COURSE AUX VACCINS : LES RAISONS DU RETARD DE LA FRANCE
Si elle a tout pour briller, la France n'a toujours pas trouvé de vaccin contre la Covid-19. En dialoguant lors du Think Tech Summit, organisé le 29 mars par La Tribune, Corinne Ronfort, cofondatrice de la startup Aiova, et Gilles Nobécourt, directeur associé du fonds Andera Partners, ont pointé plusieurs faiblesses hexagonales dans la compétition mondiale, notamment des financements insuffisants pour les biotech et un manque de vision stratégique et industrielle à l'échelle européenne.
Une recherche de pointe, des géants pharmaceutiques, des startups innovantes... et pourtant, l'Hexagone ne figure pas parmi les premiers pays ayant produit un vaccin ou un traitement contre le nouveau coronavirus. Non pas que l'écosystème de l'innovation tricolore ne se soit pas lancé dans la course : selon France Biotech, une association qui fédère les entrepreneurs de l'innovation dans la santé, plus d'une centaine de solutions ont été développées à ce jour par les entreprises de la "HealthTech" en réponse à la crise sanitaire.
La startup Aiova est l'une d'entre elles. Créée en 2019 -à l'issue de 25 ans de recherche au sein de l'université Grenoble-Alpes et de l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae)- la biotech planche sur des vaccins universels, qui ne s'attaquent pas uniquement à la souche circulante mais visent à apporter une immunité contre des variants, grâce à une technologie qui s'attaque aux composants du virus qui ne mutent pas. De quoi se positionner dans la lutte contre le Sars-CoV-2 : « Durant l'année 2020, nous avons développé un prototype universel avec une immunité durable et nous entamons les essais précliniques », a affirmé la cofondatrice d'Aiova, Corinne Ronfort, lors d'un débat qui s'est déroulé dans le cadre de la première édition du Think Tech Summit, organisé par La Tribune le 29 mars au Grand Rex de Paris.
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DIFFICULTÉS DE FINANCEMENT
Mais la startup se voit freinée dans son élan... « Bpifrance limite ses aides aux fonds propres. L'étape suivante est donc d'aller chercher des investisseurs », a souligné la chercheuseentrepreneure. Une étape nécessaire -et délicate- pour financer les essais cliniques et passer à la production, d'autant que le temps de recherche dans le domaine de la santé est long et que les retours sur investissement peuvent être incertains.
Or, « courant 2020, les investisseurs se sont montrés très frileux sur les vaccins », a estimé la dirigeante d'Aiova. « Nous sommes un pays où le dispositif public de soutien à l'innovation est le plus structuré. Et dans l'écosystème des startups françaises il y a des fonds de capital-risque qui sont dans les premiers en termes de taille et d'expérience en Europe. Donc, il y a de l'argent »,a nuancé pour sa part Gilles Nobécourt, directeur associé du fonds Andera Partners, qui est en train de constituer un véhicule d'investissement de 450 millions d'euros pour financer, entre autres, les startups de la santé. « En 2020, 850 millions d'euros ont été investis dans des startups healthtech françaises, contre 560 en 2018, il y a donc une vraie croissance et une mobilisation de fonds sur le démarrage de startups », ajoute-t-il.
Là où le bât blesse, « c'est à des stades plus avancés ». Autrement dit, au moment où les pépites grandissent et auraient besoin de plus de fonds pour continuer à se développer... « C'est tout l'enjeu d'arriver à lever des fonds de taille supérieure et c'est ce que nous essayons de faire pour pouvoir accompagner les sociétés dans des développement plus tardifs », a indiqué cet investisseur.
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UN ENJEU STRATÉGIQUE MAL ABORDÉ
Les premiers vaccins anti-Covid ne viennent en tout cas pas du pays de Pasteur. Parmi eux, celui de la biotech américaine Moderna comme celui de l'allemande BioNtech, qui a sorti avec Pfizer le premier vaccin anti-Covid fondé sur la technologie d'ARN messager, ont été autorisés, tandis que CureVac de Tübingen, en phase 3 des essais cliniques, entame sa dernière ligne droite.
Dans cette dernière société, notamment, l'Etat allemand a investi l'an dernier 300 millions d'euros. Un tel financement public aurait-il pu être envisageable en France ? « Les sociétés comme CureVac ou BioNTech ont été financées et largement soutenues par des personnes privées »,a précisé Gilles Nobécourt. « Quand vous regardez l'effort collectif en 2020, l'Allemagne a levé environ 40 % de moins de capital-risque biotech que la France ».
Mais pour Corinne Ronfort, « les subventions que nous avons pu avoir ne sont pas suffisantes. Nous n'avons pas suffisamment d'argent pour aller très vite et très loin », a-t-elle martelé, en notant que Moderna, par exemple, avait bénéficié de 1,5 milliard de dollars dans le cadre de « Warp speed », une opération lancée l'année dernière par l'Etat américain pour accélérer le développement de vaccins anti-Covid.
Le fait qu'il n'y ait pas encore de vaccin « made in France » contre cette maladie est, d'après Corinne Ronfort, « un échec qui remonte à loin. Au niveau de la recherche fondamentale, cela fait 10 à 15 ans que les financements se réduisent ». Même chose, selon elle, pour la recherche et le développement. « Les financements sont insuffisants à chaque stade », a-t-elle insisté.
« Je ne suis pas d'accord qu'il n'y ait pas d'argent », a rétorqué Gilles Nobécourt. « L'an dernier nous avons fait un refinancement d'une société que nous avions financée en essaimage à sa sortie de l'Inserm ; nous avons fait un tour de 55 millions d'euros ».
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Selon cet investisseur, la véritable problématique, au-delà des questions de financement, est que le produit thérapeutique en France n'est pas considéré comme un enjeu de stratégie industrielle ni un enjeu géostratégique. « C'est bien de vouloir développer des startups, mais si on ne le fait pas en essayant de concevoir le système dans son ensemble, si les produits des startups ne sont pas considérés comme des enjeux de stratégie industrielle, cela ne va rien donner ».
Reste aussi qu'en Europe, « il n'y a pas de marché public de financement de sociétés en croissance qui serait équivalent du Nasdaq ». Et de déplorer : « Une société française qui arrive à un stade avancé en matière de nouvelles technologies a des besoins financiers tels que très souvent elle n'a pas d'autre solution que d'aller se coter au Nasdaq... pour le plus grand bénéfice des investisseurs américains ».
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