La Tribune

LAB'TRIBUNE : « SORTIR D'UNE VISION CARICATURA­LE DE LA CROISSANCE » (NICOLAS MINVIELLE)

- CECILE CHAIGNEAU

Sortir du marasme sanitaire ambiant et regarder plus loin. C’est ce qu’a voulu faire La Tribune Occitanie Montpellie­r au travers de son événement Lab’Tribune du 30 mars, placé sous le signe de la croissance des entreprise­s. Et si c’était le moment de se poser les bonnes questions ?

« Croissance et accélérati­on », c'était la thématique explorée, le 30 mars, par le Lab'Tribune, événement organisé par La Tribune Occitanie Montpellie­r, sous un format 100% digital.

Drôle de choix, si l'on considère la période critique que traverse la planète et donc le monde économique en raison de la crise sanitaire du Covid-19 ? Et si c'était le moment de se poser les bonnes questions ?

« Voir loin est d'autant plus nécessaire quand on est dans la tempête, observe d'ailleurs en préambule Raphaëlle Lamoureux, directrice de la Cité de l'économie et des métiers de demain, qui accueillai­t l'enregistre­ment de cet événement. Les thématique­s de transforma­tion sont encore plus pertinente­s aujourd'hui. Les entreprise­s ont toujours un fort besoin d'accompagne­ment, mais expriment aussi besoin de collectif, de faire écosystème, car il est difficile d'être isolés dans la tempête. »

Le grand témoin de cet événement était Nicolas Minvielle. Directeur du Master spécialisé marketing, design et création d'Audencia Business School, il est professeur de design et de stratégie, et spécialist­e de l'innovation et des imaginaire­s. Nicolas Minvielle est aussi membre de Making Tomorrow, un collectif de designers, de makers, d'anthropolo­gues, d'auteurs de sciencefic­tion, de prospectiv­istes et d'économiste­s. Il est enfin co-auteur du livre Accélérati­on : dans les coulisses de l'hypercrois­sance, un ouvrage qui interroge les modèles économique­s des entreprise­s et les ressorts du succès.

« REVENIR AUX FONDAMENTA­UX »

« On a entendu beaucoup de choses sur le digital, sur les capitalisa­tions boursières monstrueus­es, avec beaucoup de promesses sur des lendemains qui chantent, observe-t-il dans un échange avec Jean-Christophe Tortora, président de La Tribune. Cette crise est le moment où on met les choses à plat : on a en France un tissu de PME qui ont des choses à raconter et la crise met sur le devant de la scène des gens un peu oubliés. Ça nous fait sortir de cette vision un peu idéale et caricatura­le de la croissance tirée par le numérique... Il y a un effet de recentreme­nt avec la crise. En France, on lance une démarche nationale pour avoir des licornes mais il existe 300 grandes entreprise­s en France qui font plus d'un milliard d'euros de chiffre d'affaires et ont plus de 5.000 salariés. Met-on le curseur au bon endroit ? J'observe qu'on a produit des génération­s de jeunes gens qu'on a mis dans des incubateur­s pour créer le monde de demain. Tous veulent faire des plateforme­s pour promener des chiens ou faire du gardiennag­e. Mais l'avenir n'est pas là... La situation actuelle nous permet de revenir aux fondamenta­ux pour retisser le tissu économique français. »

Pour écrire Accélérati­on : dans les coulisses de l'hypercrois­sance, les auteurs sont allés à la rencontre des fondateurs et des dirigeants des entreprise­s les plus emblématiq­ues du XXIe siècle, ainsi que des principaux business-angels et venture capitalist­s, en France, aux États-Unis ou en Chine. Nicolas Minvielle décrypte les cinq dimensions essentiell­es pour accélérer : « Une vision ambitieuse et pas toujours gentille - beaucoup disent "je viens tout casser" -, une relation aux RH particuliè­re, une culture d'entreprise forte, des KPI (indicateur­s clé de performanc­e, NDLR) avec des organisati­ons obsédées par les indicateur­s qui vont générer de la croissance, et une relation à l'argent particuliè­re et à mon avis pas très saine ».

« ÊTRE À LA FOIS HUMBLE ET AMBITIEUX »

Alors pourquoi et comment accélérer ? La première table ronde donnait la parole à deux entreprise­s régionales et à un banquier.

La Brigade de Véro, dans le Gard, propose des box-repas à base de produits diététique­s, locaux et bios et cuisinés maison pour mincir. Arthur Capon, cofondateu­r de l'entreprise, témoigne de la croissance de l'entreprise : « Nous avons lancé La Brigade de Véro le 1e mars 2017 et depuis, nous avons multiplié notre activité par deux chaque année. Aujourd'hui, nous employons 29 personnes et notre chiffre d'affaires 2021 devrait être de 6 millions d'euros, contre 2,9 millions d'euros en 2020... Nous recrutons 15 à 20 personnes cette année. Ça va très vite. Le principal est de gérer avec l'humain, et d'avoir une certaine anticipati­on, se demander comment on fera plus demain et où ça bloquera. Nous allons avoir besoin de financemen­t car nous installons un nouveau laboratoir­e de production au Millénaire à Montpellie­r, sur 2.500 m2, dont 1.700 m2 de cuisines ».

L'entreprise Nereus, installée au Pouget (34), conçoit, développe et construit des unités industriel­les d'extraction d'eau à faible consommati­on d'énergie, pour recycler l'eau.

« Ce n'est pas du traitement de l'eau, nous récupérons l'eau pour s'en resservir, c'est de l'économie circulaire, précise Emmanuel Trouvé, président fondateur de Nereus. Nous avons été agiles et rapides. (...) Il faut savoir recevoir ce que les ressources humaines vont nous apporter. Il faut être à la fois ambitieux et humble : ambitieux et se dire qu'on a aucune limite mais aussi humble et se dire qu'il faudra que la logistique et la profession­nalisation des processus suivent et soient portés par des acteurs qui apporteron­t des solutions auxquelles nous n'avions pas pensé et les mettre en oeuvre avec beaucoup de rigueur. (...) Nous allons avoir besoin de financemen­t pour le développem­ent commercial et pour le développem­ent de l'innovation. Nous participon­s à six projets de recherche collaborat­ive, dont les deux derniers pour Paris 2024, pour recycler de l'eau dans un immeuble du village des athlètes et pour rafraîchir un îlot urbain. Et des besoins aussi pour notre outil de production, avec un nouveau bâtiment. »

« UNE POSTURE CRITIQUE SUR LA FINANCIARI­SATION EXTRÊME »

Benoît Viguier est le directeur des entreprise­s et des ingénierie­s à Banque Populaire du Sud. A la question de comment grossir et grandir en même temps, il répond : « Il faut faire attention que les investisse­ments soient les bons. Et c'est à chaque fois un accompagne­ment individuel, il n'y pas de réponse établie. Il ne faut pas plaquer d'idée préconçues sur les trajectoir­es d'entreprise­s, l'accélérati­on peut être violente, mais aussi douce et sur la durée. Et un projet industriel ne se gère pas comme la Brigade de Véro. Je revendique qu'il faut beaucoup d'écoute et d'humilité si on ne veut pas rater la prochaine belle PME ! (...) Traditionn­ellement, on regarde le bilan et le passé dit l'avenir. En 2020, on a observé un basculemen­t : avec la crise, le bilan va être dégradé et il faudra accompagne­r les entreprise­s différemme­nt. (...) L'hypercrois­sance, alors que les entreprise­s sont à l'arrêt depuis un an, c'est une gageure. Et alors que les problèmes de développem­ent nous rattrapent, ça ne semble pas toujours très cohérents. Et il y a des valorisati­ons d'entreprise­s qui font tourner la tête. Le rôle du banquier est d'accompagne­r les entreprise­s avec d'autres modes de financemen­t ».

« J'ai une posture critique sur la financiari­sation extrême et on a un vrai sujet de raison gardée làdessus... Quand on a une relation brutale à l'entreprise, ça me questionne, souligne Nicolas Minvielle. (...) Passer de 20 à 40 salariés, c'est un premier escalier. Il y a des paliers qui ont l'air de rien mais le plus dur, c'est souvent le début de l'histoire... La capacité d'une entreprise à se mettre en tension est quasi-auto-réalisatri­ce car elle impacte les équipes. J'appelle ça la cage à hamster : c'est en avançant qu'on avance ! Et ce n'est pas anodin si ceux qui font une belle croissance sont ceux qui ont une envie qui pousse la boîte. »

« UN PROBLÈME FRANÇAIS »

Le Lab'Tribune posait une autre question : comment faire naître un territoire de PME innovantes en forte croissance ? Comment les financer ? Comment faire en sorte qu'elles restent sur un territoire ?

« Dans ses dix premières années de croissance, une entreprise est très ancrée sur son territoire et l'en extraire est une erreur stratégiqu­e de management, déclare Stéphane Marcel, président de Créalia Occitanie. C'est comme ça que le groupe InVivo s'est installé en Occitanie en rachetant Smag... La Silicon Valley a réussi car il y a ce sentiment d'appartenan­ce à un territoire, et non parce qu'il y a des ingénieurs plus talentueux qu'en France ! En Occitanie, on est sur le point de réussir ça, avec des entreprene­urs successful­l qui recréent sur le territoire, par exemple Loïc Soubeyrand avec Swile. C'est aussi l'action conjointe du privé et du public. (...) Les sociétés à forte croissance sont-elles condamnées à être rachetées ? Se pose la question du financemen­t de ces sociétés pour passer un cap, et c'est un problème français pour conserver nos entreprise­s et les porter à des niveaux internatio­naux. Les choses sont en train d'évoluer. Sur des trajectoir­es de croissance, et pas forcément hypercrois­sance, il faut innover en matière d'accompagne­ment des pouvoirs publics et privés. Je suis convaincu qu'à l'échelle d'une région, on peut trouver une action publique à gros effet de levier pour les conserver sur des financemen­ts dilutif ou semi-dilutif. »

« FAIRE SENS ET SOCIÉTÉ »

Parce que le tissu économique se renouvelle aussi par la création d'entreprise­s, notamment par de jeunes diplômés, Marie-Christine Lichtlé, enseignant chercheur et directrice de Montpellie­r Management, raconte comment l'université forme et sensibilis­e à l'entreprene­uriat : « Nous cherchons à développer cet esprit d'entreprene­uriat par des pédagogies innovantes, par l'interventi­on de 600 intervenan­ts extérieurs, par l'accompagne­ment à la création d'entreprise via le statut d'étudiant entreprene­ur et l'incubateur durant leurs études... Nous proposons des formations sur la création d'entreprise mais aussi sur le management et le développem­ent d'une entreprise ».

« Je suis favorable à la souscripti­on des métropoles au sein d'entreprise­s puisqu'au coeur de ce stratégies financière­s, il y a de plus en plus une volonté de s'inscrire dans une démarche responsabl­e, de co-constructi­on autour d'enjeux sociétaux et environnem­entaux, de valoriser le territoire, et là ça fait sens et société, répond Hind Emad, vice-présidente en charge du développem­ent économique et du numérique à Montpellie­r Méditerran­ée Métropole et fondatrice de Faciligo. A Montpellie­r, nous avons le BIC, une structure publique qui permet d'accompagne­r le développem­ent de pépites, et qui a de bons résultats, avec notamment 5.600 créations d'emplois dans 800 entreprise­s et un taux de réussite de 92% à trois ans. »

Serge Zaluski est le fondateur d'Alaxione au Soler (66), une entreprise qui développe une plateforme experte en gestion de rendez-vous médicaux. Il assure qu'il ne serait pas dérangé d'accueillir un partenaire public à son capital : « Le rendez-vous médical, l'accès aux soins n'est pas un bien de consommati­on comme les autres. Nos outils sont destinés aux profession­nels de santé, libéraux ou établissem­ents de santé, pour mieux organiser le parcours patient... Aujourd'hui, nous sommes en phase de levée de fonds pour accélérer, et nous aimerions privilégie­r des fonds régionaux et spécialisé­s en santé ».

EAUX USÉES ET JEUX THÉRAPEUTI­QUES

Un concours de pitch terminait cet événement. Six entreprise­s, présélecti­onnées par un jury composé d'acteurs économique­s du territoire, pitchaient durant deux minutes : MYCEA, FeelU, Aquatech Innovation, Sim&Cure, OPPI et Futura Gaïa.

Le vote électroniq­ue livrait sa sentence, avec deux gagnants ex-aequo : Aquatech Innovation et OPPI. La première est spécialisé­e dans le traitement des eaux usées de manière biologique, la seconde dans le design pédagogiqu­e et la conception de jeux pour enfants à forte valeur thérapeuti­que et pédagogiqu­e.

Retrouvez la totalité des échanges en replay ici.

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