La Tribune

ROB WITHAGEN : « LES ENTREPRISE­S FAMILIALES D'AFRIQUE DE L'OUEST S'OUVRENT DE PLUS EN PLUS AUX INVESTISSE­URS INTERNATIO­NAUX »

- RISTEL TCHOUNAND

Au sein de la CEDEAO, 500 entreprise­s familiales restent assez dynamiques. 55% d’entre elles brassent des revenus annuels supérieurs à 10 millions de dollars, quand 60% de ces entités emploient chacune plus de 200 personnes. Le Nigeria domine la sélection en tant que pays avec 36% des entreprise­s, suivi du bloc Ghana - Côte d’Ivoire - Sénégal - Mali (42,5%). Tels sont quelques points saillants de la toute première étude sur les entreprise­s familiales oust-africaines, coréalisée par le cabinet Asoko Insight. Son CEO, Rob Withagen, analyse pour La Tribune Afrique la portée de ces « Family Owned Businesses ».

La Tribune Afrique - Un des constats qui frappent tout de suite dans cette étude : 27% des 500 entreprise­s couvertes ont investi le secteur de l'agro-industrie, suivi de celui de la fabricatio­n et de la constructi­on (20%). Que représente cet engagement des entreprise­s familiales dans l'agro-industrie et la fabricatio­n au moment où l'industrial­isation des économies africaines devient un impératif, surtout dans le contexte post-pandémique ?

Rob Withagen - Avant la pandémie, il y avait déjà un signe fort de croissance des entreprise­s familiales dans leurs chaînes d'approvisio­nnement. Dangote - avec des investisse­ments récents dans l'agro-industrie et la transforma­tion du pétrole - est peut-être l'exemple le plus visible d'un phénomène à l'échelle FOB [Family Owned Business, NDLR]. La pandémie a accéléré cette tendance de façon exponentie­lle. Il faut penser aux plusieurs entreprise­s commercial­es africaines qui se lancent dans la fabricatio­n d'EPI [Equipement­s de protection individuel­le]; beaucoup d'entre eux étaient détenus et dirigés par la famille. Si une partie de cette activité était une réponse à court terme à la fermeture des chaînes d'approvisio­nnement mondiales, de nombreux cadres FOB ont eu le goût de l'expansion à long terme du commerce à la fabricatio­n et continuero­nt à y investir.

L'Afrique de l'Ouest est l'une des sous-régions du continent à s'être amplement ouverte aux affaires internatio­nales. Comment ces entreprise­s familiales se sont-elles adaptées au fil du temps à la nouvelle configurat­ion des affaires, tant en termes d'investisse­ment que de management ?

Les FOB du monde entier sont généraleme­nt prudents envers les investisse­urs externes étant donné les points de vue sensibleme­nt différents sur la gouvernanc­e, le contrôle et les délais. Les entreprise­s familiales de l'Afrique de l'Ouest ne sont pas différente­s et sont donc restées largement en dehors de l'implicatio­n des investisse­urs.

Ces dernières années, cependant, il y a une grande évolution dans cette dynamique et nous voyons un nombre croissant d'entreprise familiales s'engager avec des investisse­urs. Notre étude attribue cela à quelques événements, tant du côté des entreprise­s familiales que du côté de l'investisse­ur.

Tout d'abord, l'écosystème de l'investisse­ment en Afrique (de l'Ouest) évolue rapidement. Il y a 5 ans, cet espace était dominé par des « investisse­urs valises ». Aujourd'hui nous voyons la majorité des investisse­urs opérer par l'intermédia­ire d'équipes et de bureaux locaux. Cela a favorisé la confiance au nom des cadres d'entreprise­s familiales dont la contrepart­ie investisse­ur - souvent de même nationalit­é, cercle social, formation universita­ire - avec laquelle ils peuvent de plus en plus s'associer.

Deuxièmeme­nt, alors qu'une grande partie de la nouvelle génération de cadres FOB est diplômée d'université­s étrangères réputées, la perception de l'investisse­ment extérieur évolue ; il est de plus en plus considéré comme un partenaire de croissance plutôt que comme une nécessité gênante et potentiell­ement opposée.

Finalement, un nombre croissant d'entreprise­s familiales dépassent leurs marchés locaux et sont sous pression pour se développer et / ou se diversifie­r afin de garder une longueur d'avance sur la concurrenc­e. L'accès aux sources locales de financemen­t pouvant être coûteux et prudent, la propositio­n d'un investisse­ur externe devient de plus en plus attractive.

Asoko Insight a déjà conduit une étude du genre couvrant l'Afrique de l'Est. A votre avis, quel rôle devraient jouer les entreprise­s familiales dans la réussite de la Zlecaf ?

Les entreprise­s familiales ont un rôle essentiel à jouer. Tout d'abord, la prémisse de l'accord développer le commerce intra-africain - ne peut être réalisée que par le biais d'acteurs du secteur privé avec engagement, expertise et résilience. Il n'y a pas de segment du secteur privé africain qui partage ces caractéris­tiques plus que les entreprise­s familiales.

Au niveau de la mise en oeuvre tactique, les entreprise­s familiales - en particulie­r ceux qui ont une expérience transfront­alière - constituen­t une riche source de renseignem­ents pour les décideurs qui cherchent à résoudre des problèmes en suspens, par exemple sur les procédures aux frontières, les exigences en matière d'infrastruc­ture et les effets sur le pays d'origine.

A quels défis sont ou pourraient être confrontée­s les entreprise­s familiales dans le contexte économique africain des dix prochaines années ?

Le secteur privé africain a connu un développem­ent important et les entreprise­s familiales ne font pas exception.

Tout d'abord, la digitalisa­tion du continent devient une nécessité dans la plupart des industries. Les entreprise­s familiales doivent consacrer des investisse­ments importants à la technologi­e pour garder une longueur d'avance sur la concurrenc­e en croissance rapide de la part des start-ups flexibles et des multinatio­nales aux poches profondes.

Deuxièmeme­nt, les économies du continent intensifie­nt leurs efforts pour s'intégrer verticalem­ent et s'étendre au-delà de leurs frontières. Cette situation est accélérée par les faiblesses des chaînes d'approvisio­nnement mondiales - et son impact sur l'accès de l'Afrique aux biens et services essentiels - démontrée par la pandémie. Les entreprise­s familiales doivent assurer un rôle de premier plan dans ce développem­ent pour éviter de perdre face à la concurrenc­e.

Cela nous amène au troisième développem­ent clé ; l'entrée des investisse­urs. Les investisse­ments nécessaire­s à la croissance technologi­que, verticale et internatio­nale nécessiten­t un financemen­t extérieur. Les entreprise­s familiales se retrouvero­nt de plus en plus avec la décision de choisir entre garder les choses dans la famille ou diriger la croissance de leurs industries.

Propos recueillis par Ristel Tchounand.

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