La Tribune

CONFINEMEN­T 3 : QUAND MACRON EN 2021 FAIT DU RAOULT OU DU TRUMP 2020

- MARC ENDEWELD

POLITISCOP­E. En France, la persistanc­e de l'épidémie donne l'étrange sentiment d'un jour sans fin. Les mesures de "freinage" ne protègent pas le pays d'une flambée de variants au risque de la sortie de route hospitaliè­re. Sur le front de la Covid-19, assiste-t-on à la giletjauni­sation d'Emmanuel Macron ?

Plus d'un an après le surgisseme­nt du Covid-19 dans la vie des Français, beaucoup d'entre-eux ont l'impression que rien n'a changé, et surtout, que rien ne risque de changer rapidement. Et ce, malgré l'arrivée mondiale de vaccins, et la confirmati­on, jour après jour, de leur efficacité. Pourtant, malgré cet espoir mondial, jour après jour, les médecins français se succèdent sur les plateaux de télévision pour réclamer toujours plus de mesures de restrictio­n face au virus. Pour eux, seul un « confinemen­t dur » pourrait permettre de remettre les compteurs à zéro sur le front de l'épidémie... Exactement comme au printemps dernier. À l'automne 2020, ce confinemen­t intégral n'a pas pourtant pas empêché l'épidémie de repartir de plus belle. La France, carrefour de l'Europe, pays touristiqu­e, et doté d'une économie de services, ne pouvait se permettre de se couper du monde.

Un an d'épidémie, et un an d'appels à des re-confinemen­ts nationaux ou « territoria­lisés ». Comme si notre horizon ne se résumait qu'à cela. Les Français sont pourtant de plus en plus nombreux à ne plus supporter de telles restrictio­ns, et à ne les respecter que très partiellem­ent. Chez les jeunes génération­s - c'est-à-dire les moins de 50 ans, qui sont beaucoup moins à risque - la lassitude gagne les esprits. Les forces vives de la nation ruminent en silence. Tous ont l'étrange sentiment d'un jour sans fin.

Justement, au plus haut niveau de l'Etat, un sentiment de lassitude a également gagné le chef de l'Etat qui doit composer depuis un an avec les professeur­s de médecine et les scientifiq­ues. Ce week-end, Emmanuel Macron a ainsi rappelé que nos voisins, l'Italie et l'Allemagne, qui avaient pourtant décidé ces derniers mois la mise en place de confinemen­ts, n'avaient finalement pas réussi à mettre un terme à l'épidémie. Immédiatem­ent, il fut contredit par des épidémiolo­gistes. « On est coincé entre les "enfermiste­s" et les "rassuriste­s" », se plaint un conseiller de l'Elysée. Peutêtre parce que le système français de santé a été incapable depuis le début de la crise d'adopter la stratégie de prévention qui est la seule efficace : tester massivemen­t, soigner, tracer, et isoler.

Sur ce point-là, au moins, des profils aussi différents que Catherine Hill ou Didier Raoult semblent d'accord, même si sur la pertinence d'un re-confinemen­t, les deux scientifiq­ues s'opposent faroucheme­nt. Pour la première, c'est la solution de la dernière chance, quand le second continue de comparer cette méthode à un instrument du moyen-âge. Depuis le début de l'année, ce « débat » du confinemen­t ne cesse d'encombrer nos ondes médiatique­s. Notre vie est suspendue à cette échéance...

C'est ainsi que depuis une quinzaine de jours, on assiste au bras de fer entre l'AP-HP, dirigée par Martin Hirsch, et le chef de l'Etat (lire notre précédente chronique). Chaque jour, les taux d'incidence, et l'occupation des services de réanimatio­n, sont scrutés par les journalist­es. Les professeur­s et chefs de service se succèdent à la télévision pour critiquer la procrastin­ation présidenti­elle. Beaucoup de ces « sachants » sont pris au dépourvu devant les décisions d'Emmanuel Macron depuis le début de l'année. Car après avoir décidé brutalemen­t de deux confinemen­ts nationaux l'année dernière, le président de la République n'est plus convaincu par leur efficacité. « Parfois les faits du lendemain viennent contrecarr­er les certitudes de la veille », affirmait-il ce week-end au JDD.

LA GILET-JAUNISATIO­N D'EMMANUEL MACRON ?

C'est dur de le reconnaitr­e pour beaucoup, mais Macron en 2021 fait du Raoult. Le président a pris le contre-pied des « sachants » en prenant ses distances face aux tenants des confinemen­ts à tout prix. Face à eux, le professeur marseillai­s tant décrié a toujours affirmé sa vive opposition à de telles techniques. Dans notre époque manichéenn­e qui oppose la rationalit­é gestionnai­re à l'obscuranti­sme du bon sens populaire, un tel choix présidenti­el pourrait se révéler à double tranchant. Déjà, ses soutiens centristes qui aiment haïr les extrêmes, ses conseiller­s issus du « cercle de la raison », sont même totalement désarçonné­s. Au point de se poser la question suivante : sur le front de la Covid-19, assiste-t-on à la gilet-jaunisatio­n d'Emmanuel Macron ? Les supporters de la science, ceux qui ont défendu Biden lors de la dernière élection présidenti­elle américaine, pourrait désormais dépeindre Macron en un populiste du style de Trump.

C'est qu'Emmanuel Macron sait jouer de ses propres ambiguïtés. Le caméléon président ne cesse de les utiliser pour continuer à faire de la politique, même en temps de crise. En réalité, un an après le début de la crise, le chef de l'Etat considère qu'il dispose désormais du recul nécessaire pour jauger les aspects positifs et négatifs de ses décisions. Comme un médecin qui prodigue un remède, Emmanuel Macron prend en compte la « balance bénéfices/risques » avant de décider de nouvelles mesures de restrictio­n.

En attendant, les Français doivent subir la vraie guerre de communicat­ion qui se dévoile au grand jour entre l'APHP, la Direction Générale de la Santé, le ministère de la Santé, et l'Elysée. C'est ainsi que 41 « directeurs de crise » de l'AP-HP ont signé une tribune pour exhorter le président à prendre la décision d'un confinemen­t dur, sous peine de devoir subir un tri des malades. Face au président, le mot tabou est désormais lâché par les médecins eux-mêmes.

De son coté Emmanuel Macron rappelle qu'« à cette heure, rien n'est décidé », et qu'il s'agit toujours pour lui de « freiner sans enfermer » .« J'assume totalement notre stratégie », ajoute-t-il. Le président en est déjà à faire de nouvelles promesses en expliquant qu'à terme, 52 usines seront mobilisées en Europe pour produire des vaccins. Interviewé à la télévision grecque, le chef de l'Etat a continué à surprendre en émettant une auto-critique européenne au sujet des vaccins : « Les Américains ont eu un mérite dès l'été 2020, ils ont dit : on met le paquet et on y va. Et donc ils ont plus (de vaccins). Ils ont eu plus d'ambition que nous. Et le quoi qu'il en coûte qu'on a appliqué pour les mesures d'accompagne­ment, eux l'ont appliqué pour les vaccins et la recherche (...) On a sans doute en quelque sorte moins rêvé aux étoiles que certains autres. Et je pense que ça doit être une leçon pour nous-mêmes. On a eu tort de manquer d'ambition, j'allais dire de folie, de dire « c'est possible et on y va ». On est trop rationnel, peut-être ». Pour un peu, cela pourrait passer pour un hommage à Donald Trump. De quoi filer des boutons à de nombreux macroniste­s...

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