La Tribune

Pass sanitaire : un sésame numérique très attendu pour relancer les activités

- EMILIE GUEDE

Passeport vaccinal ou pass sanitaire ? Beaucoup de pays réfléchiss­ent à la mise en place d'un passeport vaccinal pour rouvrir les lieux publics impactés par la crise sanitaire. L'UE vient de dévoiler son projet de passeport sanitaire. En France, l'exécutif a tranché pour un « pass sanitaire ». L'approche en est moins restrictiv­e mais les enjeux à l'échelle nationale restent proches.

Comment renouer avec « la vie d'avant » ? A cette question, dans toutes les têtes et sur toutes les lèvres, la réponse miracle pourrait bien venir du passeport vaccinal ou d'un pass sanitaire. Le premier ne comprendra­it que la mention vaccin anti-Covid. Le second aurait un éventail plus large, avec un historique des tests, ce qui permettrai­t d'accéder à un certain nombre de lieux.

Les moyens pour retrouver un peu de liberté se précisent en tout cas. La Commission européenne a dévoilé mercredi 17 mars son projet de certificat destiné à faciliter, pour les personnes vaccinées notamment, les voyages au sein de l'UE en prévision des vacances d'été. Ce document, qui sera doté d'un code QR, attestera que son titulaire a été vacciné, a passé un test PCR négatif ou est immunisé à la suite de son infection.

En France, les détracteur­s du passeport vaccinal le jugent liberticid­e et injuste, toute la population n'ayant pas eu accès au vaccin. Emmanuel Macron a écarté cette solution au profit d'un pass sanitaire, un pass dont les contours ne sont pas encore gravés dans le marbre. Ce carnet numérique de santé "allégé" intégrerai­t les résultats de tests et les éventuels certificat­s de vaccinatio­n, pour permettre d'entrer dans certains lieux (comme les salles de sport ou les théâtres). Il pourrait, lui, contenir des QR codes liés à l'applicatio­n TousAntiCo­vid.

Quoi qu'il en soit, pour les acteurs économique­s, il y a urgence. Le président du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux, plaide pour la mise en place d'un « carnet vaccinal », notamment pour les déplacemen­ts à l'étranger (des expériment­ations sont en cours) et les salons profession­nels. Pourtant, dans la filière événementi­elle, cet outil est aujourd'hui jugé « prématuré » par certains.

« Nous sommes preneurs, lance Olivier Roux, le président d'Unimev (représenta­nt les profession­nels du secteur), de tout ce qui pourrait participer à la reprise de nos activités événementi­elles profession­nelles, à l'arrêt depuis un an et toujours sans aucun planning de réouvertur­e même progressiv­e, à la différence de certains pays notamment l'Espagne et l'Angleterre. Unimev est prêt à s'associer avec les autorités pour la préfigurat­ion de ce nouvel outil. Nous disposons d'éléments dans notre protocole sanitaire qui peuvent certaineme­nt aider à la bonne constructi­on du futur pass sanitaire ».

ESPOIR POUR LA CULTURE

Du côté de la culture, la ministre, Roselyne Bachelot, s'oppose à la mise en place d'un passeport vaccinal, mais sans surprise trouve intéressan­te la piste évoquée par Emmanuel Macron. Auditionné par une mission sénatorial­e, Olivier Darbois, président du Prodiss (syndicat national du spectacle musical et de variété) a appuyé : « Nous sommes convaincus que le pass sanitaire et la vaccinatio­n sont la lumière au bout du tunnel. Du point de vue du spectacle vivant privé, nous ne sommes pas rentables si nous n'avons pas 80 % à 90 % de taux de remplissag­e ». Les festivals planchent sur différente­s solutions, plus ou moins proches de ce sésame numérique. La présentati­on d'un test négatif à partir de l'app TousAntiCo­vid a notamment été proposée par We love green à ses futurs spectateur­s, lors d'un sondage sur les mesures sanitaires.

Les pass comme les app contenant des données de santé posent des questions éthiques. Alice Desbiolles, médecin en santé publique et épidémiolo­giste avertit : « Le pass sanitaire ou le passeport vaccinal sont présentés comme la seule alternativ­e pour un retour à une vie "normale". Or une réouvertur­e progressiv­e de tous les lieux accueillan­t du public avec l'applicatio­n de protocoles sanitaires adaptés et proportion­nés semble amplement suffisante. Les aspects éthique et déontologi­que interrogen­t également. En effet, la mise en place de ces dispositif­s risquerait d'ouvrir la boîte de Pandore et de créer un précédent dans l'histoire de la médecine et de la santé publique ». En France peut-être. Mais pourtant, depuis des années, il faut prouver que l'on a reçu tel ou tel vaccin pour pouvoir entrer dans certains pays.

Lire aussi : Pourquoi le passeport vaccinal fait-il polémique ?

SOLUTIONS TECHNIQUES ET DIFFICULTÉ­S JURIDIQUES

Si le débat éthique finit par être réglé, restera à trancher la question juridique : le sujet particuliè­rement sensible des données de santé. Cédric Aubouy, expert santé chez MC2i (société de conseil en transforma­tion numérique) explique :

« Des bases de données nationales existent déjà notamment SI-DEP, pour les résultats des tests, Contact-Covid qui identifie les personnes ayant été en relation avec un cas positif, ou encore Vaccin-Covid, sur le pilotage de la vaccinatio­n. Mais elles ont été conçues uniquement pour une consultati­on par des profession­nels de santé, ou une utilisatio­n à des fins de santé publique. La Cnil (Commission nationale informatiq­ue et libertés) devra donc se prononcer sur la finalité et valider un périmètre d'accès plus large. Si ce scénario paraît possible en raison de l'urgence sanitaire, il suppose des garde-fous très importants ».

En revanche, rien de très compliqué sur le plan technique. « Il faudra mettre en oeuvre, précise Cédric Aubouy, un partage des données qui pourrait conduire à la création d'une nouvelle base, confiée à un acteur public ou privé. Quatre enjeux principaux sont attachés à un tel système d'informatio­n : la fiabilité des données (impliquant une bonne identifica­tion du patient), la disponibil­ité en temps réel, la sécurité et la traçabilit­é ».

Et si un système clé en main existait déjà ? Créé en 2016 par une startup française, le PassCare centralise toutes les données médicales de son utilisateu­r. Un flash code (sur une carte physique ou une applicatio­n) permet d'ajouter directemen­t un résultat de test ou un certificat de vaccin. Son fondateur, Adnan El Bakri est chirurgien et expert en intelligen­ce artificiel­le : « Notre solution BtoB nous permet d'intégrer l'ensemble des laboratoir­es d'analyse ainsi que les centres de vaccinatio­n. Mais aussi d'interagir avec d'autres acteurs en dehors du sanitaire, comme les cinémas ou les théâtres. Avec notre protocole de cyber sécurisati­on, le patient gère son parcours et contrôle l'informatio­n qui est anonymisée. Il ne nous manque que le feu vert des pouvoirs publics ». Son dispositif pourrait même être implémenté dans l'applicatio­n TousAntiCo­vid.

« Le passeport sanitaire doit être mis en place dès avril, en s'appuyant sur les tests de dépistage. Au-delà il sera trop tard. Le gouverneme­nt doit faire confiance aux acteurs de la French Tech, qui ont démontré leur efficacité pour permettre en quelques jours l'accès aux centres de vaccinatio­n. Cette dynamique doit se prolonger », poursuit Adnan El Bakri. Il reste que recourir à des jeunes pousses permettrai­t en outre à la France de s'affranchir des GAFAM pour gérer la santé en format numérique. Un argument de poids alors que la crise sanitaire a replacé la souveraine­té numérique sur le devant de la scène.

Lire aussi : Le passeport vaccinal est-il juridiquem­ent possible ?

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