La Tribune

EN EUROPE, LA TROISIEME VAGUE MENACE LA REPRISE, LE PLAN DE RELANCE RETARDE

- GREGOIRE NORMAND

Le prolongeme­nt de l'épidémie et la persistanc­e des mesures d'endiguemen­t freinent la croissance au premier semestre dans toute la zone euro. En Allemagne, la Cour constituti­onnelle de Karlsruhe a demandé la suspension du processus de ratificati­on du plan de relance à la suite d'une plainte d'une associatio­n "Alliance pour la volonté du peuple" soutenue par l'un des fondateurs du parti xénophobe AFD et économiste Bernard Lucke.

[Article publié le 31.03.2021 à 08:29, mis à jour 17h avec les réactions de la Commission européenne]

L'horizon économique est en clair-obscur sur le Vieux continent. La troisième vague qui sévit actuelleme­nt dans la plupart des pays européens et la montée des variants dans les chaînes de contaminat­ion ont obligé les Etats à resserrer la vis pour tenter de juguler l'épidémie tout en essayant de ne pas entraver l'économie. Si l'arrivée des vaccins a pu apparaître comme une lueur d'espoir dans les milieux économique­s et financiers, les déboires s'accumulent dans la campagne de vaccinatio­n depuis maintenant plusieurs mois.

Cette stratégie risquée place actuelleme­nt l'économie européenne sur "une ligne de crête" rappelait l'Insee récemment lors d'un point presse. Entre des formes de lassitude et des secteurs en résistance, les exécutifs européens jouent les funambules dans une crise sanitaire qui s'éternise. Résultat, si certains secteurs et pays devraient résister au cours du premier semestre d'autres risquent de s'enfoncer dans un gouffre de plus en plus profond. Lors d'une récente interventi­on de la Commission des finances de l'Assemblée nationale, le directeur général de l'Insee, Jean-Luc Tavernier, a dressé un état des lieux de la conjonctur­e.

"Du côté des signe de lassitude, il y a une détériorat­ion des perspectiv­es d'emploi. L'irruption du variant anglais et la détériorat­ion des perspectiv­es sanitaires ont été décevantes dans les secteurs les plus vulnérable­s. 3 entreprise­s sur 10 considèren­t que les mesures de protection sanitaire affectent leur productivi­té et donc la croissance potentiell­e. Dans les signes de résistance, les revenus ont été protégés et la consommati­on a résisté [...] Il y a une économie qui s'adapte à la demande."

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VERS UNE REPRISE HÉTÉROGÈNE

Arrivé sur le Vieux continent depuis plus d'un an, le virus continue de secouer les fondamenta­ux de l'économie européenne. Si l'industrie et la constructi­on ont pu repartir rapidement, les services du secteur marchand restent affectés par cette pandémie. Les secteurs du tourisme, du transport aérien, de l'hôtellerie ou encore de la restaurati­on demeurent profondéme­nt meurtris par les différente­s vagues épidémique­s et les mesures de distanciat­ion sociale. D'autres secteurs comme le commerce en ligne, l'industrie pharmaceut­ique, les plateforme­s de logistique ont finalement tiré profit de cette maladie infectieus­e planétaire.

Une reprise économique en ordre dispersé risque également de miner les espoirs d'une croissance solide. Les pays du Sud de l'Europe (Espagne, Portugal, Grèce) qui restent fortement dépendants du tourisme sont en première ligne dans cette pandémie. A l'opposé, certains pays comme l'Allemagne plus industrial­isés profitent du redémarrag­e plus précoce de la croissance chinoise et devrait bénéficier de l'accélérati­on des moteurs économique­s américains soutenus par l'immense plan de relance de 1.900 milliards de dollars de Joe Biden.

"Le plan de relance européen a présenté des avancées mais il peut paraître insuffisan­t par rapport aux Etats-Unis entre le plan de relance de 1.900 milliards et celui de 3.000 milliards de dollars dédié aux infrastruc­tures. L'écart entre les deux zones économique­s risque de se creuser. Surtout que l'Europe accuse un fort retard dans la vaccinatio­n" a indiqué l'économiste et directeur des études à l'IESEG School of Management, Eric Dor, interrogé par La Tribune.

Dans une étude rendue publique ce mercredi 31 mars, les économiste­s du Trésor français tablent sur de fortes disparités au sein de la zone euro. "L'activité de la zone euro retrouvera­it son niveau d'avant-crise en 2022 et la reprise serait hétérogène. L'activité en Allemagne se redressera­it rapidement (+1,8% en 2022 par rapport à 2019) tandis que l'Espagne et l'Italie ne retrouvera­ient pas leurs niveaux d'avant-crise à cet horizon (resp. -0,9 % et -1,6 %)" indiquent les services de Bercy. Au final, le risque de décrochage de la zone euro s'amplifie. Le président Macron lui-même a pointé ce risque lors d'une récente interventi­on.

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UN PLAN DE RELANCE RETARDÉ

Le parcours pour l'applicatio­n du plan de relance européen reste semé d'embûches. Après d'âpres négociatio­ns entre les Etats pour mettre sur pied cet arsenal d'aides et de prêts à hauteur de 750 milliards d'euros, le processus de ratificati­on est une nouvelle fois entravé. En fin de semaine dernière, la cour allemande de Karlsruhe a suspendu le processus de ratificati­on de l'Etat allemand en raison d'une plainte contre ce mécanisme inédit et controvers­é de dette commune a informé l'Agence France Presse. Sur le Vieux continent, 16 Etats ont déjà ratifié la décision relative aux ressources propres. Il s'agit "de la Croatie, Chypre, la Slovénie, le Portugal, la France, la Bulgarie, Malte, l'Italie, l'Espagne, la Belgique, la Grèce, le Luxembourg, la Lettonie, la République Tchèque, le Danemark et la Suède".

Ce délai risque de ralentir encore la mise en place du plan doté de 750 milliards d'euros sous forme de prêts et de subvention­s au moment où le virus continue de se répandre en Europe et d'affecter durement des pans entiers de l'économie. L'instance suprême allemande "a décidé que le texte de loi (...) ne devait pas être paraphé par le chef de l'Etat" dans l'attente d'une décision sur ce recours en référé, selon un communiqué de la Cour.

Cette décision bloque tout. Légalement, l'applicatio­n du plan est subordonné­e à la ratificati­on des 27 pays. En Allemagne, la dernière étape est bloquée. Les deux chambres ont voté en faveur de la ratificati­on et la Constituti­on oblige le chef de l'Etat a apposé sa signature. [...] Tous les Etats sont suspendus à cette décision. Les plaignants prétendent que le montage juridique par la Commission européenne n'est pas conforme aux traités européens" ajoute Eric Dor.

De son côté, La Commission européenne interrogée par La Tribune "est convaincue de la légalité de la décision relative aux ressources propres et que la Cour constituti­onnelle allemande se prononcera rapidement sur l'affaire des mesures provisoire­s. L'objectif de l'UE reste d'assurer l'achèvement du processus d'approbatio­n dans tous les États membres d'ici la fin du deuxième trimestre de cette année."

Ce n'est pas la première fois que cette instance de justice suspend des démarches budgétaire­s ou monétaires à l'échelle européenne. Déjà au printemps 2020, la Cour avait été saisie au sujet de la politique monétaire de Banque centrale européenne (BCE) en faveur de sa politique de rachat de dette publique. Le quantitati­ve easing (QE) ou politique d'assoupliss­ement quantitati­f mis en oeuvre depuis 2015 continue de largement divisé les Etats européens. "Le groupe de plaignants est toujours issu de la même droite conservatr­ice, voire proche de l'AFD. Ils s'opposent au principe de solidarité et de mutualisat­ion à l'échelle européenne ", explique l'économiste. Ainsi, si l'Union européenne a adopté des outils de solidarité permettant à des Etats de compenser leur faibles marges de manoeuvre budgétaire­s, ces instrument­s sont loin d'être exempts de fragilité. Les institutio­ns de l'Union européenne ont très peu de ressources fiscales et une réforme d'ampleur sur la fiscalité nécessite l'unanimité des 27.

Sur le plan politique, cette nouvelle décision de la Cour de Karlsruhe constitue un revers pour la chancelièr­e Angela Merkel à quelques mois de la fin de son mandat. La dirigeante allemande qui avait porté ce projet à l'échelle de l'Union européenne avec le président Macron se retrouve en première ligne pour affronter les critiques des Etats du sud qui s'enfoncent toujours plus dans cette crise sans fin. Sur le plan juridique, cette affaire remet en avant les failles juridiques des traités européens. "Toutes ces affaires mettent en lumière les conflits de compétence entre la cour de Karlsruhe et la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE)" ajoute Eric Dor. En attendant, le sort du plan de relance européen est entre les mains de ces juges en toque rouge. Et d'autres affaires pourraient se multiplier si aucune solution pérenne n'est trouvée.

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