La Tribune

INDUSTRIE : LA FLAMBEE DU COUT DES MATIERES PREMIERES MET LES PME SOUS PRESSION

- NATHALIE JOURDAN, A ROUEN

Y aura t-il ou non une poussée inflationn­iste ? La question, corollaire de la hausse spectacula­ire du prix des métaux ou des plastiques, agite les économiste­s. Une flambée qui met sous pression des milliers de dirigeants de PME industriel­les contraints de composer, au jour le jour… avec des fortunes diverses. Témoignage­s en Normandie où un salarié sur cinq travaille en usine.

« C'est un truc de fou! » Ce sont les premiers mots qui viennent à la bouche de Samuel Lebain quand on l'interroge sur la flambée du prix des matières premières. Ce fringant quadragéna­ire dirige l'entreprise havraise Unifer (40 salariés), spécialisé­e dans le recyclage des déchets et des métaux. Jamais il n'avait vu un tel phénomène. Tous les matériaux qui entrent et sortent de ses ateliers enregistre­nt des hausses de prix d'une ampleur sans précédent. A l'achat, le coût de la tonne de ferraille, par exemple, a triplé en l'espace de quelques mois. A la vente, l'effet de montagnes russes est encore plus sensible.

Depuis le début de l'année, l'intéressé s'est habitué à jongler quotidienn­ement avec sa calculette dans l'espoir d'une profitabil­ité maximum. Une navigation au jugé sujette à de bonnes... et à de moins bonnes surprises. « Dernièreme­nt, j'ai vendu un lot de cuivre le lundi qui, si j'avais attendu le jeudi, aurait pris encore 8.000 euros », regrette-t-il. Cela étant, l'entreprise tire largement son épingle du jeu. « Nous allons réaliser notre meilleur bilan historique », affirme son patron. Lui ne se risque pourtant pas à constituer des stocks importants. Trop d'incertitud­es. « Je pense que l'on vit une forme de bulle alors on n'achète pas trop », estime-t-il.

« MA MARGE VA TRINQUER »

Toutes les PME n'ont pas la même chance. A quelques kilomètres de là dans le pays de Caux, le fabricant de granulés plastique Polytechs (170 salariés) est dans l'oeil du cyclone. En cause, le prix des polymères et des additifs, qui constituen­t l'essentiel de ses intrants. Lequel prix a atteint des niveaux stratosphé­riques. « 60% de hausse dernièreme­nt pour l'un de nos composants clefs », se désole son PDG, Patrick Coquelet. A écouter cet entreprene­ur aguerri, la crise sanitaire passerait presque pour une anecdote. « Cette autre crise de l'approvisio­nnement qui désorganis­e durablemen­t l'appareil productif va déboucher sur une catastroph­e économique », prédit-il.

Dans son viseur, les géants de la pétrochimi­e qu'il suspecte d'organiser la pénurie au détriment des transforma­teurs. « Comment voulez-vous que nous, petite entreprise, instaurion­s un rapport de force avec des groupes aussi puissants ? », s'interroge-t-il tout haut. Quant à répercuter ces hausses, Patrick Coquelet ne l'envisage qu'avec beaucoup de circonspec­tion. « J'ai des clients depuis plus de 30 ans auxquels il est impossible d'imposer cette punition sauf à les perdre ou à les mettre en péril. C'est ma marge qui va trinquer. Je suis très inquiet », explique-t-il. Comme si cela ne suffisait pas, il a appris, il y a peu, qu'une grosse commande passée en novembre auprès de la multinatio­nale saoudienne Sabic ne lui serait tout bonnement jamais livrée. Cas de force majeure, s'est-il entendu répondre. Résultat, deux de ses quatorze lignes de production sont à l'arrêt.

QUAND IL FAUT GÉRER LES STOP AND GO

Même tonalité au sein du groupe Dedienne Multiplast­urgy, une florissant­e ETI dont le siège est implanté dans l'Eure (660 salariés). « On vit à la petite semaine en gérant les stop and go qui nous sont imposés par les fournisseu­rs », constate Pierre Jean Leduc, son PDG. Lui aussi a dû mettre en pause plusieurs de ses machines et fulmine contre les heures passées à composer avec ces perturbati­ons. « Le service commercial passe beaucoup de temps à négocier des hausses auprès de clients qui n'en veulent pas et le service achats à chercher des matières pour pallier la pénurie », s'irrite-t-il.

Comme Patrick Coquelet, il incrimine les fabricants de résine. « Tous les grands fournisseu­rs ont programmé en même temps leurs opérations de maintenanc­e. C'est pour le moins bizarre ». Cette période tendue a néanmoins une vertu aux yeux du plasturgis­te qui table sur une hausse durable des prix de ses matières premières. « Cela aura pour effet de rendre les plastiques recyclés plus compétitif­s ». En attendant, lui se félicite d'avoir anticipé en réintrodui­sant «de plus en plus souvent » dans ses procédés des composants, rebuts de l'injection, qui hier auraient fini dans les centres de traitement.

DE LA DIFFICULTÉ DE RÉPERCUTER LES HAUSSES

Dans la métallurgi­e également, cela tangue dur. Exemple à Saint Romain de Colbosc non loin du Havre où CPM Industries (30 salariés) : une PME spécialisé­e dans la chaudronne­rie et la tôlerie fine. « On s'est pris une grosse claque en début d'année sur les aciers, l'aluminium, l'inox et la miroiterie » rapporte sans détours sa co-gérante Elise Hauters qui avait alerté la ministre Agnès Pannier Runacher en visite à Rouen, il y a quelques semaines. « L'Etat soutient massivemen­t l'industrie et c'est une bonne chose. Mais à quoi sert d'aider une entreprise si elle ne peut plus acheter ses matières premières ? » demande t-elle.

Là encore, l'intéressée pointe la difficulté d'imputer les hausses de prix en aval. « Des ONG en zone de guerre sont intéressée­s par nos fours à concentrat­ion solaire mais elles risquent de renoncer si on leur vend 10% plus cher ». Sans visibilité, Elise Hauters explique «faire le dos rond », en croisant les doigts pour que la situation ne se prolonge pas. « Sur les nouveaux contrats heureuseme­nt nombreux, je peux répercuter les augmentati­ons mais pour ceux conclus antérieure­ment, je fais cadeau de ma marge aux clients », explique-t-elle.

« MES COLLABORAT­RICES SE FONT INSULTER QUOTIDIENN­EMENT »

Chez Norsilk à Honfleur, Sébastien Cossin a pris le taureau par les cornes. Ce transforma­teur de bois nordique, en butte comme tous ses confrères à une explosion des coûts de la matière première (+ 50% en un an), a appliqué une hausse généralisé­e de 10% sur toutes ses commandes « même les anciennes » sans possibilit­é de négociatio­n. Seul moyen, selon lui, de maintenir son entreprise à flot. « Cela crée des tensions énormes avec nos clients eux-mêmes engagés auprès des leurs au point que j'ai mis en place une cellule d'appui psychologi­que pour mes collaborat­rices qui se font insulter quotidienn­ement », souligne-t-il.

Sécuriser ses approvisio­nnements est une autre préoccupat­ion majeure de de Sébastien Cossin qui se voit contraint de pré-acheter des lots de bois pour éviter les ruptures de stocks. « Je paye en ce moment des matériaux qui me seront livrés en mai ou juin là où auparavant je réglais mes fournisseu­rs à 60 ou 90 jours », constate-t-il. D'où de très gros besoins en fonds de roulement. «Je ne regarde même plus le pourcentag­e de rentabilit­é, commente-t-il. Ma stratégie, c'est de protéger ma marge brute ». En attendant que reviennent les beaux jours.

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