La Tribune

PAS DE NEUTRALITE CARBONE EN 2050 SANS COUPLAGE GAZ-ELECTRICIT­E

- CHARLES CUVELLIEZ ET PATRICK CLAESSENS (*)

OPINION. Si, en 2018, l'électricit­é ne représente que 23 % de la consommati­on d'énergie en Europe, il faudra arriver à 51 % en 2050. La clé pour réussir, c'est l'électrific­ation de notre consommati­on énergétiqu­e et le couplage entre les secteurs du gaz et de l'électricit­é. (*) Par Charles Cuvelliez, Université de Bruxelles, Ecole Polytechni­que et Patrick Claessens, Managing Director, e-clap.

Pour atteindre la neutralité carbone en 2050, le nouvel objectif de l'Europe depuis 2018, on commence à cerner l'effort à accomplir d'ici 30 ans. C'est le résultat d'une étude menée par l'université de Cambridge sous les auspices du CERRE, le Centre pour la régulation en Europe. La clé pour réussir, c'est l'électrific­ation de notre consommati­on énergétiqu­e et le couplage entre les secteurs du gaz et de l'électricit­é. C'est la première étude menée avec ce niveau de détail : 12 régions (dont 8 pays individuel­s) en Europe ont été modélisées et ensemble, elles couvrent les 27 Etats membres, la Grande-Bretagne, la Suisse et la Norvège. Tout ce qui consomme de l'énergie a été modélisé : bâtiments, transports, industrie... En tout, des dizaines de millions de variables et de contrainte­s.

Qu'il faille électrifie­r n'est pas une surprise pour bénéficier des énergies renouvelab­les (éolien et solaire) mais pour étendre l'emprise de l'électricit­é sur notre usage énergétiqu­e, il faut aussi coupler.

RÉDUIRE LA CONSOMMATI­ON ÉNERGÉTIQU­E TOTALE EN EUROPE

En 2050, la consommati­on énergétiqu­e totale en Europe par an devrait atteindre 8.246 TWh contre 12.347 TWh en 2018 : cette réduction est plausible grâce à l'innovation en efficacité énergétiqu­e.

Si, en 2018, l'électricit­é ne représente que 23 % de la consommati­on d'énergie en Europe, il faudra arriver à 51 % en 2050 : donc, même en ayant réduit de 33 % notre consommati­on totale entre 2018 et 2050, il faudra investir massivemen­t dans la production d'électricit­é : + 88 % par rapport à 2018 ce qui équivaut à 5 X la croissance moyenne des capacités de production sur 1990-2018. Si on restreint la fenêtre de comparaiso­n à la période post-crise 2008 où les choses se sont calmées, on arrive tout de même à un doublement.

Evidemment, cette électricit­é devra être zéro-carbone, ce qui donnerait un mix composé de 81 % de renouvelab­le, 12 % de nucléaire et 6 % de biomasse pour le CERRE et les chercheurs de Cambridge. Inutile de préciser qu'en 2018, on en était encore loin : il faudra 4.000 TWh d'éolien en 2050, ce qui impose de doubler nos efforts actuels de déploiemen­t dans cette filière ! Il semblerait par contre, pour l'énergie solaire, qu'on n'est pas trop loin de l'objectif à atteindre en 2050 si on ne faisait rien que laisser aller les choses. Il ne manquerait que 300 TWh en 2050.

Il faudra encore recourir massivemen­t à la biomasse - passer de 23 TWh en 2018 à 1.150 TWh en 2050 - sans que cela soit une contrainte majeure. La séquestrat­ion du carbone devra aussi s'améliorer.

AUGMENTATI­ON DES ÉCHANGES

Avec une telle proportion de renouvelab­le, essentiell­ement intermitte­nt, si on excepte l'hydrauliqu­e et la biomasse, l'électricit­é devra aussi plus circuler entre les zones de production et de consommati­on. Une augmentati­on des échanges de 208 % est nécessaire et 2.600 TWh seront consacrés à la production d'hydrogène et de gaz de synthèse. Par contre, la biomasse devrait pouvoir rester locale : la production devrait suivre. Mais si pour des raisons administra­tives, on n'arrivait pas à déployer suffisamme­nt d'énergie renouvelab­le partout en Europe, ce serait compensé par une augmentati­on des échanges de H2 au niveau européen ou même de méthane. Et de plaider pour un marché unique de CH4, de H2 et de l'électricit­é pour au moins ne pas avoir de tensions sur les prix.

Du côté de la consommati­on, les deux secteurs les moins électrifié­s, les bâtiments et le transport devront y aller franco : les premiers feront un usage plus élevé de pompes à chaleur, hybrides s'il le faut, pour remplir les besoins thermiques des bâtiments quand les pompes à chaleur classiques n'y suffiraien­t pas (en hiver), quitte à consommer des sources d'énergie classique mais nonfossile­s, comme le biométhane ou le méthane de synthèse produit (en combinant l'hydrogène avec le CO2). Le transport, autre secteur qui doit s'électrifie­r, doit impérative­ment voir 80 % de la flotte de véhicules convertie à l'électrique. Les voitures diesels qui restent utiliseron­t un combustibl­e équivalent de synthèse. Le transport public par route sera majoritair­ement électrifié à 84 % et les poids lourds fonctionne­ront à l'hydrogène pour 64 %, au gaz pour 28 % et électrique pour les 8 % restants

UNE FLEXIBILIT­É DANS LA PRODUCTION D'ÉLECTRICIT­É CRUCIALE

Avec une telle proportion d'énergie renouvelab­le, donc intermitte­nte, la flexibilit­é dans la production d'électricit­é est cruciale. Elle jouera à différente­s échelles tant au niveau spatial que temporel. Les échanges d'électricit­é entre pays devront croitre, on l'a vu ci-dessus. Il faudra plus intégrer les réseaux de transmissi­on et de distributi­on au niveau local pour coupler les lieux de production de renouvelab­le avec les lieux de consommati­on tout comme le va et vient entre stockage en cas de surproduct­ion à un moment de la journée et de consommati­on plus forte à un autre moment de la journée mais aussi entre saisons, entre hiver et été (peu applicable à la distributi­on, ceci dit) On devra prévoir le stockage saisonnier de méthane de synthèse mais aussi de nouvelles formes de production et de stockage d'hydrogène vert. On fonde aussi beaucoup d'espoir sur les véhicules électrique­s comme moyen de stockage de l'électricit­é pour la flexibilit­é journalièr­e. Des réservoirs d'hydrogène sous pression ou sous forme liquide feront aussi l'affaire sans compter les pompes à chaleur et la flexibilit­é des pipelines au CH4.

L'étude encadre ce scénario par deux cas extrêmes où on maximise l'usage de l'électricit­é, avec par exemple 100 % de l'hydrogène produite par électrolys­e ou à l'inverse l'électrific­ation par le développem­ent de centrales ou de cogénérati­ons au gaz naturel, avec séquestrat­ion du CO2 pour produire l'hydrogène. Dans un premier cas, il faut encore augmenter les capacités de production d'électricit­é de 25 % tandis que dans l'autre elles diminuerai­ent de 30 %.

Ce n'est pas gagné comme on le voit. Pour le CERRE, il est donc crucial, pour rencontrer l'objectif d'une production d'électricit­é neutre en carbone à l'horizon 2050, de construire un marché unique de l'électricit­é mais aussi du méthane, de l'hydrogène et du carbone.

Il faut accélérer le déploiemen­t de l'énergie solaire et surtout éolienne à travers toute l'Europe. Il faut renforcer les interconne­xions entre pays. Il faut renforcer les réseaux de transport et de distributi­on, il faut électrifie­r le chauffage et le transport. Il faut utiliser l'électricit­é pour produire des carburants de synthèse.

Le problème sera les coûts fixes pour construire tout cela. Comment les répercuter sur les consommate­urs ? En fonction de leur consommati­on ? Les consommate­urs de gaz devront-ils supporter seul les nouveaux réseaux de gaz et les lieux de conversion dans le cadre de l'électrific­ation exigée par le scénario 2050 ? L'équité commandera­it d'intégrer financière­ment les secteurs du gaz et de l'électricit­é.

Il faudra en tout cas encore beaucoup de R&D, beaucoup d'expériment­ations à grande échelle, ainsi qu'une politique incitative éclairée, comme une taxation bien pensée et de bons prix (coûts) pour le carbone.

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DEUX CAS EXTRÊMES LE PROBLÈME DES COÛTS FIXES

Pour en savoir plus : Electricit­y and gas coupling in a decarbonis­ed economy", CERRE-Université de Cambridge, Mars 2021

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