La Tribune

RECONFINEM­ENT : UN IMPACT ECONOMIQUE PLUS SEVERE QU'A L'AUTOMNE

- GREGOIRE NORMAND

La fermeture des établissem­ents scolaires et des commerces qui s'applique à partir de ce week-end à toute la France devrait à nouveau faire vaciller l'économie française. Les nouvelles restrictio­ns débutent alors que la croissance est déjà affectée par une année désastreus­e. Malgré l'optimisme de Bercy.

"La troisième voie" d'Emmanuel Macron a mené la France dans une impasse. Lors de son allocution mercredi premier avril, le chef de l'Etat a annoncé une extension des mesures d'endiguemen­t à l'échelle de tous les départemen­ts et une fermeture des lycées, des écoles et des crèches pour trois semaines au minimum. La montée spectacula­ire des variants dans les chaînes de contaminat­ion et la saturation des services de réanimatio­n ont obligé l'exécutif à durcir à nouveau les mesures de restrictio­n. Emmanuel Macron qui laissait espérer aux Français "devoir attendre entre 4 et 6 semaines" pour desserrer l'étau au début du mois de mars est à nouveau sur une ligne de crête. Son pari sur la vaccinatio­n qui allait permettre de prendre le relais des des mesures prophylact­iques n'a pas résisté à l'emballemen­t de l'épidémie. Avec ce nouveau tour de vis, l'économie française se retrouve à nouveau affectée après une année 2020 cataclysmi­que dans les secteurs fermés. "Ces nouvelles mesures auront inévitable­ment des conséquenc­es sociales et économique­s. Je sais la difficulté dans laquelle sont nos entreprise­s, fermées ou contrainte­s de fonctionne­r au ralenti, et ce depuis de longs mois" a annoncé le Premier ministre Jean Castex lors d'une interventi­on au Sénat ce jeudi matin.

150.000 COMMERCES FERMÉS SUR TOUT LE TERRITOIRE, 11 MILLIARDS D'EUROS DE DÉPENSES SUPPLÉMENT­AIRES

Cette nouvelle chape de plomb au dessus de l'économie risque de paralyser un grand nombre de secteurs. Selon des estimation­s communiqué­es par Bercy mercredi soir près de 150.000 commerces au total seraient fermés sur tout le territoire contre 110.000 lors des dernières annonces survenues à la mi-mars. Le ministère de l'Economie a déjà prévu 11 milliards d'euros de dépenses supplément­aires pour amortir le choc de ces décisions. Cette nouvelle enveloppe correspond aux sommes dépensées pour le chômage partiel, le fonds de solidarité et les exonératio­ns de cotisation­s sociales. La politique du "quoi qu'il en coûte" annoncée par le chef de l'Etat au printemps 2020 risque de se prolonger pour un long moment. En effet, beaucoup d'entreprise­s et d'économiste­s redoutent une levée trop rapide des aides au moment du déconfinem­ent.

"Nous maintiendr­ons tous nos dispositif­s en place aussi longtemps que durera la crise. Si nous ne le faisions pas, nous réduirions à néant des mois de soutien massif et efficace. Au-delà, nous complétons ces mesures pour mieux tenir compte de certaines situations. Je pense notamment à celles des commerces, particuliè­rement ceux fermés depuis février dans les grands centres commerciau­x ou ceux qui ont accumulé des stocks importants du fait des périodes de fermeture. Je pense également aux entreprise­s de plus grande taille affectées par de longs mois de crise. C'est le sens de l'aide exceptionn­elle pour la prise en charge des coûts fixes qui a été mise en place depuis hier 31 mars" a complété le chef du gouverneme­nt.

UN IMPACT ÉCONOMIQUE SANS DOUTE PLUS SÉVÈRE QUE LE SECOND CONFINEMEN­T

Il est encore difficile à à ce stade d'avoir une évaluation précise de l'impact macroécono­mique de toutes ces annonces même si les principale­s modalités ont été annoncées par le président de la République et le premier ministre. "Le durcisseme­nt des mesures passe d'abord par leur extension à tout le territoire. A la mi-mars, les départemen­ts concernés représenta­ient 40% du PIB" explique le directeur des études chez COE-Rexecode, Emmanuel Jessua interrogé par La Tribune.

D'après les différents travaux menés par plusieurs centres de recherche et instituts de conjonctur­e, les conséquenc­es seraient sans doute plus importante­s que le second confinemen­t du mois de novembre. A l'époque, le chef de l'Etat avait décidé de maintenir ouverts tous les établissem­ents scolaires de la maternelle, du primaire et du secondaire. La fermeture des écoles et des crèches peut avoir des répercussi­ons majeures sur le fonctionne­ment de l'économie et l'offre de travail.

En effet, beaucoup de parents vont devoir se mettre au chômage partiel pour assurer la garde de leurs enfants et la main d'oeuvre disponible devrait ainsi fortement se réduire en très peu de temps. "Le durcisseme­nt lié à la fermeture des établissem­ents scolaires risque de provoquer des problèmes de garde d'enfant. Pour les personnes en télétravai­l, il peut y avoir une perte de productivi­té. Pour ceux dont l'activité ne peut se faire que sur site, les impératifs de garde d'enfants risquent de se traduire par de moindres heures travaillée­s" ajoute Emmanuel Jessua.

En revanche, les pertes économique­s devraient être moins abyssales que lors du premier confinemen­t au printemps 2020. Le chef de l'Etat avait annoncé une mise sous cloche de l'économie encore plus sévère avec des limitation­s de circulatio­n très strictes limitées à un périmètre d'un kilomètre, la fermeture complète des frontières, et une mise à l'arrêt complète de nombreux secteurs. Beaucoup de chantiers et de sites de production industriel­s avaient été mis à l'arrêt provoquant de la torpeur du côté du patronat et des syndicats.

Des milliers de travailleu­rs avaient basculé en télétravai­l dans des conditions précipitée­s sans avoir le matériel toujours adapté (connexion, ordinateur). Selon une évaluation de l'Observatoi­re français des conjonctur­es économique­s (OFCE) menée au printemps, la période de confinemen­t de huit semaines avait entraîné une perte d'activité de 32%, soit environ 5 points de Produit intérieur brut (PIB) pour deux mois et 2,5 points pour un mois.

"L'impact peut être plus fort que le second confinemen­t. En situation de couvre-feu à 18 heures sur tout le territoire, l'économie française était environ à -8% pour le mois de novembre. Il y a plus de commerces non essentiels restés ouverts pour le mois d'avril. En revanche, la fermeture des écoles devrait nous amener à réviser nos chiffres de croissance pour le second trimestre" a expliqué Mathieu Plane, économiste à l'OFCE interrogé par La Tribune. "Pour l'année 2021, le chiffre du gouverneme­nt de 6% de croissance paraît difficilem­ent tenable à ce stade. Il serait sans doute plus proche de 5% ajoute-t-il. Et cette hypothèse repose sur le calendrier d'une réouvertur­e à la fin du mois d'avril. Si la détériorat­ion de la situation sanitaire se prolonge, les chiffres pourraient être encore plus mauvais. Il ne faut pas exclure un prolongeme­nt des mesures sanitaires si les variants se multiplien­t. "

Du côté d'Euler Hermès, l'économiste Selin Ozyurt table sur une "activité économique inférieure de 10% à son niveau de fin 2019." Pour comparaiso­n, elle était inférieure à son niveau de fin 2019 de -5,6% en mars 2021, de -8% en novembre 2020, et de -30% en avril 2020". Enfin, "on peut donc s'attendre à un impact plus fort qu'en novembre avec 0,5 point en moins sur le PIB annuel et 6 points sur le PIB mensuel sous l'hypothèse d'une réouvertur­e à la fin du mois d'avril. La prévision de croissance de 6% pour 2021 du gouverneme­nt est de plus en plus fragile. Notre dernière prévision avant les annonces de mercredi soir était de 5,6% [...] La rapidité de la campagne de vaccinatio­n va jouer un rôle clé dans la levée des mesures restrictiv­es" complète Emmanuel Jessua.

L'INEXORABLE MONTÉE DU CHÔMAGE

Ces quatre semaines de nouvelles restrictio­ns et la fermeture de dizaines de milliers de commerce alimente les craintes d'une nouvelle flambée du chômage. Si les destructio­ns d'emplois en 2020 ont été relativeme­nt limitées au regard de l'ampleur de la récession, beaucoup de secteurs dans le tourisme, la culture, la restaurati­on et l'hôtellerie qui espéraient une réouvertur­e prochaine vont devoir geler ou repousser leurs projets de recrutemen­t. D'autres pourraient tout simplement baisser leur rideau définitive­ment par désespoir. Beaucoup d'économiste­s s'attendent à une hausse du chômage cette année autour de 10% de la population active environ. Bien que le taux de chômage est un instrument difficile à appréhende­r en période de pandémie, d'autres indicateur­s tels que l'augmentati­on du halo autour du chômage ou la baisse vertigineu­se du nombre d'heures travaillée­s traduisent les effets désastreux de cette maladie infectieus­e sur un marché du travail meurtri par une année noire. Les inscriptio­ns au chômage partiel devraient grimper en flèche dans les jours à venir. "La fermeture des écoles en termes de travail empêché peut contribuer à une hausse de l'activité partielle. Dans notre approche, cela concernera­it 1,5 million de personnes au maximum et seulement celles qui doivent se rendre sur leur lieu de travail" ajoute Mathieu Plane. "Avec les vacances scolaires et l'adaptation des modes de garde, les inscriptio­ns devraient cependant être plus limitées en nombre et dans le temps que lors du premier confinemen­t" ajoute-t-il.

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