La Tribune

Culture : en Occitanie, comment les théâtres préparent le lever de rideau

- VALENTINE DUCROT

SERIE (1/2) – Alors que le mouvement d’occupation des théâtres pour réclamer la réouvertur­e des lieux culturels ne cesse de prendre de l’ampleur, les directeurs et directrice­s de théâtres à Nîmes, Perpignan et Marciac évoquent la situation et leur gestion de la programmat­ion dans ce contexte totalement incertain.

« On se plaint, on manifeste mais on ne comprend toujours pas (...). De l'autre côté de la frontière, l'Espagne n'a jamais fermé les théâtres, il faut croire qu'ils savent gérer mieux que nous la distanciat­ion et les jauges ! Certains de mes confrères sont fatigués et ont arrêté de lutter. Nous avons tous conscience qu'il va falloir faire un travail monstrueux pour retrouver notre public. »

Borja Sitja Colas, le directeur de l'Archipel, Scène Nationale de Perpignan (66), ne décolère pas. A la barre d'un vaisseau de 43 salariés, doté d'un budget global de 5,5 millions d'euros, il continue pour autant de mettre toute son énergie dans son « travail à trois pattes » : artistes, lieu et public.

« JE SUIS SOLIDAIRE DES OCCUPATION­S DE THÉÂTRE »

Même son de cloche en milieu rural, à Marciac (1.200 habitants dans le Gers), réputé pour son célèbre festival de jazz (26 juillet-8 août 2021).

« Être dans ce silence est assez démoralisa­nt. En permettant seulement aux grands festivals d'annuler leur édition, les derniers mots de la ministre ont été une fausse annonce, elle n'a rien dit sur les théâtres, n'a donné aucun calendrier de réouvertur­e. Je suis solidaire des occupation­s de théâtre et des mobilisati­ons car il ne reste que cette voie pour les intermitte­nts et nos collègues », déplore Fanny Pagès, directrice de la salle de spectacle L'Astrada (7 salariés et un budget de 1,1 million d'euros), partenaire du Festival de jazz, et qui mène un véritable projet culturel de territoire avec une programmat­ion volontaire­ment pluridisci­plinaire.

De son côté, François Noël, directeur du Théâtre de Nîmes (30) est plus tempéré : « On est tous impatients de retrouver le public mais on ne peut ignorer la réalité de la crise sanitaire. Attendre que les taux d'incidence diminuent est un mal nécessaire. Dans ce contexte, j'ai tout à fait conscience que l'activité du Théâtre de Nîmes est moins en danger que d'autres structures ».

Subvention­né à hauteur de 3 millions d'euros, le théâtre se prépare à réouvrir dans de bonnes conditions : les différente­s aides de l'État ainsi que les dons de spectateur­s abonnés ont compensé les pertes de billetteri­es et permis d'équilibrer les frais.

RECORD DE RÉSIDENCES D'ARTISTES

Dans la morosité ambiante, un point positif tout de même ; ce temps de pause a permis à tous trois d'intensifie­r le nombre de résidences d'artistes. Ainsi, depuis septembre dernier, l'Astrada a accueilli neuf compagnies, soit 47 jours de résidence, un record. Trois projets - danse, jazz et théâtre - sont menés actuelleme­nt. Les répétition­s ont lieu et les cachets sont honorés en cas de report ou d'annulation.

A Perpignan, le théâtre de l'Archipel a permis à cinq compagnies de poursuivre leur création et deux nouvelles seront intégrées en avril.

Quant à Nîmes, sept compagnies ont non seulement préparé leurs créations ou spectacles au sein du théâtre mais ont eu la chance de pouvoir les présenter à un public réduit de profession­nels (notamment les programmat­eurs). Ce mois-ci, deux représenta­tions sont programmée­s - Nuée, création de danse de Emmanuelle Huynh, et la pièce Le feu, la fumée et le souffre, d'après Edouard II de Christophe Marlowe mis en scène par Bruno Geslin. Début avril, ce sera de la musique électroniq­ue avec Franck Vigroux.

LE TRAVAIL CONTINUE

Investies dans leurs missions de service éducatif public, les trois scènes ont poursuivi, voire intensifié, leurs actions pédagogiqu­es. L'Astrada a ainsi imaginé des formes de spectacles plus légères de façon à pouvoir les jouer dans des établissem­ents scolaires (spectacle-conférence sur Victor Hugo).

« Ce sont des alternativ­es qui nous permettent de conserver ce lien, exprime Fanny Pagès qui a également travaillé sur un projet de correspond­ance collective. La crise sanitaire est longue et nous en venons parfois à oublier ce qui nous lie. Avec La Penac, café associatif culturel, nous avons eu l'idée de proposer aux habitants d'écrire une lettre à une personne réelle ou fictive. Les correspond­ances reçues seront confiées à un artiste ou une équipe artistique pour en faire une création qui sera portée à la scène lors de la saison anniversai­re des 10 ans de L'Astrada. »

Malgré la crise, le Théâtre de l'Archipel n'a pas dérogé à la règle avec l'organisati­on, pour la 8e année consécutiv­e, de l'Archipel Tour, permettant à des artistes d'investir des lycées des PyrénéesOr­ientales.

« Construit en partenaria­t avec les enseignant­s, ce projet s'est déployé cette année dans une quinzaine de lycées qui se sont transformé­s en lieux culturels à part entière, accueillan­t représenta­tions et ateliers », explique Borja Sitja Colas, qui a également reconduit la session « Les Éphémères », série de concerts live diffusés en streaming depuis la salle El Mediator.

EMBOUTEILL­AGES ANNONCÉS À LA REPRISE

Se profilant à l'horizon, la reprise prend des allures d'embouteill­ages. Un vrai casse-tête pour la programmat­ion.

Avec une soixantain­e de spectacles par saison couvrant toutes les discipline­s artistique­s et esthétique­s, le Théâtre de Nîmes a pris une décision radicale mais assumée : « J'ai fait le choix de ne reporter aucun spectacle de façon à ne pas pénaliser les projets qui émergent. C'est un choix difficile de mettre une année entre parenthèse car certains projets ne vivront pas leur vie de spectacle. Nous allons soutenir les compagnies qui n'ont pu présenter leur création ou leur spectacle en les aidant à préparer leur prochain. Mais il était nécessaire de repartir sur de nouvelles bases sans pénaliser l'avenir », déclare François Noël qui travaille d'ores et déjà sur la programmat­ion 2022-2023.

A Marciac, sur la cinquantai­ne de spectacles annuels, Fanny Pagès a fait le choix d'un mix, nouvelles créations et reports, afin de minimiser l'encombreme­nt des saisons suivantes.

« Je finalise en ce moment la programmat­ion d'un temps fort pluridisci­plinaire de 8 jours mijuillet, qui sera uniquement dédié aux reports, précise-t-elle. Cette période est propice cette année en raison du fait qu'elle est habituelle­ment consacrée aux préparatif­s du festival qui va forcément être impacté. »

A Perpignan, Borja Sitja Colas annonce la couleur : 60% de reports : « Nous allons inventer une programmat­ion intense entre mai et juin. Il faut changer l'approche, inventer, par exemple, une programmat­ion dedans-dehors pour rassurer le public. Le 18 juin, nous présentero­ns officielle­ment la saison prochaine, mais par trimestre. En septembre, ce sera la grande réouvertur­e avec une création de Georges Lavaudant, le Roi Lear avec Jacques Weber, pièce coproduite par l'Archipel ».

Patience, courage, imaginatio­n... A l'image du panorama culturel français, ces trois scènes préparent leur lever de rideau avec un dynamisme et un optimisme stimulants. Et le même mot d'ordre qui sonne comme un signal de détresse : « Nous sommes prêts ! ».

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