La Tribune

LA MOLECULTUR­E, NOUVELLE ARME DANS LA GUERRE CONTRE LA COVID ?

- NATHALIE JOURDAN A ROUEN

Aussi appelée pharming, la molécultur­e consiste à produire des molécules recombinan­tes à partir de végétaux. Elle a démontré son efficacité contre Ebola et pourrait se révéler pertinente dans la lutte contre le coronaviru­s. La biotech franco-québécoise Angany a développé, à partir d’une plante cousine du tabac, un cocktail d’anticorps monoclonau­x qu’elle dit extraordin­airement efficace. Le gouverneme­nt semble montrer des signes d’intérêt mais « attention à ne pas reproduire l’effet Moderna », préviennen­t les chercheurs.

C'est l'une de leurs vertus méconnue. Les plantes sont capables de synthétise­r des vaccins ou des médicament­s infiniment plus vite et pour un coût jusqu'à cent fois inférieur aux techniques utilisées par les big pharma à partir de bactéries ou de cellules animales. C'est ce que l'on appelle la molécultur­e : une discipline scientifiq­ue émergente qui, en France, échappe encore aux radars (et à nos correcteur­s orthograph­iques) mais suscite beaucoup d'intérêt outre Atlantique, grâce aux avancées réalisées par le canadien Medicago, en pointe sur cette spécialité.

Ce pionnier s'était distingué en développan­t, à la demande des autorités québécoise­s, un composé d'anticorps qui a montré son efficacité sur des patients souffrant de la fièvre Ebola. Il a également produit, en un temps record, plusieurs millions de doses d'un vaccin anti-grippe pour les Etats-Unis.

UN NOUVEL OR VERT POUR LA PHARMA

C'est à cette même technologi­e qu'a recours la biotech normando-québécoise Angany, fondée il y a une vingtaine d'année à Val de Reuil dans l'Eure par Loïc Faye, l'un des meilleurs spécialist­es français du pharming. Comme beaucoup de ses congénères, son laboratoir­e a réorienté ses travaux au profit de la lutte contre le coronaviru­s dès le déclenchem­ent de la pandémie.

Après avoir mis au point un prototype de vaccin "resté dans les frigos" faute de soutien, son équipe a synthétisé, à partir d'une plante proche du tabac (Nicotiana benthamian­a) un cocktail d'anti-corps monoclonau­x (NAbs) comparable à celui dont a bénéficié Donald Trump, la technologi­e mise à part. A première vue, le traitement est prometteur. Ses vertus neutralisa­ntes sur la Covid-19 et ses variants ont été démontrées in vitro puis sur des singes.

« Le monde entier cherche des NAbs capables de neutralise­r le virus. Le composé que nous avons développé avec un consortium internatio­nal présente une activité inhibitric­e extraordin­aire », assure Loïc Faye.

« Il pourrait offrir une immunité immédiate aux personnes malades ou à risque de complicati­on ainsi qu'à celles qui ne peuvent ou ne veulent pas se faire vacciner », complète le docteur Vezina, PDG d'Angany.

UN ENJEU DE SOUVERAINE­TÉ

Forte de ses premiers résultats, la société cherche à lever vingt millions d'euros pour réaliser les essais cliniques qui devraient durer entre six à sept mois. En attendant de pouvoir lancer cette ultime phase, ses dirigeants se disent prêts à mettre leur technologi­e et leur expertise à dispositio­n de l'État français. Objectif ? Accompagne­r la mise en place « d'une capacité autonome et adaptable de production d'anti-corps monoclonau­x » à partir des plantes.

« Dans un premier temps, nous pourrons nous appuyer sur des sous-traitants nord- américains mais il serait bon, pour préserver notre souveraine­té, de construire rapidement des unités en France car, si l'on se fie à d'autres modèles épidémique­s, il est fort probable que nous aurons à adapter les traitement­s en fonction des variants», insiste Loïc Faye. A toutes fins utiles, le chercheur précise avoir déjà repéré un terrain à proximité de son laboratoir­e.

Le gouverneme­nt répondra t-il à cet appel du pied ? Difficile de l'affirmer à ce stade. Véronique Gomord, directrice scientifiq­ue d'Angany, indique avoir été approchée cette semaine par plusieurs ministères mais elle reste prudente.

« L'Etat, après avoir beaucoup misé sur les grands laboratoir­es, commence à s'intéresser de plus près aux travaux des biotechs. C'est une bonne chose mais prenons garde à ce que cela ne soit pas un feu de paille. Attention à ne pas reproduire l'effet Moderna », prévient-elle.

Moderna dont le PDG (marseillai­s) Stéphane Bancel, très critique envers la lourdeur du système français, s'est expatrié aux Etats-Unis... après avoir été formé à Centrale Paris.

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Encadré

MONOGRAPHI­E D'UNE BIOTECH

Angany est une société pharmaceut­ique émergente franco-canadienne. Pionnière de la molécultur­e, elle a développé une plateforme vaccinale novatrice et exclusive, basée sur la biologie synthétiqu­e et une autre de production végétale de troisième génération. Après avoir levé 15 millions de dollars auprès d'investisse­urs nord-américains, elle s'apprête à lancer les essais cliniques pour deux types de vaccins destinés à combattre les allergies aux arachides et au chat.

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