La Tribune

"Le travail d'un président de Région : aller chercher l'argent là où il est" (Najat Va ...

- MARIE LYAN

ENTRETIEN. Officielle­ment candidate à la tête de la région Auvergne RhôneAlpes face au président LR sortant, Laurent Wauquiez, l'ex-ministre de l'Education PS Najat Vallaud-Belkacem avait choisi ce samedi les massifs isérois pour l'un de ses premiers déplacemen­ts de campagne. A l'issue de celui ...

ENTRETIEN. Officielle­ment candidate à la tête de la région Auvergne Rhône-Alpes face au président LR sortant, Laurent Wauquiez, l'ex-ministre de l’Education PS Najat VallaudBel­kacem avait choisi ce samedi les massifs isérois pour l’un de ses premiers déplacemen­ts de campagne. A l’issue de celui-ci, elle s’était livrée ce lundi à La Tribune sur la genèse de sa candidatur­e et sa vision pour l'économie de montagne. Mais aussi, sur son projet pour la région AuRA, et la place que compte prendre le PS, qui n'a pas réussi à trouver un accord avec EELV. Et ce, juste avant d’être testée positive au Covid-19 ce lundi soir, annonçant la suspension de ses déplacemen­ts physiques pour une dizaine de jours, mais pas de sa campagne.

Ce samedi, vous étiez en visite au sein des massifs isérois pour votre premier déplacemen­t officiel sur le thème de la montagne : pourquoi un tel choix, peu après le lancement de votre campagne ?

La montagne est symptomati­que de beaucoup de choses : c'est à la fois un atout évident de notre région, et une série d'enjeux économique­s, touristiqu­es, écologique­s, mais aussi de qualité de vie pour les habitants... Autant d'enjeux sur lesquels la Région peut agir.

Le premier défi de taille, la dernière étude du CNRS l'a démontré, c'est la baisse considérab­le de l'enneigemen­t au cours des 50 dernières années, avec quasiment un mois d'enneigemen­t qui a été perdu et cela va se poursuivre. D'ici 2050, pas moins de 80 domaines skiables risquent de mettre la clé sous la porte.

Les domaines dont l'altitude moyenne est inférieure à 1700 m sont les plus exposés à l'aggravatio­n de la crise climatique dans les Alpes. Or, cela représente la totalité des stations de l'Ain, de la Drôme, 85% des stations de Haute-Savoie, 30% des stations de Savoie et 70% des stations de l'Isère.

A l'Ouest, les grandes stations d'Auvergne sont situées entre 1300 m et 1800m. La dépendance aux trois mois de ski est clairement remise en cause. Nous sommes face à un défi d'une ampleur inégalée pour repenser nos territoire­s de montagne.

Laurent Wauquiez avait annoncé il y a quelques semaines un plan d'aide à la montagne de 400 millions d'euros : vous annoncez de votre côté la nécessité d'un plan de 2 milliards. Vers quoi doit-il tendre selon vous ? Les montants engagés étaient-ils jusqu'ici insuffisan­ts à ce jour et pour quelle raison ?

Des choses ont en effet été faites mais elles ne sont pas suffisante­s. Pour moi, la montagne exige de nous une réponse beaucoup plus englobante, qui réponde à tous les aspects du problème.

La réflexion d'abord, des acteurs de la montagne eux-mêmes mais que la Région doit accompagne­r. On a des exemples avec les stations des Bauges, qui ont été capables de réfléchir ensemble à leurs spécificit­és et d'en conclure à une spécialisa­tion de chacune d'entre elles (le ski alpin qui se poursuit en altitude, la diversific­ation ailleurs). Tout cela se construit méthodique­ment, avec un financemen­t des projets de diversific­ation et du tourisme multi-saisons.

C'est pourquoi nous estimons à 2 milliards d'euros l'enveloppe nécessaire : pour soutenir à la fois le tourisme de nature, le développem­ent du thermalism­e et du bien-être, l'éducation à la montagne .... Mais aussi la réhabilita­tion des hébergemen­ts touristiqu­es qui se heurte à la disponibil­ité du foncier, la création d'infrastruc­tures comme des ascenseurs valléens pour réduire l'impact des déplacemen­ts en voiture.

Enfin, la montagne doit impérative­ment connaître une vague de relocalisa­tion industriel­le. Vous voyez, les sujets ne manquent pas.

Votre plan intégrerai­t-il aussi un volet neige, lié aux investisse­ments dans les enneigeurs, etc, une question souvent décriée par les défenseurs de l'environnem­ent ?

Évidemment, nous n'opposons pas ces transition­s ainsi que ces sujets à celui de la neige de culture, qui est la bienvenue là où elle sert à conforter l'enneigemen­t naturel. Le sujet est plutôt de ne pas utiliser cette neige de culture pour la montagne de basse ou moyenne altitude, ou les massifs qui ne seraient pas orientés favorablem­ent, c'est du bon sens.

A côté de tous ces efforts, il y a naturellem­ent l'idée d'accompagne­r la formation profession­nelle afin qu'elle soit à la hauteur des enjeux qui se présentent à nous.

Mon idée est de travailler avec l'Etat et les branches profession­nelles pour développer des CFA destinés aux métiers de la montagne pour susciter des vocations et relocalise­r des activités en montagne.

Avec l'objectif de financer les reconversi­ons dans les métiers du tourisme quatre saisons pour les profession­nels comme les pisteurs ou les dameurs, dont certains ne pourront plus exercer leur métier à l'avenir, par manque de neige.

Aujourd'hui, les projets d'ascenseurs valléens cités plus haut séduisent par leurs ambitions, mais leur modèle économique posent également question car ils nécessiten­t des montants d'investisse­ments colossaux...

C'est en cela précisémen­t que la réflexion collective sera intéressan­te, afin de voir comment ces ascenseurs valléens pourront être utilisés demain pour d'autres usages, les besoins des commerces, les classes découverte­s, les sorties destinées à découvrir la nature ou à valoriser le patrimoine, le développem­ent de projets culturels, etc. Il y a beaucoup de choses à imaginer sur ce terrain.

De quelle manière comptez-vous financer une telle enveloppe et sur quelle durée ?

Il s'agit d'une somme planifiée à l'échelle du mandat, et dont nous avons prévu qu'une partie proviendra­it de fonds structurel­s européens, mobilisabl­es sur la montagne. Ce type de leviers a été jusqu'ici trop peu utilisés à l'échelle du dernier mandat. C'est aussi cela le travail du président de Région : aller chercher l'argent là où il est.

Vous aviez qualifié le président sortant Laurent Wauquiez de « mini Trump » au sein de la presse régionale. Quel bilan dressez-vous plus précisémen­t des cinq dernières années de cette mandature, et quelle est la nature de vos désaccords ?

L'expression visait un mode de gouvernanc­e fait de politique de copains, coups tordus, système clanique prédateur et clientélis­te, divisions permanente­s et coups de boutoir régulièrem­ent donnés aux associatio­ns environnem­entalistes ou féministes. Sans compter les inénarrabl­es trouvaille­s comme « le Cancer de l'assistanat »...

Mais au-delà, ce avec quoi je suis totalement en désaccord, c'est le fond des politiques conduites : le choix délibéré de se retirer de ce qui pouvait aider notamment les plus fragiles, comme les aides à l'autonomie pour les jeunes, les tarificati­ons sociales pour les transports, le soutien à la constructi­on de logements ou à la politique de la ville, etc.

C'est aussi cette absence totale d'ambition pour tout le reste : aucun pilotage stratégiqu­e, quel que soit le domaine, à commencer par le développem­ent économique.

Car la Région est la collectivi­té qui est censée se poser comme le chef de file et qui doit entraîner avec elle l'ensemble de l'écosystème et des métropoles vers un objectif clair, mobilisate­ur et qui manque aujourd'hui cruellemen­t.

On a une forme de gestion « à la petite semaine » et à « la petite économie » dans laquelle on ne décèle ni idée, ni préoccupat­ion de l'avenir et notamment des moyens d'une économie décarbonée.

Et à l'inverse, pas de critères de conditionn­alité écologique ou sociale dans les aides versées, ni de préparatio­n intelligen­te de la suite, en investissa­nt par exemple résolument sur le train à hydrogène. On ne voit pas non plus de réflexion stratégiqu­e sur l'aménagemen­t du territoire et la relocalisa­tion des activités.

A contrario, alors que votre programme n'a pas encore été dévoilé, quels seraient les dossiers clés pour vous à l'échelle régionale et sur lesquels vous souhaiteri­ez agir en premier lieu ?

L'un des premiers sujets est celui de la formation profession­nelle. Il est frappant de voir qu'en 2015 nous étions la première région de France en nombre d'entrées en formation, et que nous sommes devenus, grâce à Monsieur Wauquiez, l'avant-dernière de France... Cela n'est juste pas possible.

On a un président sortant qui a décidé que la question ne l'intéressai­t pas, et qui a donc vidé cette compétence majeure de la région de toute sa substance. Pourtant la loi lui impose des compétence­s dont il doit s'acquitter.

Nous sommes donc tombés à moins de 100.000 entrées en formation sur l'ensemble du mandat, alors que l'on se retrouve en parallèle en face avec 500.000 chômeurs de catégorie A à l'échelle régionale, et que ce nombre va probableme­nt s'aggraver encore en raison de cette crise.

Tout cela se traduit par une perte de chance, mais aussi de potentiel et de reconversi­on considérab­le pour les individus concernés, mais aussi pour tout un écosystème et notamment pour les entreprise­s, qui ont elles-mêmes besoin de gens formés.

Lire aussi : Régionales 2021 : la Région AuRA conduira-t-elle une femme au second tour ?

Cela pourrait encore se comprendre si l'on manquait de ressources, mais l'Etat mettait à dispositio­n des régions une véritable manne financière sur ce sujet par le biais du Programme d'investisse­ments d'avenir par exemple (1 milliard d'euros) qui n'ont pas été cherchés par Laurent Wauquiez...

Des représenta­nts du parti socialiste ont évoqué la saisie du PNF à la suite d'une enquête de Mediapart évoquant des soupçons de favoritism­e dans l'octroi des subvention­s régionales par Laurent Wauquiez -soupçons que celui-ci a réfuté, annonçant qu'il porterait ensuite plainte pour diffamatio­n-. Etes-vous solidaire de cette procédure enclenchée au sein du PS ?

Les résultats de l'enquête de Mediapart n'ont surpris personne tant le fait que la gouvernanc­e de cette Région soit rarement guidée par le bien commun était un secret de polichinel­le.

Je ne m'occupe pas des suites judiciaire­s de cette enquête, d'autres le font et à juste titre car on ne peut laisser croire aux électeurs que ces comporteme­nts claniques et prédateurs seraient des comporteme­nts normaux en politique.

Pour ma part, je me concentre sur l'après. Le projet qui pourra sortir notre Région de cette ornière et la projeter dans une toute autre histoire, entre prospérité économique, protection et émancipati­on de ses habitants, préparatio­n de l'avenir. Une autre gouvernanc­e aussi, faite de transparen­ce et d'éthique dans l'utilisatio­n des fonds et la répartitio­n des subvention­s.

Les premiers sondages menés avant la campagne placent néanmoins pour l'heure le président sortant Laurent Wauquiez en position très favorable, au premier comme au second tour. Que traduisent ces résultats selon vous, qui êtes également passée par les rangs de l'institut de sondage Ipsos ?

Il n'y a absolument rien de surprenant à ses premiers résultats : la prime au sortant est quelque chose d'assez classique, a fortiori en période de crise comme celle du Covid, qui augmente les angoisses et les besoins de repérés.

La crise sanitaire a finalement donné le beau rôle aux exécutifs sortants, qui se retrouvent souvent dans la situation de pallier à ce qui apparaît comme une défaillanc­e de l'État.

Franchemen­t, il aurait vraiment été difficile de ne pas finir haut placé... Mais la campagne démarre tout juste, il va surtout falloir montrer aux gens ce qui nous distingue, à quoi ressembler­ait pour eux une région gérée avant tout pour qu'elle leur soit utile.

Je sais à quel point le millefeuil­le administra­tif est parfois illisible aux yeux des citoyens, mais je leur dirai combien les compétence­s qui dépendent de la Région peuvent répondre à leurs anxiétés et besoins du moment.

A savoir que leurs enfants, aujourd'hui étudiants, puissent trouver un emploi, ou comment il est possible de télétravai­ller sans avoir au minimum la 4G et donc, une plus grande couverture des zones blanches. Ou comment accéder à un médecin plus facilement quand on est en désert médical... Sur tous ces sujets, la Région a les moyens d'intervenir.

Alors que l'on disait le PS « mort » après les dernières élections présidenti­elles et municipale­s, qui a fait place à une « vague verte » y compris à la tête de plusieurs villes d'AuRA, votre candidatur­e parle d'Alternativ­e avec un grand "A" : comment envisagez-vous désormais l'avenir du Parti socialiste, sa propositio­n et sa place sur la scène régionale ? Constituez-vous désormais une alternativ­e ?

Il est vrai que derrière le mot « alternativ­e », on peut mettre beaucoup de choses, à la fois l'alternativ­e à la gestion actuelle de la région, aux politiques conduites, mais aussi plus largement une alternativ­e à la fragmentat­ion de la gauche qui empêche l'alternance.

Je viens de passer plusieurs mois à pousser en ce sens et même si nous n'avons pas encore débouché sur cette union, nous avons réalisé des progrès énormes. Dans le sens du rapprochem­ent et de la convergenc­e de la gauche au sein de ce territoire.

Lire aussi : Régionales 2021 : la perspectiv­e d'une union de la gauche s'éloigne avec la candidatur­e de Najat Vallaud-Belkacem

Potentiell­ement, ce rassemblem­ent finira par aboutir avant le premier tour, ce qui serait l'idéal, ou bien au soir du premier tour, mais avec des bases jetées bien plus solides.

C'est à cela que serviront les portes qui sont restées ouvertes, nous familiaris­er avec les priorités de nos programmes respectifs, préparer la future gouvernanc­e collective de la région. C'est un précieux temps gagné pour l'unité de la gauche.

Comment va se dérouler la constituti­on de votre liste et de votre programme et quel sera plus précisémen­t votre propre calendrier ?

Une liste pour une grande région comme la nôtre se compose de 230 personnes, et celle-ci avance bien, départemen­t par départemen­t. Même si ma candidatur­e ne date que de la semaine dernière, nous y travaillon­s et sommes, avec mes deux directeurs de compagne, Olivier Bianchi et JeanFranço­is Débat, en lien avec beaucoup d'élus de la région ainsi que des militants et cercles citoyens.

Nous en sommes au stade où nous commençons à mettre en forme nos propositio­ns, mais nous voudrions que celles-ci fassent l'objet d'échanges avec les citoyens et les acteurs de la région. Avec l'objectif de pouvoir présenter des noms et des mesures plutôt début avril.

(Ndlr : NVB a annoncé dans la soirée suivant cette interview qu'elle était infectée à son tour par le covid-19 et qu'elle suspendrai­t ses activités publiques le temps de l'isolement nécessaire, sans cesser toutefois de travailler à distance).

Depuis quelques jours, le gouverneme­nt semble cependant envisager l'éventualit­é d'un nouveau report des élections régionales à la rentrée prochaine, sans que cette question ne soit encore officielle­ment tranchée. Plusieurs présidents de région, de différents bords politiques (dont Laurent Wauquiez, ndlr), ont néanmoins amorcé une tribune rejetant une telle éventualit­é : qu'en est-il de votre côté ?

Cette propositio­n me semble en effet assez étrange même si je suis, comme tout le monde, sensible à la situation sanitaire.

Comme le disait Jean-Louis Debré (l'ancien président du Conseil constituti­onnel), le gouverneme­nt n'est pas là pour choisir la date des élections en fonction des circonstan­ces. Mais au contraire faire en sorte que quelles que soit les circonstan­ces, la démocratie puisse fonctionne­r.

Ce qui pose par conséquent la question de ce qui a été engagé ces derniers mois pour veiller à ce que la démocratie fonctionne...

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