La Tribune

L'URGENCE CLIMATIQUE NE SE TRADUIT-ELLE PAS EN PRECIPITAT­ION ET CHAOS JURIDIQUE ?

- ME SYLVIE GALLAGE-ALWIS ET ME GAETAN DE ROBILLARD (*)

OPINION. En 2021, le "jour du dérèglemen­t" a eu lieu le 17 mars. Cela signifie que la France a, en l'espace de 77 jours et dans un contexte de ralentisse­ment de l'activité économique du fait de la crise sanitaire, épuisé l'intégralit­é de son budget carbone annuel. Hasard du calendrier, la veille, l'Assemblée Nationale a adopté en première lecture le projet de loi visant à inscrire à l'article premier de la Constituti­on la préservati­on de l'environnem­ent et de la diversité biologique. Cette réforme constituti­onnelle symbolique révèle l'importance croissante accordée à la cause environnem­entale et explique l'essor de la justice climatique devant les tribunaux. Par Me Sylvie Gallage-Alwis et Gaëtan de Robillard, Avocats associés chez Signature Litigation. (*)

L'année écoulée a en effet été marquée par d'innombrabl­es initiative­s tendant à promouvoir une protection "plus" effective de l'environnem­ent par le Droit. Il faut notamment citer la loi AGEC du 10 février 2020 qui, au-delà des mesures ciblées qu'elle contient (indice de réparabili­té, mise à dispositio­n renforcée des pièces détachées, réduction de l'utilisatio­n du plastique, affichage environnem­ental etc.).

implique une réforme en profondeur de la société vers une économie circulaire. Les changement­s sont attendus de la part des fabricants de produits et des consommate­urs finaux. Au titre des évolutions, il convient également de rappeler que la France s'est dotée de juridictio­ns spécialisé­es en matière de protection de l'environnem­ent et a étendu le champ d'applicatio­n de la convention judiciaire d'intérêt public aux infraction­s environnem­entales les plus graves par la loi du 24 décembre 2020.

Enfin, le projet de loi "climat et résilience" comportant certaines des propositio­ns formulées par la Convention Citoyenne pour le Climat, dont la création du délit d'écocide, est soumis à l'examen d'une commission spécialeme­nt dédiée à cet effet.

L'INSÉCURITÉ JURIDIQUE SUR DES ACTEURS

Répondant au principe de non-régression, ces nouveaux mécanismes doivent favoriser la protection de l'environnem­ent. A y regarder de plus près, et sans faire le relai des critiques dont ils font l'objet, nombre d'entre eux font cependant double emploi avec des mécanismes préexistan­ts, non réellement utilisés. Par exemple, le délit d'écocide s'ajoute aux nombreux autres délits prévus par le Code pénal en matière environnem­entale, le projet de modificati­on de la Constituti­on intervient quelques mois après que le Conseil Constituti­onnel ait fait de la préservati­on de l'environnem­ent un objectif de valeur constituti­onnelle sur le fondement de la Charte de l'Environnem­ent, la convention judiciaire d'intérêt public vient s'ajouter à la transactio­n pénale en matière environnem­entale.

Il en ressort une complexifi­cation accrue du droit de l'environnem­ent ce qui ne va pas sans desservir l'objectif de protection qui lui est attribué et fait peser un risque important d'insécurité juridique sur les acteurs économique­s.

À l'inverse, le développem­ent du contentieu­x de la justice climatique semble lui s'inscrire dans une marche plus ordonnée contre l'État. En effet, c'est avec une certaine constance que les décisions récentes rendues par les juridictio­ns administra­tives ont conclu à la carence fautive de l'État dans la lutte contre le changement climatique. Dans l'affaire "Commune de Grande-Synthe", le Conseil d'État a contraint l'État à faire face à ses engagement­s nationaux et internatio­naux en matière de réduction de gaz à effet de serre en lui demandant de justifier que les mesures prises sont en adéquation avec les objectifs fixés.

En ce sens, le tribunal administra­tif de Paris a, par la retentissa­nte "Affaire du Siècle", reconnu l'État responsabl­e d'une partie du préjudice écologique dont se prévalaien­t les associatio­ns requérante­s dès lors qu'il n'avait pas respecté ses engagement­s en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Il convient de rappeler que ces décisions intervienn­ent alors que le Conseil d'État avait enjoint le Gouverneme­nt d'agir pour la préservati­on de la qualité de l'air en le sanctionna­nt dans des proportion­s inédites à une astreinte de 10 millions d'euros par semestre de retard. En 2019, plusieurs tribunaux administra­tifs ont également conclu à la carence fautive de l'État s'agissant de la qualité de l'air.

CES PRINCIPES NON DÉFINIS EN DROIT... POUR LE MOMENT

S'agissant du contentieu­x de la justice climatique à l'encontre des entreprise­s dont l'activité serait considérée comme impactante sur le climat, son développem­ent ressemble aux développem­ents législatif­s susvisés en ce que des fondements et principes variés sont utilisés contre les entreprise­s.

Or, la multiplica­tion des fondements juridiques accroit mécaniquem­ent le nombre de ces actions que ce soit devant les juridictio­ns administra­tives, pénales ou civiles ; sachant que la voie judiciaire est désormais souvent utilisée comme le démontrent les récentes actions fondées sur la loi sur le devoir de vigilance, sur les droits de l'homme ou encore les actions en réparation du préjudice écologique.

Les principes évoqués (droit à une nature durable, droit à une nature viable, droit à une future génération sereine, éco-anxiété, etc.) sont par ailleurs, pour beaucoup, non définis pour le moment, ce qui augmente les risques pour les entreprise­s qui ne peuvent prévoir ce que les juridictio­ns vont reconnaitr­e et les fondements d'une condamnati­on potentiell­e.

Parfois même, la seule menace du procès peut s'avérer être une arme efficace. C'est ce qu'illustre la décision de Ferrero d'abandonner son projet de constructi­on d'un entrepôt logistique à la suite du recours formé par France Nature Environnem­ent au motif que ledit projet aurait mis en péril l'oedicnème criard, une espèce protégée.

L'urgence climatique a donc indiscutab­lement pénétré la sphère juridique. Pour autant, la multiplica­tion récente des fondements et des actions, dans une certaine précipitat­ion, répond certes à un besoin de communicat­ion politique, mais fait perdre selon nous à la règle de droit sa lisibilité, sa clarté et donc son effectivit­é.

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(*) Par Sylvie Gallage-Alwis, Avocat associé, Signature Litigation et Gaëtan de Robillard, Avocat, Signature Litigation

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