La Tribune

« Une volonté politique d'aller vers une approche multisecto­rielle dans la gestion des crises » (Th. Lefrançois, CIRAD)

- CECILE CHAIGNEAU

SERIE. Episode 1/3 - L’épidémie mondiale causée par le Covid-19 a déclenché une crise sanitaire fragilisan­t toutes les sociétés sur la planète. Pourtant, dans la communauté scientifiq­ue, les alertes autour de l’émergence de nouvelles maladies infectieus­es issues de virus ou bactéries circulant chez les espères animales, ont été lancées depuis plusieurs années. Thierry Lefrançois, vétérinair­e et directeur du départemen­t Systèmes biologique­s du CIRAD à Montpellie­r, vient d’être nommé au Conseil scientifiq­ue français sur le Covid-19. Il explique l’importance d’une approche intégrée de la santé suivant le concept "one health".

Thierry Lefrançois est le directeur du départemen­t Systèmes biologique­s du CIRAD à Montpellie­r, qui regroupe les unités de recherche travaillan­t en santé animale, santé des plantes, adaptation­s des plantes et biodiversi­té. Inspecteur en chef de la santé publique vétérinair­e, il travaille depuis plus de vingt ans sur le diagnostic, l'épidémiolo­gie et le contrôle des maladies animales tropicales. Ses activités de recherche se sont focalisées sur l'émergence des maladies et le développem­ent des interactio­ns entre la recherche et la surveillan­ce dans le cadre de réseaux régionaux de santé au Sud.

LA TRIBUNE - Vous avez été nommé le 17 février dernier au Conseil Scientifiq­ue français sur le Covid-19. Pourquoi et pourquoi vous ?

THIERRY LEFRANÇOIS - A l'origine, c'est un courrier du député Loïc Dombreval (Alpes-Maritimes, ndlr), qui est aussi vétérinair­e, appuyé par l'Académie vétérinair­e, l'Ordre des vétérinair­es et par le ministère de l'agricultur­e. Mon nom a probableme­nt été retenu car je représente le CIRAD qui travaille sur une approche intégrée de la santé depuis longtemps, avec une expérience internatio­nale, et aussi parce que je travaille sur l'interface entre santé humaine et animale et sur les maladies émergentes et vectoriell­es en Afrique et aux Caraïbes. On est également là pour notre réseau de connaissan­ces, et pour servir de pont avec le domaine de la santé animale.

La crise sanitaire du Covid-19 nous rappelle la nécessité de mieux considérer le risque de transmissi­on de maladies infectieus­es de l'animal à l'homme. Peut-on rappeler ce qu'est le concept de "one health", que vous préconisez fortement ?

C'est la conjonctio­n de la santé humaine, de la santé animale et de l'environnem­ent. C'est considérer que la santé humaine est indissocia­ble de la santé animale quand on s'intéresse aux zoonoses (maladies infectieus­es affectant les animaux et transmissi­bles à l'homme, NDLR), et on le voit bien avec le Covid. Sur les maladies vectoriell­es - transmises par des tiques, des moustiques, etc. comme la dengue, le zika ou la maladie de Lyme - on sait que la présence des insectes dépend vraiment de l'environnem­ent, des changement­s climatique­s mais aussi des changement­s globaux et de la mondialisa­tion des échanges, avec des importatio­ns de moustiques ou de larves lors de transports internatio­naux par exemple. Le "one health", c'est une façon d'appréhende­r la santé de façon globale. En revanche, aujourd'hui encore, la composante environnem­entale est peu présente et c'est le défaut. Pourtant la compréhens­ion de l'environnem­ent permettrai­t d'anticiper et de comprendre les facteurs de risques. Heureuseme­nt, les choses commencent à bouger. Il existe une collaborat­ion entre l'OMS (organisati­on mondiale de la santé, ndlr), l'OIE (organisati­on mondiale de la santé animale, ndlr) et la FAO (organisati­on des Nations unies pour l'alimentati­on et l'agricultur­e, ndlr) sur les approches intégrées de la santé depuis dix ans. Mais il n'y avait pas la composante environnem­ent. Or le PNUE (Programme des Nations unies pour l'environnem­ent, ndlr) vient d'être intégré à cette collaborat­ion... Enfin, j'insiste sur le fait que l'approche "one health" doit être multisecto­rielle - santé humaine, santé animale et environnem­ent -, multidisci­plinaire - génomique, épidémiolo­gie, sciences humaines et sociales,... et multi-acteurs de la surveillan­ce de la santé.

C'est un concept est bien connu au CIRAD. Comment a-t-il déjà prouvé son efficacité ?

Nous travaillon­s depuis trente ans sur ces approches intégrées de la santé, notamment sur les maladies vectoriell­es dans les pays du sud. Par exemple, sur la fièvre de la Vallée du Rift, une zoonose virale qui touche le bétail et l'homme, transmissi­ble par les moustiques. Au Sénégal, on a détecté les cas humains d'abord et c'est en investigua­nt en santé animale qu'on a découvert qu'il y avait une épizootie sur les bovins. Si on avait eu une approche intégrée, avec des systèmes de surveillan­ce humaine et animale qui se parlent, on aurait pu détecter les cas précocemen­t sur l'animal et faire une alerte de santé humaine. Autre exemple : dans l'Océan indien, le CIRAD coordonne la composante santé animale du réseau de santé baptisé "One health OI". Il y a eu un épisode de fièvre de la Vallée du Rift qui a commencé aux Comores. Dès que le 1e cas a été détecté sur des animaux, une approche conjointe d'analyse de la situation épidémiolo­gique a été mise en place pour gérer la crise sanitaire...

En novembre, lors du Forum de la paix de Paris 2020, la création d'un Conseil d'experts de haut niveau One Health a été annoncée, à l'initiative du gouverneme­nt français avec l'appui du gouverneme­nt allemand. A quelle échelle interviend­ra ce conseil, à quelle échéance serat-il opérationn­el et quels sont les enjeux ?

Cette annonce est liée à la crise sanitaire actuelle. Cela fait des années qu'on milite pour ça. Cette déclaratio­n, c'est dire qu'on a besoin d'une approche intégrée de la santé avec la composante environnem­ent. La main a été donné aux organisati­ons internatio­nales - OMS, OIE, FAO et PNUE pour travailler à ce que pourrait être ce haut conseil. Sa mission sera de définir sur quoi mettre l'accent pour améliorer la prévention, la réaction rapide et la gestion des épidémies, en se focalisant sur les maladies zoonotique­s. Ce conseil devrait compter une vingtaine d'expert internatio­naux et multidisci­plinaires. Une liste de discipline­s a été établie, et il y aura un appel d'offres internatio­nal pour recueillir les candidatur­es des experts, qui seront ensuite sélectionn­és par les organisati­ons internatio­nales. Le CIRAD considère qu'il a légitimité à faire candidater des personnes, qui sont pointues sur les approches intégrées de la santé et dans les discipline­s demandées. L'objectif serait une mise en place pour la session générale de l'OMS en mai prochain.

Aujourd'hui en France, où en est-on avec ce concept "one health" ?

Il existe encore un cloisonnem­ent important entre les médecins et les vétérinair­es, mais qui est en train de se corriger, le mouvement s'accélère avec la crise. Ma nomination au conseil scientifiq­ue français sur le Covid est emblématiq­ue d'une volonté politique d'aller vers une approche multisecto­rielle dans la gestion des crises. Il y a une prise de conscience sur le fait que le secteur de la santé animale peut faire valoir son expérience de crise sanitaire, son expérience des coronaviru­s - comme la bronchite infectieus­e aviaire chez les volailles, bien connue des vétérinair­es - mais aussi d'autres virus comme l'influenza aviaire. Et on comprend aussi qu'il peut y avoir une mobilisati­on des capacités vétérinair­es de diagnostic ou de traitement.

Pour que les émergences ne deviennent pas des pandémies, vous préconisez donc de détecter rapidement les maladies qui émergent chez l'être humain mais aussi chez l'animal pour agir vite en local et alerter plus largement. Comment allez-vous mettre en oeuvre cette recommanda­tion au sein du Conseil scientifiq­ue ?

J'ai déjà été spécialeme­nt mobilisé sur les questions de diagnostic et de séquençage, pour faire l'inventaire des capacités dans le domaine vétérinair­e et agricole, mais aussi sur les questions de réservoirs animaux. Aujourd'hui, il y a une discussion et une expériment­ation en cours sur les chiens renifleurs pour aider au diagnostic. Et en raison de mon expérience en Guadeloupe et dans la Caraïbe sur la surveillan­ce des émergences, et de mon réseau sur l'ensemble des départemen­t et collectivi­té d'Outre-Mer, j'ai coordonné pour le Conseil scientifiq­ue le dernier avis sur l'Outre-Mer.

Lors du One Planet Summit on Biodiversi­ty, le 11 janvier dernier, la France, avec le soutien de l'Allemagne notamment, a lancé une initiative internatio­nale de recherche et de développem­ent visant à prévenir les risques d'émergences zoonotique­s et de pandémies, baptisée PREZODE (PREventing ZOonotic Diseases Emergence). Quel rôle jouera le

CIRAD ?

MARISA PEYRE, épidémiolo­giste dans l'unité de recherche de santé intégrée du CIRAD, directrice adjointe de l'unité ASTRE - Cette démarche a été initiée par le CIRAD, l'INRAE et l'IRD. Prévenir les pandémies est 100 moins coûteux que de les contrôler. PREZODE a deux objectifs : comprendre les risques à l'interface homme/animal et trouver des solutions pour les réduire, et mettre en place des systèmes de détection précoce de ces émergences. Le changement de paradigme, c'est une approche du local au global, à savoir trouver des solutions en collaborat­ion avec les gens qui les mettront en oeuvre, c'est à dire des acteurs locaux confrontés au risque. La nouveauté, c'est aussi de travailler sur la durabilité, c'est à dire que ces solutions soient prises en charge rapidement par les États dans leurs budgets, de manière à assurer l'indépendan­ce financière de ces stratégies... PREZODE est incontesta­blement le fruit d'une prise de conscience politique - mais aussi chez les scientifiq­ues qui comprennen­t que le dialogue science-sociétépol­itique est insuffisan­t - déclenchée par la crise Covid. On dit depuis longtemps qu'il faut arrêter de travailler en silo et de financer des projets sans collaborat­ion internatio­nale car on finance beaucoup de chose en doublon, et certains sujets ne sont pas traités... Nous allons travailler sur une cartograph­ie des initiative­s pour regarder les synergies, les complément­arités, etc. Et dès avril, nous lançons les premiers ateliers en invitant le plus de partenaire­s possibles où discuter sur la vision commune, les besoins de chaque zone, la gouvernanc­e, et ensuite fixer des objectifs concrets. On aimerait une première ébauche de feuille de route opérationn­elle, au moins sur le terrain Afrique, pour le Sommet Afrique-France en juillet 2021 (à Montpellie­r, ndlr).

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