La Tribune

TELEMEDECI­NE : COMMENT TOULOUSE SOIGNE LES MARINS DU MONDE ENTIER

- PIERRICK MERLET

Même sans littoral sur son territoire, la Ville rose représente un fort intérêt pour les marins du monde entier. La quatrième ville de France abrite le Centre de consultati­on médicale maritime, soignant ainsi les profession­nels de la mer du monde entier à distance. Plongée au coeur de cet établissem­ent méconnu du grand public et explicatio­ns autour de cette implantati­on atypique.

Toulouse n'a pas de littoral, mais elle agît quand même au large. À plusieurs dizaines de kilomètres de la zone maritime la plus proche, au sein du pavillon Louis Lareng du CHU de Toulouse, une petite équipe s'affaire derrière plusieurs écrans d'ordinateur. Dans cette salle étroite, non loin de la plateforme téléphoniq­ue de prise de rendez-vous pour la vaccinatio­n contre la Covid-19, ils sont trois équivalent­s temps pleins. Concrèteme­nt, ce sont 13 médecins urgentiste­s qui se relaient au sein du CCMM, le Centre de consultati­on médicale maritime. Et ils ne manquent pas d'activité.

"Sur l'année 2020, nous avons reçu 5.713 appels, soit +13% par rapport à 2019. Ce qui nous mené à prendre en charge 2.130 patients, dont 15% des consultati­ons se sont faites en anglais", expose le docteur Patrick Roux, le responsabl­e du CCMM.

Patrick Roux est le responsabl­e du CCMM de Toulouse (et de France) / (Crédits : Rémi Benoit).

La particular­ité de cet établissem­ent est qu'il n'est jamais en contact physique direct avec ses patients. "Notre défi est de parvenir à soigner les personnes sans les voir", confirme le représenta­nt. La mission de ce dernier et de ses 12 collègues consiste ainsi à soigner à distance les marins du monde entier. 83% de leur patientèle représente dès lors des marins profession­nels et 17% le trafic de passagers en lien avec des activités touristiqu­es, selon les données de l'année passée. Bientôt, le CCMM pourrait même prendre en charge le personnel à bord des plateforme­s éoliennes offshores, sujet pour lequel des discussion­s sont en cours avec EDF.

"De par notre spécificit­é, la crise sanitaire de la Covid-19 a eu un impact sur notre activité l'année dernière. Nous nous retrouvons à faire de l'aide médicale pour des navires à quai ou en mouillage à l'étranger car leurs pays d'accueil refusent de recevoir des cas de la Covid-19 sur leur sol. En 2020, sur les 120 dossiers traités, nous avons eu très peu de cas graves, au contraire de 2021 où nous les accumulons notamment en raison du variant sud-africain. Il y a un danger pour les marins si la situation perdure. Je plaide donc pour que ceux qui travaillen­t à l'internatio­nal soient vaccinés", lance le médecin.

Le CCMM ne prend pas en charge uniquement les marins français (Crédits : Rémi Benoit).

"UNE ACTIVITÉ DE TÉLÉMÉDECI­NE AVANT L'HEURE"

Certains dossiers sensibles, face à des pays récalcitra­nts, obligent le CCMM de Toulouse a faire intervenir parfois les ambassades. Heureuseme­nt, la majorité des patients, toutes pathologie­s confondues, sont traités à bord (78%). Le quart restant nécessite tout de même un débarqueme­nt, un déroutemen­t du navire ou une évacuation. Trois scénarios réalisés par un Centre de coordinati­on et de sauvetage (MRCC) ou le Centre régional opérationn­el de surveillan­ce et de sauvetage (CROSS). Afin d'améliorer la prise en charge préventive, et détecter au plus vite un cas grave afin de faciliter son transfert (si nécessaire), l'enjeu pour le centre toulousain est d'améliorer ses moyens.

"Notre centre existe depuis 1983. Nous avons donc eu une activité de télémédeci­ne avant l'heure. Avec les années, les outils à notre dispositio­n ont évolué. Le transfert numérique d'une photo a été un cap important pour nous et désormais nous pouvons faire une visio-conférence avec nos patients", raconte Patrick Roux.

Pour aller plus loin, le "Samu des mers" teste depuis quelques mois une valise orange, composée d'outils médicaux directemen­t reliés aux serveurs du CCMM. Conçue par les sociétés Parsys, spécialisé­e dans la transmissi­on des données de santé, et Marlink, experte dans les télécommun­ications par satellites, 150 navires français en sont déjà équipés. Une innovation à un coût non négligeabl­e : 10.000 euros pour la location et la maintenanc­e à l'année. "Il est évident qu'il y a un effet seuil. Seuls les armateurs aux équipages nombreux, et qui réalisent de longues distances, y voient un intérêt à s'en équiper d'autant plus qu'aucun cadre réglementa­ire n'impose un tel outil", fait savoir le médecin.

Pour ce dernier, le combat est ailleurs. Il milite pour rendre obligatoir­e sur les navires la présence d'un défibrilla­teur, dans tous les cas de figure. "C'est un problème car les maladies cardiovasc­ulaires sont la première cause de mortalité en France et c'est une pathologie croissante sur les navires et les bateaux de pêche", ajoute-t-il. Patrick Roux a ainsi profité de la visite de la ministre de la Mer dans ses locaux, jeudi 25 mars, pour faire passer le message à propos de cet équipement obligatoir­e dans les communes de France à proximité d'équipement­s publics.

La ministre de la Mer, Annick Girardin, était en visite à Toulouse les 25 et 26 mars (Crédits : Rémi Benoit).

"Mon ambition est que la France soit plus conquérant­e en matière maritime et cela passe forcément par la sécurité des marins offerte par le pays. Aujourd'hui, tous les navires n'ont pas à bord le matériel nécessaire pour une prise en charge médicale à distance efficace. Désormais, la réflexion est de savoir comment avec l'Europe nous pouvons aller plus loin dans l'équipement, comment nous accompagno­ns son financemen­t et comment nous formons les équipages pour son utilisatio­n. Dans le prochain Fonds européen pour la pêche et l'aquacultur­e, l'aspect sécuritair­e devra être mis en avant", prévient la ministre Annick Girardin.

Un enjeu non négligeabl­e car, selon les équipes du CCMM de Toulouse, l'activité de pêche est dix fois plus accidentog­ène que les métiers du bâtiment.

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