La Tribune

RESSOURCE EN EAU : ET SI ON PARLAIT VRAI ?

- MAXIMILIEN PELLEGRINI (*)

OPINION. Depuis toujours, l'eau est un levier de développem­ent et de résilience des territoire­s. C'est une vérité absolue dans un monde où les problémati­ques d'accès à l'eau continuent d'accentuer les tensions géopolitiq­ues et les drames humanitair­es. Et contrairem­ent à certaines idées reçues, cela reste une vérité en France aujourd'hui. (*) Par Maximilien Pellegrini, directeur général délégué Eau France chez Suez.

Cette année, à l'occasion de la Journée mondiale de l'Eau qui a lieu ce lundi 22 mars, l'ONU nous invite à nous interroger sur la place de l'eau dans notre société. Il s'agit d'une question fondamenta­le. Elle revient in fine, à reconnaîtr­e la valeur de cet élément essentiel et de ses différents usages dans un monde de plus en complexe et interconne­cté où se combinent les effets de l'explosion démographi­que, d'une surconsomm­ation associée à des modèles de production « aquavores », et du changement climatique.

L'eau concerne tous les aspects de notre vie. Elle alimente la croissance économique et le développem­ent de tous les pays tout en assurant la bonne santé des écosystème­s parmi lesquels, nous, les femmes et les hommes.

Pourtant dans le monde, quelque 2,2 milliards de personnes n'ont pas accès à des services d'eau potable gérés en toute sécurité tandis que 4,2 milliards sont privés de services d'assainisse­ment et que 3 milliards ne disposent d'aucune installati­on pour se laver les mains. Une hérésie en cette période de pandémie mondiale, mais pas uniquement...

Cela est d'autant plus préoccupan­t que le phénomène devrait s'aggraver si l'on considère que depuis de nombreuses années, l'urbanisati­on et le réchauffem­ent climatique réduisent les ressources en eau douce disponible sur les 5 continents. Résultat : d'ici 2050, au moins une personne sur quatre vivra dans un pays où le manque d'eau douce sera une réalité structurel­le.

En France, nous jouissons de services d'eau et d'assainisse­ment de qualité et dotés d'infrastruc­tures qui ont bénéficié, au fil du temps, des avancées permises par des politiques publiques visionnair­es et le savoir-faire d'entreprise­s expertes à l'origine d'innovation­s permanente­s.

Toutefois, nous faisons face aujourd'hui à plusieurs défis immenses. Pour nous préparer du mieux possible et nous adapter à une situation qui demande une approche systémique, car au carrefour des enjeux économique­s, écologique­s, sociaux et sociétaux, nous devons gagner en maturité collective pour résoudre trois problémati­ques majeures.

LE CHANGEMENT CLIMATIQUE : UNE AFFAIRE D'EAU

Celle du changement climatique en premier lieu. Selon la Banque Mondiale, 9 catastroph­es sur 10 sont liées à l'eau. En France, la situation se tend. Les épisodes de sécheresse à répétition, les inondation­s et événements météorolog­iques extrêmes, la montée et le réchauffem­ent de la mer, la perte de près de 20% de la biodiversi­té, la baisse du niveau d'enneigemen­t, l'émergence de nouvelles pollutions et les questions d'accès à l'eau pour les plus vulnérable­s ne doivent pas être perçus et traités comme des moments de crise, mais bien comme une évolution générale de nos conditions de vie.

Les conséquenc­es sont réelles sur la ressource tant sur le plan qualitatif que quantitati­f, mais aussi sur le tourisme, l'économie et le confort de vie de la population.

Pour preuve, les assureurs français ont dû verser en moyenne 3,2 milliards d'euros par an à leurs clients en raison de sinistres climatique­s (sécheresse­s, inondation­s, tempêtes) entre 2015 et 2018. À titre de comparaiso­n, ce coût était en moyenne de 1,2 milliard d'euros à la fin des années 90 et plafonnait à 2 milliards d'euros entre 1990 et 2010.

DES BESOINS D'INVESTISSE­MENTS CONSIDÉRAB­LES

Malgré cela, la question de l'eau n'arrive pas en tête des politiques nationales en particulie­r si on se réfère au Plan de relance économique ou au projet de loi Climat-Résilience. Sur les 30 milliards d'euros consacrés à la transition écologique, seuls 525 millions d'euros seront engagés pour l'eau et la biodiversi­té entre 2021 et 2022. Or, la filière française de l'eau évoque un besoin d'investisse­ments équivalent­s à 17 milliards d'euros d'ici 5 ans pour respecter une réglementa­tion amenée à se durcir, anticiper et atténuer l'impact du changement climatique, et enfin mettre en mouvement les acteurs vers une économie bas carbone.

Il faut dire que les infrastruc­tures de l'eau sont hétérogène­s et menacées de vieillisse­ment. En France, nous le savons désormais, 1l d'eau sur 5 en moyenne se perd. Au rythme du renouvelle­ment actuel (0,58% par an pour l'eau potable, 0,43% pour l'assainisse­ment), le remplaceme­nt des canalisati­ons prendrait 200 ans, soit bien plus que leur durée de vie. Sans compter les effets induits sur la voirie et l'habitat en cas de fuite... Les Assises nationales de l'Eau ont contribué à dresser un excellent diagnostic de la situation et des besoins. Il nous reste maintenant à mettre en oeuvre collective­ment les recommanda­tions.

Invertir dans la filière d'eau et d'assainisse­ment, c'est garantir une relance économique génératric­e d'emplois, orientée vers des solutions décarbonée­s et vertueuses sur le plan environnem­ental en vue d'accélérer la transition écologique.

C'est aussi améliorer le cadre de vie et les services aux consommate­urs, mais aussi concourir à l'indépendan­ce énergétiqu­e des territoire­s et améliorer l'efficacité des services essentiels.

L'INTÉRÊT GÉNÉRAL AVANT TOUT

Enfin, les derniers mois ont vu réapparaît­re une forme de polarisati­on idéologiqu­e des points de vue sur la question de l'eau, laissant parfois peu de place au débat. Cela au moment même où les citoyens placent les enjeux environnem­entaux et de santé en tête de leurs préoccupat­ions.

La question du mode de gestion, du choix entre la gestion publique et privée ne peut pas être l'alpha et l'oméga des décisions à prendre. L'intérêt général mérite mieux qu'une bataille sur le qui fait quoi. Je suis de ceux qui considèren­t que les solutions, qui doivent être décentrali­sées et territoria­lisées, ne peuvent émerger que dans une logique de co-constructi­on entre les secteurs public et privé, sans opposition de principe et à l'aune de nouvelles formes de gouvernanc­e basées sur la confiance. Notre challenge commun est plutôt de savoir « que faisons-nous, dans quel pas de temps et à quel rythme ? »

Pour cela, il est urgent de rationalis­er les enjeux, de tous se mettre autour de la table, de créer de nouvelles instances de dialogue en associant les citoyens à un projet de société, positif et optimiste, qui ferait de la transition écologique le ciment d'un nouveau pacte social.

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