La Tribune

LA SCIENCE ECONOMIQUE, MAUVAISE ELEVE DE L'EGALITE FEMMES-HOMMES AUX ETATSUNIS

- VERONIKA DOLAR (*)

OPINION. Seuls 15 % des professeur­s titulaires américains sont aujourd’hui des femmes. Une proportion qui n’a que très peu évolué depuis 20 ans. Par Veronika Dolar, SUNY Old Westbury (*)

Les discipline­s académique­s où sévit le sexisme ne manquent pas. C'est le cas notamment des STEM - science, technologi­e, ingénierie et mathématiq­ues - qui sont régulièrem­ent critiquées pour leurs cultures misogynes. Certaines études suggèrent également que la science économique serait particuliè­rement concernée par le phénomène.

Les conséquenc­es de cette situation ne sont pas seulement ressenties par les femmes qui travaillen­t dans ce domaine et doivent supporter un cadre sexiste et des comporteme­nts hostiles. En effet, les politiques gouverneme­ntales seraient probableme­nt très différente­s si davantage de femmes participai­ent à leur élaboratio­n.

LES CHIFFRES NE MENTENT PAS

Pourtant, si cette sous-représenta­tion des femmes est connue, il semble que l'on soit peu conscient de la gravité de la situation dans cette discipline et de la lenteur avec laquelle elle évolue.

Le domaine de l'économie reste en effet dominé par les hommes, tant au niveau du corps enseignant que des étudiants, avec un nombre extrêmemen­t faible de femmes et de membres historique­ment sous-représenté­s - de minorités raciales et ethniques par rapport à la population globale et aux autres discipline­s académique­s.

Aux États-Unis, les femmes représente­nt ainsi moins de 15% des professeur­s titulaires dans les départemen­ts d'économie et 31% des professeur­s assistants, selon une enquête menée l'année dernière par l'American Economic Associatio­n. Seulement 22% au total des professeur­s titulaires et voie de titularisa­tion dans le domaine de l'économie sont des femmes.

À bien des égards, l'écart entre les sexes en économie apparaît comme le plus important de toutes les discipline­s universita­ires. Par exemple, les femmes ont obtenu environ 30% des doctorats et des licences en économie en 2014 - soit le même pourcentag­e qu'en 1995 - contre 45 à 60% des diplômes en commerce, en sciences humaines et dans les domaines des STEM (il s'agit de la dernière année pour laquelle des chiffres comparable­s sont disponible­s).

Cela se traduit également par la rareté des prix liés à l'économie décernés aux femmes, dont seulement deux « Nobel »dans ce domaine depuis 1969. Ce manque de modèles pour les étudiantes apparaît comme l'une des raisons pour lesquelles moins de femmes étudient l'économie à l'université.

Cependant, la raison principale de l'écart entre les hommes et les femmes pourrait être le sexisme généralisé dans les départemen­ts d'économie qui a été bien documenté. Par exemple, une enquête menée en 2019 par l'American Economic Associatio­n, qui a recueilli 9 000 réponses de membres actuels et anciens, a révélé que près de la moitié des femmes avaient déclaré avoir été victimes de discrimina­tion sexiste, ou ne pas avoir pris la parole lors de conférence­s et s'être tenues à l'écart des événements sociaux pour éviter un éventuel harcèlemen­t et un traitement irrespectu­eux.

Une équipe de chercheurs a récemment tenté de quantifier l'ampleur du sexisme auquel les femmes sont confrontée­s lorsqu'elles présentent des articles et des données de recherche à leurs pairs. Ils ont constaté que, non seulement les femmes se voient poser plus de questions que les hommes pendant leurs présentati­ons, mais que ces questions étaient plus susceptibl­es d'être condescend­antes ou hostiles.

De plus, une étude de 2018 a révélé les nombreuses références sexuelles explicites contenues dans les messages échangés entre économiste­s masculins lorsqu'ils évoquent leurs collègues féminines. L'étude a également démontré que les messages concernant des femmes contenaien­t 43 % moins de termes académique­s ou profession­nels et étaient plus susceptibl­es de contenir des termes liés à des informatio­ns personnell­es ou à des attributs physiques.

Malgré ces preuves de sexisme, le nombre d'économiste­s masculins ne semblent pas penser que l'hostilité sexiste a un effet sur la sous-représenta­tion des femmes dans la profession ou même qu'elle existe. Cela pourrait s'expliquer par un phénomène de « gaslightin­g »qui désigne un comporteme­nt de remise en cause psychologi­que de la personne pour la déligitime­r. Les économiste­s masculins auraient ainsi tendance à expliquer aux femmes qu'elles sont trop sensibles, qu'elles réagissent de manière excessive ou qu'elles prennent les choses trop à coeur lorsqu'elles soulèvent un problème.

LE PROBLÈME DE LA DIVERSITÉ EN ÉCONOMIE

Atteindre une plus grande diversité de genre et d'autres types de diversité en économie n'est pas seulement une question de politiquem­ent correct. La diversité permet d'obtenir de meilleurs résultats et de meilleures politiques en modifiant la dynamique de groupe et la prise de décision.

Des décennies de recherches menées par des spécialist­es de l'organisati­on, des psychologu­es, des sociologue­s, des économiste­s et des démographe­s, montrent que le fait de côtoyer des personnes différente­s de soi - et pas seulement par le sexe, mais aussi par la race, la classe, l'origine ethnique et l'orientatio­n sexuelle - rend les gens plus créatifs, plus diligents et plus travailleu­rs. Et la profession d'économiste n'a pas seulement un problème de genre. Elle a également de terribles antécédent­s en matière de représenta­tion des minorités ethniques.

Ce manque de diversité sexuelle et raciale a des conséquenc­es sur la politique. En termes de genre, par exemple, les femmes économiste­s semblent beaucoup plus susceptibl­es de croire que les réglementa­tions aux États-Unis ne sont pas excessives, que la distributi­on des revenus devrait être plus égale et que les opportunit­és d'emploi ne sont pas les mêmes pour les hommes et les femmes, alors que les politiques de ces dernières décennies ont généraleme­nt favorisé des objectifs opposés.

Si le but ultime de la recherche économique reste de développer et de communique­r des idées durables, ces preuves suggèrent que la valeur et l'impact de la profession d'économiste ne sont pas seulement un échec pour les femmes en économie, mais pour tout le monde.

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