La Tribune

Pourquoi les techies de San Francisco migrent vers Austin

- GUILLAUME RENOUARD, A AUSTIN TEXAS

Entreprene­urs, investisse­urs, ou simplement employés de la tech, ils sont nombreux à quitter les côtes californie­nnes pour les plaines du Texas. Qu'est-ce qui attire ces transfuges de la Silicon Valley vers Austin ? Témoignage­s.

Entreprene­urs, investisse­urs, ou simplement employés de la tech, ils sont nombreux à quitter les côtes californie­nnes pour les plaines du Texas. Qu’est-ce qui attire ces transfuges de la Silicon Valley vers Austin ? Témoignage­s.

Après une première balade à Austin, le moins qu'on puisse dire est que la ressemblan­ce entre la capitale texane et San Francisco ne saute pas aux yeux. Ici, pas d'élégantes demeures victorienn­es aux courbes élancées et aux couleurs chatoyante­s, mais des bâtiments modernes, typiques des villes nouvelles comme on en trouve un peu partout en Amérique. Pas de collines, mais une ville relativeme­nt plate. Là où la cité de la Baie est souvent vantée pour ses infrastruc­tures « à l'européenne », avec un réseau de transport tout à fait décent pour une ville américaine et de nombreux aménagemen­ts conçus pour les piétons, la capitale texane est pensée pour l'automobile. Même le climat est différent : exit les températur­es moyennes et le brouillard, place à une chaleur tropicale qui laisse de temps à autre place à des refroidiss­ements brutaux.

COÛT DE LA VIE ET DU TRAVAIL PLUS ABORDABLE

C'est pourtant bien ici que de nombreux travailleu­rs de la tech ayant quitté San Francisco et la Silicon Valley ont choisi de se réinstalle­r. Neha Sampat est l'une d'entre elles. Cette entreprene­use, créatrice et directrice générale de Contenstac­k, une plateforme qui permet aux entreprise­s de créer des applicatio­ns dans le cloud, a vécu vingt ans à San Francisco avant de s'expatrier à Austin en 2019. Derrière ce choix, la volonté d'accéder à un marché du travail moins compétitif que celui de la Silicon Valley.

« Nous avons recruté un premier employé à distance basé à Austin en 2017, qui nous a ensuite aidés à recruter une dizaine d'autres talents sur place. La ville compte nombre d'ingénieurs qualifiés, et les coûts d'embauche sont de 20 à 30% moins élevés que dans la Silicon Valley. J'ai été ainsi conduite à me déplacer de plus en plus souvent à Austin, jusqu'à finir par y déménager », raconte-t-elle.

S'il est possible d'y recruter des talents pour moins cher que dans la Baie, s'installer à Austin implique également une baisse considérab­le des dépenses. Une pizza commandée dans un restaurant coûte une dizaine de dollars, environ deux fois moins qu'à San Francisco. Les techies voient également leur feuille d'impôt se réduire, le Texas ne taxant pas les revenus individuel­s, là où le taux d'imposition californie­n peut monter à 12,3 %.

Mais c'est surtout l'immobilier qui rend Austin si attractif pour les transfuges de la Silicon Valley. Le marché de San Francisco est le plus cher d'Amérique, et un simple deux-pièces en centre-ville peut coûter plus d'un million de dollars. La capitale du Texas est, elle, beaucoup plus abordable. Ainsi, avec les revenus tirés de la vente de son logement à San Francisco, Neha Sampat a-t-elle pu acheter une maison deux fois et demie plus grande, avec piscine, dans un quartier proche du centre.

Les prix d'Austin tendent certes à augmenter à mesure que la ville se développe économique­ment et que des ingénieurs au portefeuil­le bien garni s'y installent. Au cours de son séjour sur place, l'auteur de cet article a sans cesse entendu les habitants parler de maisons qui se sont arrachées pour un prix supérieur à celui du marché quelques instants à peine après leur mise en vente. Mais même dans ces circonstan­ces, la ville reste (pour l'heure) bien meilleur marché que San Francisco.

DU PAIN BÉNI POUR LES INVESTISSE­URS

Pour un investisse­ur, l'écosystème d'Austin présente un autre avantage : celui de comporter un large panel de startups prometteus­es, avec encore un faible nombre d'investisse­urs qui s'y intéressen­t. Ainsi, là où les fonds d'investisse­ment de la Silicon Valley sont en guerre permanente les uns contre les autres pour repérer la prochaine jeune pousse prometteus­e sur un marché ultracompé­titif, ceux qui décident de se tourner vers Austin ont au contraire l'embarras du choix, selon Mike Erwin, cofondateu­r du fonds Ecliptic Capital, basé à Austin.

« La Silicon Valley compte trop de dollars qui chassent un trop petit nombre de jeunes pousses : même si l'écosystème entreprene­urial est bien évidemment très riche, il y a tellement de capital disponible que les fonds d'investisse­ment se marchent dessus. Au Texas, c'est l'inverse, on a un écosystème florissant, très dynamique, et encore complèteme­nt sous-capitalisé, car sous-estimé, même si c'est aujourd'hui en train de changer », analyse-t-il.

Plus centrale que San Francisco, la capitale texane a aussi pour avantage d'être à trois heures de vol de la côte est et de la côte ouest, ce qui, dans un écosystème américain qui se décentrali­se de plus en plus, représente un atout indéniable pour les investisse­urs déterminés à visiter régulièrem­ent les nouveaux hubs innovants répartis sur le territoire, mais aussi pour les dirigeants d'entreprise dont les équipes sont disséminée­s dans différente­s villes.

RISQUE DE DÉCHANTER

Si de nombreux transfuges de Californie sont ravis de leur nouvelle existence dans le Lone Star State, certains ne tardent pas à déchanter. Dans une tribune publiée sur Business Insider en janvier dernier, Brett Alder, californie­n relocalisé à Austin, explique pourquoi il a amèrement regretté son choix, blâmant la météo, les embouteill­ages, le conservati­sme ambiant et les écoles gérées comme des « académies militaires ». Il a depuis refait ses valises et trouvé un travail dans une entreprise de semiconduc­teurs installée dans la région de la Baie.

Si Neha Sampat ne regrette pas son choix, elle souligne elle aussi certains problèmes que la municipali­té doit encore résoudre, notamment en matière d'infrastruc­tures. « Les options en matière de transport public sont limitées, de sorte que les embouteill­ages sont monnaie courante, même en ce moment, alors que nombre de personnes travaillen­t de chez elles », confie-t-elle. Des initiative­s sont actuelleme­nt mises en place pour diversifie­r le parc de transports et désengorge­r les routes : voté en novembre, le Project Connect vise à déployer davantage de bus ainsi qu'une ligne de train entre le centre-ville et l'aéroport.

Mais le principal défi qui attend Austin consiste à sauvegarde­r son coût de la vie raisonnabl­e et sa culture bohème à mesure que l'industrie des nouvelles technologi­es s'implante sur place. « À San Francisco, toutes les conversati­ons tournaient en permanence autour de la tech, ce qui finissait par devenir un peu lassant. À Austin, les habitants ont d'autres hobbys, on rencontre des acteurs, des musiciens, des scénariste­s... C'est très stimulant », raconte Neha Sampa. La pandémie a toutefois porté un coup brutal à l'industrie artistique locale, tout en donnant à l'inverse un solide coup de pouce à celle des nouvelles technologi­es, accélérant ainsi des tendances de fond déjà à l'oeuvre. À voir si la réouvertur­e de l'économie, à laquelle le Texas s'adonne aujourd'hui à vive allure, permettra de rééquilibr­er les choses.

 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France