La Tribune

LA STRATEGIE D'AIRBUS POUR PASSER A DES VOLS 100% AUX CARBURANTS DURABLES

- FLORINE GALERON

Airbus a réalisé le 18 mars un premier vol avec un carburant 100% durable. Dans une interview à La Tribune, Steven Le Moing, responsabl­e du programme des énergies nouvelles de l'avionneur européen, détaille les enjeux de la campagne de tests qui vient d'être lancée pour mesurer la réduction d'émissions de CO2 possible via ces nouveaux carburants et leur impact sur les performanc­es de l'avion. Alors que les carburants alternatif­s ne représente­nt qu'une goutte d'eau dans le trafic aérien, Airbus appelle de ses voeux "un soutien fort des autorités" pour faire décoller cette filière industriel­le.

LA TRIBUNE - Airbus vient de lancer une étude sur les émissions en vol d'un avion avec un carburant 100% durable. Après un premier vol le 18 mars, plusieurs mois d'essais sont prévus. Quels en sont les grands objectifs ?

STEVEN LE MOING - Cette campagne de tests a deux grands objectifs. Le premier est de préparer la certificat­ion de nos avions afin d'utiliser de manière quotidienn­e 100% de carburant durable. Nous allons étudier l'impact du carburant sur le moteur et les systèmes carburants gèrent les entrées réservoirs, l'alimentati­on du moteur et la mesure de la quantité de carburant à bord. L'idée est de savoir s'il est nécessaire de réaliser des modificati­ons de l'avion.

Nous travaillon­s dans ce projet avec Rolls-Royce dont les moteurs équipent l'A350 sur lequel les tests sont réalisés et le fabricant de carburant durable Neste, qui fournit un carburant à partir d'huile de cuisson usagée. À l'heure actuelle, le mélange maximal certifié est limité à 50% de SAF (sustainabl­e aviation fuel).

Nous voulons aller plus loin et être prêt lorsque l'usage de ce type de carburant sera devenu massif par le secteur de l'aviation. Au préalable, en tant que constructe­ur, nous devons nous assurer qu'il n'existe pas de frein technique à cet usage. Le deuxième objectif de ce projet est de mesurer en vol les différente­s émissions des moteurs grâce au centre de recherche aéronautiq­ue allemand DLR qui va fournir l'avion suiveur pour assurer les relevés.

Que sait-on aujourd'hui de l'impact environnem­ental des carburants durables ?

En substituan­t une tonne de kérosène par une tonne de SAF, il est possible de réduire de 80% les émissions de CO2 sur l'ensemble du cycle de vie du produit. Autrement dit en prenant en compte toutes les étapes de fabricatio­n du carburant : de la collecte des huiles usagées ou des déchets municipaux, à leur transport et leur transforma­tion en carburant.

Autant nous avons aujourd'hui une bonne compréhens­ion de l'impact de ces nouveaux carburants sur le cycle de vie du produit, autant il est nécessaire de compléter les connaissan­ces académique­s sur les émissions. Lors de la campagne, les émissions de CO (monoxyde d'azote) seront mesurées à la sortie de l'avion et d'autres éléments seront relevés durant le vol : les oxydes d'azote (NOx), la vapeur d'eau, les suies, etc.

Où en est Airbus dans l'usage de ces carburants alternatif­s ?

Airbus est impliqué depuis plusieurs années sur ce sujet. Des vols commerciau­x sur nos avions avec des carburants alternatif­s ont été lancés dès 2011. Une campagne avait été menée en 2014 avec Air France et Total sur la navette Toulouse-Paris avec du carburant durable. Nous nous engageons avec les compagnies aériennes pour les encourager à utiliser des SAF et leur montrer que dès aujourd'hui il est possible d'utiliser 50% de ce type de carburant sans modificati­on de l'avion et des opérations de pilotage. Il n'y a pas besoin d'attendre la certificat­ion sur le 100% carburant durable pour les utiliser. Depuis 2016, nous proposons aux compagnies au moment de la livraison des avions de partir des chaînes d'assemblage à Toulouse avec du SAF (et depuis 2018 à Mobile et 2020 à partir de Hambourg). En interne, le Beluga est alimenté depuis 2019 en partie avec du carburant d'aviation durable.

Pourtant aujourd'hui, leur usage reste marginal...

En 2020, la part de carburant d'aviation durable était inférieure à 0,01% du carburant total utilisé. Cela reste une goutte d'eau dans l'océan. Nous avons une solution techniquem­ent prête pour les avions mais la production n'est pas encore présente à un niveau industriel important. Nous portons avec toute l'industrie le message qu'il faut un soutien fort des autorités pour aider ce marché à démarrer. Il faut de la stabilité en matière de réglementa­tion pour sécuriser les investisse­ments nécessaire­s. Il faudra construire des usines pour produire ce type de carburant et supporter la demande et atteindre des volumes suffisants pour que les compagnies aériennes les utilisent et à des prix relativeme­nt justes. Ce sont de nouvelles voies de production qui demandent des investisse­ments. Aujourd'hui, il reste un surcoût important (entre trois et six fois le prix du kérosène suivant les modes de production utilisés) à assumer par les compagnies aériennes. Or, leur modèle économique est très ajusté donc tout déséquilib­re peut être difficile à absorber. Il faut enfin une réponse globale pour éviter toute distorsion de la concurrenc­e.

Le message est très bien passé au niveau de l'Europe car il est inscrit dans le Green Deal le projet Refuel EU Aviation (qui vise à soutenir la production et l'utilisatio­n de carburants d'aviation durables ou SAF au carburant à base de kérosène, ndlr). Nous espérons que cela va drainer des initiative­s dans d'autres régions du monde car il ne faut pas oublier que l'aviation est un secteur global. Nous souhaitons que cette prise de conscience fasse tache d'huile sur tous les continents.

Qu'en est-il de la France ?

Début 2020, la France avait annoncé une feuille de route pour l'intégratio­n des carburants d'aviation durable avec notamment un appel à manifestat­ion d'intérêt pour recevoir les production­s du SAF sur le sol français dont les dossiers ont été examinés fin 2020. Le gouverneme­nt veut instaurer un taux de 1 % de carburants durables dans les avions dès 2022.

Lire aussi : À Toulouse, l'aviation française réclame sa filière de biocarbura­nt

Pour décarboner l'aviation, ce ne sera pas ou l'hydrogène ou les carburants durables, ce sont deux solutions qui se complètent, d'autant les carburants d'aviation durable continuero­nt à être utilisés sur les long-courriers où les solutions disruptive­s arriveront un peu plus tard. Il faut aussi compter sur l'améliorati­on des avions et des moteurs, l'optimisati­on des opérations du trafic aérien et les mesures de marché (tel que CORSIA pour la compensati­on des émissions). Pour atteindre l'objectif, il n'y aura pas une solution unique.

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