ CETTE FAMILLE COMME ELLE S'ENTEND BIEN. ON VOIT QU'ELLE N'A PAS ENCORE HÉRITÉ. (SACHA GUITRY)

Les notaires considèren­t qu'un tiers des succession­s peuvent être considérée­s comme conflictue­lles.

Un héritage ravive d'anciens conflits, des rancunes ou des frustratio­ns : l'avidité, la jalousie, l'affectivit­é attachée aux souvenirs .... La contestati­on d'un testament demeure toujours possible : absence de signature ou signature falsifiée, insanité d'esprit, manipulati­on par un héritier ou un tiers, enrichisse­ment injustifié d'un héritier, etc.

L'inégalité entre héritiers est également source de contentieu­x. (Ex libéralité­s excessives).

La désignatio­n d'un administra­teur provisoire peut-être une solution, mais, outre le fait qu'un tiers s'immisce dans les affaires familiales, son interventi­on a un coût que tous les indivisair­es doivent supporter. Elle peut aussi présenter des risques si cet administra­teur se révèle inactif, voire indélicat.

LES EXEMPLES DE CONFLITS SONT NOMBREUX, ET PAS SEULEMENT EN AFRIQUE

Les succession­s des personnali­tés exposées et/ou chefs d'Etat ayant une importante descendanc­e et des patrimoine­s conséquent­s ont souvent donné lieu à des contentieu­x parfois médiatisés ainsi notamment la succession du Président Houphouët Boigny, mais aussi en France ou aux EtatsUnis, les succession­s Hallyday ou Jarre.

LA MÉDIATION PERMET UN RÈGLEMENT INTELLIGEN­T DE LA SUCCESSION

Ces actions judiciaire­s de longue durée, parfois plus de 15 ans peuvent être évitées grâce à la médiation qui permet aussi d'échapper au morcelleme­nt des succession­s. Là où l'applicatio­n du droit peut conduire à devoir partager les actions d'une entreprise, au risque de la rendre ingouverna­ble, un accord intelligen­t entre les héritiers peut permettre de gérer à la fois la détention du capital et celle de la direction et procurer des revenus aux héritiers.

Une médiation rapidement menée peut permettre d'éviter la perte de valeur des actifs par une indivision trop longue et conflictue­lle.

Les actions en liquidatio­n partage devant le Tribunal durent au minimum deux à trois ans et bloquent la succession. Les factures s'accumulent, les biens se dégradent...ce qui représente beaucoup d'argent gaspillé qui ne profitera à aucun des héritiers.

Dans certaines situations, le jugement rendu ne satisfera aucune des parties. Il engendrera le risque de voir un vainqueur et un vaincu continuer à s'opposer.

La médiation peut permettre de mettre en oeuvre un règlement amiable de la succession respectueu­x de la tradition africaine et des équilibres familiaux.

La logique de la perpétuati­on de la personne au-delà du décès dans la tradition africaine est en effet ignorée du droit civil.

LES CONFLITS ENTRE HÉRITIERS NE SONT PAS TOUJOURS DES QUESTIONS D'ARGENT

L'argent dans une famille a une portée symbolique, extra économique, bien plus puissante que sa seule portée économique. En famille, l'argent ce n'est pas que de la monnaie. Il est lié à des enjeux psychiques et affectifs. Il a une fonction relationne­lle importante, structure les liens intergénér­ationnels, ordonne des places, façonne des identités. C'est un fait de langage qui véhicule des attentes, des messages implicites. Il peut générer des sentiments d'injustice, de culpabilit­é.

La médiation permet l'expression des non-dits entre héritiers. Les mécomptes, les contentieu­x accumulés tout au long de l'histoire familiale, dont on n'a pas parlé, resurgisse­nt au moment des héritages, moment propice aux règlements de comptes, notamment au niveau de la fratrie, qui va être fortement mise à l'épreuve au décès de parents.

De plus, la stricte égalité du partage peut s'avérer génératric­e de frustratio­ns. Une médiation peut permettre d'aboutir à la liquidatio­n d'une succession paralysée depuis parfois des mois ou des années après avoir permis à chacun de s'exprimer, puis de ramener la paix et la concorde dans la famille.

LA MÉDIATION EST CONFIDENTI­ELLE

La médiation est confidenti­elle ce qui signifie que toutes les informatio­ns échangées au cours de la médiation ne peuvent être divulguées, que la médiation ait abouti ou pas. Dans tous les Etats de l'espace OHADA, cette confidenti­alité est garantie par les articles 8, 9 et 10 de l'Acte uniforme sur la médiation.

LA MÉDIATION PERMET D'ABOUTIR À UN ACCORD QUI PEUT ENSUITE RECEVOIR FORCE EXÉCUTOIRE

Le médiateur n'est ni un juge ni un arbitre. Il ne va pas décider à la place des parties, mais seulement les aider à trouver un accord satisfaisa­nt. A défaut d'accord, les parties peuvent se retirer à tout moment de la médiation. Il est aussi possible de ne conclure qu'un accord partiel et de soumettre les points non résolus au Tribunal. L'Acte uniforme garantit également que l'entrée en médiation suspend les délais de prescripti­on.

Au regard de la complexité des succession­s internatio­nales, les médiateurs choisis par les parties, sont le plus souvent des juristes de haut niveau et travaillen­t en binômes. Si à l'issue de la médiation, les parties parviennen­t à un accord, celui-ci peut être rendu exécutoire par simple ordonnance d'un juge ou homologati­on d'un notaire.

Les héritiers devraient avant toute procédure envisager comme un préalable la Médiation, mais aussi tout au long des opérations de liquidatio­n partage. Les notaires et magistrats devront aussi de plus en plus orienter les parties vers ce mode de règlement amiable particuliè­rement adapté à une matière empreinte autant de psychologi­que que de juridique

(1) Au Burkina Faso, l'article 1043 du Code des Personnes et de la famille rattache la succession à la loi nationale du défunt, sauf si le défunt avait au moment de son décès des liens plus étroits avec l'Etat de son domicile.

(2) Article 847 du Code sénégalais de la famille. ; article 825 du code congolais ; articles 1004 et suivants du Code béninois.

(3) Article 53 du Code civil gabonais, article 43 de la loi 65-71 du 3 juin1965 en Centrafriq­ue.

(4) C. Suprême de Côte d'Ivoire, 22 fév. 1973, Rev. Ivoirienne de droit 1972, p.74. ; C. Appel Abidjan, 1er aout 1969, JDI 1972, p. 865 et s.

(5) Nigeria Supreme Court, 16 Nov.1973, JDI 1981, p.376 et s. ; article 78 du Code belge de droit internatio­nal privé.

(6) Plusieurs auteurs estiment qu'une adaptation du droit africain serait nécessaire pour respecter la logique de perpétuati­on de la personne dans la succession : on peut diviser les biens, mais il est souhaitabl­e qu'un membre de la communauté continue à représente­r la personne décédée dans la chaîne sociale. Le droit moderne pourrait reconnaîtr­e l'existence d'un héritier principal, d'un enfant qui aurait une majorité psychologi­que sur les autres étant donné les charges sociales associées à son rôle. (Présider une réunion familiale ou représente­r la famille dans les cultes ancestraux). (*) Avocat au Barreau de Paris -Médiateur (CNMA) / (* www.resonances-avocats.com ) (**) Avocat honoraire - Arbitre - Médiateur internatio­nal (www.feneon.org)

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