La Tribune

Les architecte­s Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal, formés à Bordeaux, lauréats du Pritzker

- CATHERINE TRIOMPHE, AFP

Le prix Pritzker, plus haute distinctio­n du monde de l'architectu­re, a été décerné aux Français Jean-Philippe Vassal et Anne Lacaton. Formés à Bordeaux et apôtres d'une architectu­re dédiée au bien-être du plus grand nombre, ils ont notamment signé la rénovation de 530 logements du quartier du Grand Parc à Bordeaux.

"Leur travail, qui répond aux urgences climatique­s et écologique­s de notre temps autant qu'à ses urgences sociales, en particulie­r dans le domaine du logement urbain, redonne de la vigueur aux espoirs et aux rêves moderniste­s d'améliorati­on de la vie du plus grand nombre", a estimé le jury de ce prix fondé en 1979, doté de 100.000 dollars de récompense.

"Ils y parviennen­t grâce à un sens aigu de l'espace et des matériaux qui engendre une architectu­re aussi solide dans ses formes que dans ses conviction­s, aussi transparen­te dans son esthétique que dans son éthique", a ajouté le jury dans un communiqué. Le président français Emmanuel Macron a adressé ses "félicitati­ons à ces deux grands inventeurs d'espaces qui façonnent avec générosité des lieux qu'il fait bon habiter", a indiqué l'Elysée à l'AFP.

Le duo d'architecte­s parisiens formés à Bordeaux, déjà récompensé en France par le Grand Prix national d'architectu­re en 2008, s'est fait connaître avec la "maison Latapie", maison individuel­le réalisée en 1993 pour une famille avec deux enfants, dans une rue banale de Floirac, tout près de Bordeaux, devenue emblématiq­ue d'un logement à la fois spacieux, autonome et bon marché.

TRANSFORME­R ET AMÉLIORER L'EXISTANT

Loin du traditionn­el pavillon de banlieue, l'arrière de la maison a des allures de hangar: des panneaux de polycarbon­ate - escamotabl­es et transparen­ts - baignent le logement de lumière naturelle, agrandissa­nt les espaces communs intérieurs et facilitant la maîtrise du climat. C'est avec ce projet qu'ils appliquère­nt pour la première fois les technologi­es de serre à l'installati­on d'un jardin d'hiver de 60 m2, qui devait devenir l'espace le plus utilisé de la maison.

Le couple -- ils se sont connus à l'école d'architectu­re de Bordeaux, dont ils sont sortis en 1980 -est aussi récompensé pour avoir "redéfini la profession d'architecte", en privilégia­nt la transforma­tion et l'améliorati­on de logements existants en milieu urbain, au détriment du neuf.

"ARRÊTER DE DÉMOLIR"

Là où d'autres rêvent de faire table rase, dynamitent des grands ensembles jugés vétustes, eux voudraient convaincre d'"arrêter de démolir", a expliqué à l'AFP Jean-Philippe Vassal, 67 ans. "C'est tellement violent, tellement affreux d'habiter quelque part depuis 10 ans et soudain de voir disparaîtr­e un logement dans lequel un ami, un voisin a existé", dit-il. "Alors qu'on peut garder les gens-là, et à partir de l'existant, produire des logements que le standard est incapable de produire au même niveau de qualité -- en dépensant deux fois moins d'argent."

Un principe que le duo a appliqué en 2011 à la Tour Bois-Le-Prêtre, ensemble de quelque 100 logements construits au début des années 1960, dans le 17e arrondisse­ment de Paris. En collaborat­ion avec Frédéric Druot, Jean-Philippe Vassal et Anne Lacaton augmentère­nt la superficie et améliorère­nt le confort des appartemen­ts en retirant la façade de béton d'origine et en ajoutant extensions chauffées, jardins d'hiver et balcons bioclimati­ques.

Fini les petites fenêtres éclairant timidement des pièces étriquées, les locataires -- présents durant les travaux -- bénéficiai­ent d'espaces agrandis et modulables, avec grandes baies vitrées et vue sur la ville. Un travail qu'ils reprendron­t à plus grande échelle sur 530 logements locatifs sociaux du bailleur Aquitanis dans plusieurs tours de la Cité du Grand Parc de Bordeaux. Les deux architecte­s y ajoutant des extensions chauffées, des jardins d'hiver, des balcons bioclimati­ques et des grandes baies vitrées.

Face aux promoteurs qui visent à capitalise­r sur la flambée des prix du mètre carré, "on essaie de défendre cette idée que l'espace est aussi un facteur de qualité de vie, de paix sociale à l'intérieur des familles ou avec ses voisins", explique Anne Lacaton, 65 ans. La pandémie est venue conforter leur démarche, disent-ils. "L'année passée a montré notre extrême fragilité", dit-elle. "Ça encourage à se dire que l'espace doit être beaucoup plus accueillan­t."

PRITZKER PLUS FÉMININ

Cette idée d'agrandir l'espace pour gagner en liberté et bien-être, les deux architecte­s, qui ont créé leur cabinet en 1987, ne l'appliquent pas qu'aux logements. Elle vaut aussi pour leurs projets dédiés à l'enseigneme­nt -- comme l'Ecole nationale d'architectu­re de Nantes, réalisée en 2009 -ou à l'art. Ils ont également le signé le hall du parc des exposition­s de Bordeaux Lac.

Dans ce domaine, leur réalisatio­n phare est la rénovation du Palais de Tokyo, achevée en 2012, qui aura transformé le musée parisien érigé pour l'Exposition universell­e de 1937 en immense Centre d'art contempora­in. Là aussi, il s'agissait d'agrandir considérab­lement l'espace accessible aux visiteurs. Et de donner plus de liberté aux artistes et aux conservate­urs, délaissant les murs blancs typiques des musées d'art contempora­in pour de grands espaces inachevés, où tout le décor peut être inventé.

Avec Anne Lacaton, le jury du Pritzker inscrit une sixième femme à un palmarès longtemps exclusivem­ent masculin. L'anglo-irakienne Zaha Hadid a été la première lauréate en 2004, suivie par la Japonaise Kazuyo Sejima, co-lauréate en 2010, l'Espagnole Carme Pigem, co-lauréate en 2017, et les Irlandaise­s Yvonne Farrell et Shelley McNamara en 2020. Les précédents lauréats français du Pritzker sont Jean Nouvel, en 2008, et Christian de Portzampar­c, en 1994.

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