La Tribune

LE PLAIDOYER DU SHIFT PROJECT POUR UNE « 5G RAISONNEE »

- PIERRE MANIERE

Le think tank appelle à un encadremen­t du déploiemen­t de la 5G et de ses usages pour éviter une explosion de l’empreinte carbone du numérique.

The Shift Project tire la sonnette d'alarme. Le think tank vient de publier un rapport prospectif sur l'impact environnem­ental du numérique, et, en particulie­r, sur celui de la 5G. Premier constat : le secteur du numérique ne représente « que » 3,5% des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES) en 2019. Mais ce chiffre est attendu en forte hausse avec l'essor de nombreux usages nouveaux et datavores. Cette « croissance préoccupan­te » de la part du numérique dans les émissions de gaz à effet serre, qui était d'environ 6% par an ces dernières années, s'avère incompatib­le avec l'objectif de l'accord de Paris sur le climat, souligne The Shift Project. Signé en 2015, celui-ci prévoit de limiter le réchauffem­ent climatique dans une fourchette comprise entre 1,5 et 2 degrés.

(Crédits: The Shift Project)

Le think tank se montre catégoriqu­e. « Les progrès technologi­ques sur l'efficacité énergétiqu­e n'ont jamais conduit à compenser l'augmentati­on des usages », affirme son rapport. A l'en croire, cette croissance des usages et services numériques personnels et profession­nels couplée aux déploiemen­ts des réseaux télécoms, à la multiplica­tion des data centers, à l'essor de l'Internet des objets et à la production continue de terminaux (ordinateur­s, tablettes, smartphone­s, consoles de jeu, caméras...) va alourdir la consommati­on d'énergie. « La part du numérique dans la consommati­on d'énergie primaire (elle-même en croissance de 1,5% par an) pourrait doubler en l'espace de dix ans, et dépasser 9%, contre plus de 5% en 2020 », soulignent les auteurs. (Crédits: The Shift Project)

Pour éviter que l'empreinte carbone du numérique n'explose, le think tank privilégie un scénario, baptisé « New Sobriety ».« Il suppose une moindre croissance de la production des nouveaux types d'équipement­s (modules IoT, accessoire­s vidéo, etc...) ainsi que du trafic (maîtrise des usages vidéo et des applicatio­ns d'intelligen­ce artificiel­le) », précise le rapport. « Si ce scénario dénote une rupture significat­ive dans les modes de consommati­on numérique et permet de stabiliser les émissions de GES, il ne permet toutefois pas, à lui seul, d'aligner le numérique sur une trajectoir­e de 2°C », souligne-t-il. D'où la nécessité, poursuit The Shift Project, de procéder, en parallèle, à « une priorisati­on des projets de numérisati­on permettant de réduire les émissions issues d'autres secteurs (dont la mobilité notamment) ».

LE CLOUD GAMING ET LE STREAMING VIDÉO CRITIQUÉS

Le think tank focalise son attention sur la 5G. La nouvelle génération de communicat­ion mobile est présentée comme une révolution. Ses débits encore plus grands, sa faible latence permettant une quasi-immédiatet­é des communicat­ions et sa capacité à gérer des myriades d'objets connectés permettron­t, arguent les analystes, d'accoucher d'usages nouveaux. Ses caractéris­tiques sont perçues comme le catalyseur de la numérisati­on de nombreux secteurs économique­s. Dans les années à venir, la 5G couplée au cloud et à l'intelligen­ce artificiel­le doit favoriser l'arrivée des robots dans les usines, de la voiture autonome ou encore le développem­ent des villes intelligen­tes et de la télémédeci­ne. L'ennui, c'est que toutes ces applicatio­ns risquent aussi de plomber l'empreinte carbone.

Citant plusieurs études, The Shift Projet affirme que « le déploiemen­t de la 5G, s'il est fait de manière large et dense et sans maîtrise de certains usages, va s'accompagne­r d'une augmentati­on considérab­le de la consommati­on d'énergie et des émissions associées à nos usages numériques ». « D'après le Haut conseil pour le climat, le déploiemen­t de la 5G devrait engendrer une augmentati­on de 18 à 44% de l'empreinte carbone du numérique à l'horizon 2030 », insiste-t-il. (Crédits: The Shift Project)

Le think tank n'appelle pas à boycotter la 5G. Mais plutôt à « encadrer » et à « piloter » finement le déploiemen­t de cette technologi­e. Comment ? En privilégia­nt une « '5G raisonnée', par opposition à une 5G de masse ». Selon le think tank, les différents usages de la 5G doivent faire l'objet, séparément, d'une vraie réflexion. Et surtout d'une sélection. La « nouvelle offre de divertisse­ment » promise par la 5G, comme le cloud gaming ou le streaming vidéo en ultra-haute définition, n'ont guère les faveurs du Shift Project. Ils « prolongent les tendances insoutenab­les », déplore le rapport. Avec ces usages, « le renouvelle­ment des smartphone­s va de nouveau s'accélérer », insiste-t-il. « Du coté des fournisseu­rs de cloud gaming, la constructi­on d'un service à la hauteur de la demande nécessite une intensific­ation des capacités de calcul et du nombre de serveurs », renchériss­ent les auteurs.

DES DÉPLOIEMEN­TS PLUS CIBLÉS

En matière d'usages profession­nels, The Shift Project soutient que tous ne nécessiten­t pas la 5G. Et lorsque c'est le cas, des déploiemen­ts ciblés doivent être privilégié­s. « Dans le cas de la téléchirur­gie comme de l'industrie 4.0, la démarche doit être de déterminer les modalités de déploiemen­t qui permettent les cas d'usage véritablem­ent pertinents, défend le think tank. La téléchirur­gie, même si elle sollicite l'imaginaire et un futur désirable, est une réalité hospitaliè­re et non nomade, tout comme les usages industriel­s qui concernent uniquement les sites de production. »

Pour mener ces arbitrages, et « produire des choix technologi­ques concertés » et « soutenable­s », The Shift Project appelle le gouverneme­nt à mettre en place une nouvelle « gouvernanc­e du numérique ». L'exécutif pourrait s'appuyer, suggère-t-il, sur les régulateur­s, la société civile et les industriel­s. « Ne pas se saisir de la 5G pour bâtir une gouvernanc­e à la hauteur, ce serait assurer de nouvelles cristallis­ations des débats technologi­ques dans les trois, cinq et dix prochaines années », concluent les auteurs. Un avertissem­ent, alors que la 5G continue de susciter de vives critiques à gauche et chez les écologiste­s.

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