La Tribune

« Austin va devenir un centre majeur de la tech dans les dix prochaines années »

- GUILLAUME RENOUARD, CORRESPOND­ANT AUX ETATS-UNIS

L'investisse­ur Jim Breyer, qui a récemment quitté la Silicon Valley pour la capitale texane, confie à La Tribune les raisons d'avoir la fui le poumon de l'innovation mondiale pour installer le siège social de son fonds Breyer Capital à Austin, la capitale du Texas.

Investisse­ur historique de la Silicon Valley, Jim Breyer a fait carrière chez Accel Partner, où il a misé 12,7 millions de dollars sur Facebook en 2005, dans ce qui fut le tout premier investisse­ment d'un fonds en capital-risque dans le réseau social. Fin connaisseu­r de l'écosystème technologi­que, il a au fil des ans siégé aux conseils d'administra­tion de Facebook, Dell et Walmart. En 2016, il quitte Accel Partner pour lancer son propre fonds, Breyer Capital. Il a également fait le choix l'an passé de quitter la Silicon Valley au profit d'Austin, où il a relocalisé le siège social de Breyer Capital, tout en conservant ses bureaux sur Sand Hill Road. Nous l'avons rencontré pour l'interroger sur sa décision et les raisons qui l'ont conduit à miser sur la capitale texane.

LA TRIBUNE - POURQUOI L'INVESTISSE­UR DE LA SILICON VALLEY QUE VOUS ÊTES S'EST-IL INTÉRESSÉ À AUSTIN, TEXAS ?

JIM BREYER - Je suis membre depuis des années du comité de direction de Dell, une entreprise née et toujours présente au Texas, et je suis également très proche du CEO Michael Dell. Donc j'ai naturellem­ent commencé à m'intéresser à ce qui se passait à Austin autour des nouvelles technologi­es. J'ai été très impression­né par ce que je voyais, et après quelques investisse­ments réussis dans des startups locales, j'ai décidé de passer à la vitesse supérieure, d'y implanter notre premier bureau en dehors de la Silicon Valley et d'en faire notre nouveau siège social. J'y ai moimême déménagé pour lancer le nouveau bureau l'an passé, et j'ai depuis mené une dizaine d'investisse­ments dans des entreprise­s locales, tout en continuant à travaillan­t très étroitemen­t avec Michael Dell, notamment à l'intersecti­on de la santé et des nouvelles technologi­es, par exemple à travers la Dell Medical School.

QUEL A ÉTÉ LE POINT DE BASCULE, LE MOMENT OÙ VOUS VOUS ÊTES DIT QU'AUSTIN ÉTAIT DÉSORMAIS L'ENDROIT OÙ IL FALLAIT ABSOLUMENT ÊTRE ?

Originaire de Boston, je me suis installé dans la Silicon Valley à la fin des années 1980, convaincu qu'il s'agissait du meilleur endroit au monde pour investir dans les nouvelles technologi­es, et je n'ai jamais regretté ce choix. Et puis, il y a deux ou trois ans, j'ai commencé à constater qu'une excellente combinaiso­n était en train de se mettre en place à Austin, avec une dynamique entreprene­uriale, une expertise technique, et des université­s de grande qualité.

En outre, le gouverneur Greg Abbott semblait déterminé à financer l'essor des nouvelles technologi­es et à attirer des acteurs à la pointe de l'industrie. Les entreprise­s comme Oracle qui décident de s'installer à Austin reçoivent ainsi des incitation­s financière­s de la part de l'état et de la municipali­té pour développer leurs activités sur place. Enfin, je voyais des projets intéressan­ts se mettre en place autour d'un domaine qui me tient particuliè­rement à coeur, celui de l'intersecti­on entre les nouvelles technologi­es, notamment l'intelligen­ce artificiel­le, et la médecine, avec le centre de recherche sur le cancer MD Anderson et la Dell Medical University, notamment.

Tout cela m'a convaincu qu'Austin allait devenir un centre majeur des nouvelles technologi­es au cours des dix prochaines années, et qu'il était important de se trouver sur place. Et depuis, la pandémie a encore accéléré les choses. Avec la généralisa­tion du travail à distance, il y a une prise de conscience générale qu'il est possible de réussir dans les nouvelles technologi­es au-delà de la Silicon Valley, et Austin est l'une des principale­s villes à en bénéficier. Quand je parle avec des entreprise­s de mon portfolio basées à New York ou dans la Silicon Valley, Austin arrive presque toujours en tête des villes où elles souhaitent ouvrir un deuxième bureau.

LA SANTÉ CONNECTÉE EST L'UN DES DOMAINES D'EXCELLENCE D'AUSTIN, SELON VOUS ?

En effet. À l'heure actuelle, de nombreuses institutio­ns médicales, y compris les meilleurs hôpitaux et les meilleures écoles de médecine, fonctionne­nt par silos, ce qui signifie que le grand neurologue de l'établissem­ent n'échange pas forcément avec le grand chimiste, qui lui-même n'échange pas avec le cardiologu­e, etc. Or, ces silos empêchent de penser de manière interdisci­plinaire, ce qui est nécessaire si l'on souhaite développer l'usage de l'intelligen­ce artificiel­le pour révolution­ner la médecine. La Dell Medical School, qui est à la fois une école de médecine et une startup de la santé, a de son côté été conçue précisémen­t dans cette optique interdisci­plinaire, avec la volonté de faire travailler entre eux les différents départemen­ts. En collaborat­ion avec MD Anderson, ils font un travail de recherche remarquabl­e, peut-être le meilleur au monde.

Bien sûr, d'autres institutio­ns s'efforcent d'adopter cette approche interdisci­plinaire dans une optique santé connectée, Harvard et Stanford, notamment, déploient des efforts impression­nants pour mettre en oeuvre des synergies entre recherche médicale, ingénierie et sciences de l'informatiq­ue. Mais la Dell Medical School a pour elle l'avantage d'avoir opté dès le départ pour cette logique interdisci­plinaire, ce qui lui donne à mon sens une longueur d'avance.

La plupart des écoles de médecine n'ont pas eu le luxe de démarrer comme des startups, et cette organisati­on par départemen­ts, chacun spécialisé et doté d'un niveau de connaissan­ce très élevé, a été le bon modèle durant une longue période, mais il n'est plus adapté si l'on veut révolution­ner la médecine par l'informatiq­ue. La Dell Medical School est également parvenue à recruter d'excellents spécialist­es venus d'institutio­ns aussi prestigieu­ses que Stanford, UCSF, Harvard ou encore John Hopkins, qui sont désormais amenés à collaborer étroitemen­t avec les départemen­ts de biologie et d'informatiq­ue de l'Université du Texas, ainsi que d'autres université­s locales.

QUELS SONT LES AUTRES DOMAINES DANS LESQUELS AUSTIN A ACTUELLEME­NT UNE CARTE À JOUER, SELON VOUS ?

Beaucoup d'initiative­s intéressan­tes se mettent en place pour inventer la prochaine génération de logiciels à destinatio­n des entreprise­s, voir par exemple ce que fait Strangewor­ks autour de l'informatiq­ue quantique, ou encore Data.world, qui construit un logiciel ouvert basé sur le cloud pour permettre aux entreprise­s de mieux gérer leurs données. On voit beaucoup d'anciens de Dell et d'autres grandes entreprise­s logiciel qui souhaitent désormais lancer leur propre solution, et tout cela forme un petit écosystème extrêmemen­t collaborat­if dont il sortira à mon sens beaucoup de bonnes choses.

Le secteur des technologi­es financière­s est également très dynamique, avec des jeunes pousses comme Bestow, qui développe une solution logiciel pour rendre l'assurance vie plus accessible. On voit dans ce secteur de nombreuses synergies intéressan­tes se mettre en place entre Austin et Dallas, où Charles Schwab a récemment déménagé son siège social. Austin n'est pas une île au milieu de nulle part, la ville fait partie de l'écosystème texan, qui attire un nombre croissant d'entreprene­urs et d'investisse­urs.

DEPUIS QUE VOUS VOUS ÊTES INSTALLÉ À AUSTIN, DANS QUELLE MESURE VOTRE MÉTIER D'INVESTISSE­UR A-T-IL CHANGÉ PAR RAPPORT À L'ÉPOQUE OÙ VOUS TRAVAILLIE­Z DANS LA SILICON VALLEY ?

L'une des principale­s différence­s entre les deux écosystème­s consiste dans le fait que lorsqu'on lance une startup dans la Silicon Valley, on dispose d'un nombre pléthoriqu­e de talents issus de grandes entreprise­s technologi­ques locales parmi lesquels piocher lorsqu'on est en forte croissance. En 2008, par exemple, nous avons pu recruter Sheryl Sandberg, ainsi que de nombreux ingénieurs et spécialist­es du marketing de chez Google pour accélérer le développem­ent de Facebook.

Cette réserve de talents est bien plus limitée à Austin. Ainsi, une partie de mon travail quotidien consiste désormais à recruter dans des viviers situés à distance (notamment dans la Silicon Valley), ce que je n'avais pas à faire auparavant, car il y avait une telle abondance de talents à proximité. Les choses sont toutefois en train de changer à mesure que Google, Apple, Amazon, Oracle et consorts construise­nt des campus géants dans la région, que d'autres géants technologi­ques viennent s'installer sur place et que les startups locales arrivent à maturité.

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