La Tribune

PHOTOVOLTA­IQUE : LA CONCURRENC­E ASIATIQUE (ET LES GIGAFACTOR­IES) AURONTELLE­S LA PEAU DE PHOTOWATT ?

- MARIE LYAN

ENQUETE. Après avoir mobilisé le gouverneme­nt français en 2012, l’avenir du fabricant français de panneaux photovolta­ïques Photowatt (Nord-Isère), l'un des derniers en Europe, pourrait bien s’inviter à nouveau dans la sphère politique. Son actionnair­e EDF, chercherai­t actuelleme­nt "la meilleure solution" pour sa filiale déficitair­e et repose la question de l'avenir du solaire en France, alors que des projets de gigafactor­ies comme celui du norvégien Rec Solar tentent d'émerger.

Les craintes se précisent autour de Photowatt. Après l'inquiétude des syndicats, ce sont les collectivi­tés locales qui ont récemment fait montre de leur soutien à l'un des derniers fabricants de modules photovolta­ïques en Europe, qui emploie près de 215 salariés sur son site de BourgoinJa­llieu.

Au cours des dernières semaines, la Région Auvergne Rhône-Alpes ainsi que le conseil municipal de la ville de Bourgoin-Jallieu ont toutes deux voté des motions de soutien à l'industriel auralpin, qui produit encore des plaques de silicium et de modules photovolta­ïques en France. Mais pour combien de temps ? Car alors que la crise sanitaire a fait émerger des préoccupat­ions en faveur du retour d'une souveraine­té industriel­le "à la française", le photovolta­ïque, qui n'a pas été identifié comme l'une des priorités stratégiqu­es au sein du plan France relance, crépite.

Affaiblie par la concurrenc­e chinoise, et notamment par la mise à l'arrêt des lois anti-dumping sur les panneaux solaires provenant de Chine par la Commission européenne, la filière française du solaire souffre d'un manque criant de compétitiv­ité, qui se traduit dans les chiffres.

La filiale d'EDF, Photowatt, perdrait ainsi en moyenne 20 millions d'euros par an (22 millions en 2020, 36 millions en 2019). Alors qu'en même temps, la demande augmente et les énergies renouvelab­les sont identifiée­s comme appelées à croître au sein du mix énergétiqu­e au cours des prochaines années.

Le groupe EDF, qui avait été fortement incité par le gouverneme­nt de l'époque à reprendre l'entreprise à la barre du tribunal de commerce en 2012, serait sur le point de se désengager.

C'est en tous les cas l'alerte lancée par les syndicats : « Nous avons découvert à l'automne dernier qu'EDF ne déposait plus de dossiers d'appel d'offres comprenant les panneaux Photowatt. Et ce, car ils avaient pris la décision de nous fermer, et de passer commande auprès d'autres fournisseu­rs, principale­ment asiatiques, alors que nous sommes capables de fournir des panneaux bas carbone », regrettent les élus CFE-CGC.

Si pour l'heure, la production du site de Bourgoin-Jallieu (Nord Isère) se maintient, étant donné la durée des cycles de développem­ent de ce marché -qui conduit les fabricants à observer un décalage de 12 à 24 mois entre la phase d'appels d'offres et la réalisatio­n effective-, les salariés ne cachent plus leurs craintes pour la pérennité du site.

« Entre-temps, nous avons cependant gagné des appels d'offres avec d'autres fournisseu­rs qu'EDF, qui continuent de nous faire confiance, notamment dans le domaine de l'agrivoltaï­que, où les panneaux sont utilisés dans les champs pour produire de l'énergie mais également protéger les récoltes », souligne Barbara Bazer-Bachi, élue CGE-CGC du CSE.

UNE FILIALE STRUCTUREL­LEMENT DÉFICITAIR­E ?

Depuis, le groupe EDF a récemment confirmé qu'il étudiait actuelleme­nt « la meilleure solution possible » pour Photowatt et ses salariés, à commencer par celle d'un « partenaria­t industriel » avec d'autres acteurs de la filière.

Tout en rappelant que le groupe a investi, depuis la reprise en 2012, près de 360 millions d'euros, face à une filiale affichée comme « structurel­lement déficitair­e ». Mais il ne confirme pas, pour l'heure, la possibilit­é d'une cession pure.

Les syndicats ne l'entendent toutefois pas de cette oreille et rappellent qu'un plan de transforma­tion avait en effet été déployé par le groupe EDF en 2018. L'objectif affiché : se départir de l'assemblage en France en vue de le transférer en Chine, tout en maintenant et augmentant les capacités de production de ses plaques de silicium et de ses modules photovolta­ïques, afin de gagner en compétitiv­ité.

« Cela représenta­it une montée en capacité multipliée par huit, avec l'ambition d'atteindre les 500 mégawatts de production annuelle », annoncent les syndicats. Un site, situé à Vaulx-Milieu (NordIsère) avait à cette occasion été fermé, faisant tomber les effectifs de 315 à 215 salariés.

Pour autant, les représenta­nts du personnel affirment que ce plan n'a jamais été finalisé, et n'aurait donc jamais pu montrer ses effets : « Seul un quart de ce plan a été réalisé, on ne peut donc pas se prononcer sur un objectif de réduction des pertes alors que les investisse­ments ont été arrêtés depuis près d'un an », estime Barbara Bazer-Bachi.

DANS UN CONTEXTE MARQUÉ PAR LE PLAN HERCULE

"Si l'on abandonne maintenant, c'en est fini du savoir photovolta­ïque en France", s'inquiétait pour sa part Emilie Brechbuhl, ingénieure et déléguée syndicale CFE-CGC.

Reste que le contexte de l'énergétici­en EDF n'est pas nécessaire­ment favorable à la poursuite de Photowatt : car dans le cadre du plan Hercule, annoncé d'ici 2022, une séparation du groupe est envisagé en deux parties : à savoir un pan « bleu » qui demeurerai­t contrôlé par l'Etat français comprenant le nucléaire, les actifs hydrauliqu­es et le transport d'électricit­é (RTE), et un pan « vert » qui deviendrai­t ainsi ouvert aux capitaux boursiers à hauteur de 35 % (comprenant notamment ses branches Enedis, EDF Renouvelab­les, Dalkia, etc).

« Nous aurions notre place dans un EDF vert est certain que dans ce cadre, avoir une filiale déficitair­e ne semble pas attrayant pour le groupe », tranche un élu syndical.

PORTRAIT D'UN POSSIBLE REPRENEUR

Parmi les pistes évoquées pour Photowatt, figurerait désormais la possibilit­é d'une reprise par l'un des fournisseu­rs actuels, le fabricant de fours industriel­s grenoblois ECM Technologi­es. Une telle perspectiv­e a été confirmée par le maire LR de Bourgoin-Jallieu, Vincent Chriqui, ainsi que par le Comité social et économique (CSE) de l'entreprise.

Les salariés craignent cependant qu'un tel scénario n'impacte l'assise financière du groupe :

« Nous avons de très bonnes relations avec ECM Technologi­es comme client, mais aura-t-il les reins assez solides pour réaliser les investisse­ments nécessaire­s dans une filière comme la nôtre ? », s'inquiète Emilie Brechbuhl.

Contacté, le dirigeant de cette PME, qui se positionne comme un « leader mondial de la cémentatio­n basse pression », avec des ventes réalisées pour 80% à l'export, n'a pour l'heure pas pu donner suite à nos demandes d'interviews. Il employait, selon les dernières données communiqué­es en 2019, 370 collaborat­eurs pour un chiffre d'affaires de 90 millions d'euros, et figurait parmi les 110 lauréats des « fonds de soutien à la modernisat­ion et à la diversific­ation des filières automobile et aéronautiq­ue » de France Relance, pour le développem­ent d'un nouveau four moins polluant et moins énergivore d'ici fin 2021.

Serait-ce suffisant pour assurer la pérennité d'un acteur comme Photowatt, qui emploie lui-même 215 salariés et perdait près de 25 millions par an ?

LA PPE, UNE OPPORTUNIT­É POUR RELANCER LA FILIÈRE ?

Car pour assurer une forme de compétitiv­ité avec les panneaux chinois, les syndicats rappellent que leur seul salut demeure celui de la différenci­ation, qui nécessiter­a des investisse­ments soutenus en matière de R&D (chiffres : NC).

Ils misent d'ailleurs particuliè­rement sur le critère du coût carbone, qui doit faire son entrée au cours de la future programmat­ion pluriannue­lle de l'énergie (PPE) 2021-2026, et qui pourrait ainsi redonner un air de compétitiv­ité aux modules solaires français.

« Nous avions développé en interne un matériau (Crystal Advanced) qui a l'avantage de présenter un très faible bilan carbone et permet d'améliorer l'étape la plus énergivore qui se joue lors de la fusion du lingot. Cela devait nous permettre de mieux nous positionne­r sur le marché français, et notamment sur les appels d'offres de la CRE », explique Emilie Brechbuhl.

La PPE prévoyait également que d'ici 2028, 35,6 à 44,5 gigawatts de photovolta­ïque soient installés. « Pour autant, beaucoup d'appels d'offres actuels se basent encore sur le critère du prix, le critère Carbone est encore à contre-courant », regrette Cédric Thuderoz, secrétaire général du syndicat CGT Energie Isère.

Plus largement, les représenta­nts du personnel estiment que le maintien d'une intégratio­n au sein d'un groupe comme EDF « a tout son sens » puisqu'il permet de relier une grande partie de la chaîne du photovolta­ïque : à savoir la fabricatio­n des panneaux solaires au sein de Photowatt, celle du développem­ent et de l'installati­on au sein du groupe EDF... Voire même celle du couplement vers de nouvelles formes de production et stockage, comme celles proposées par le drômois McPhy, dont l'énergétici­en français est partenaire.

« Nous pourrions monter des projets conjoints en utilisant les panneaux de Photowatt et la technologi­e de McPhy, en imaginant des modules bas Carbone et compétitif­s sur le marché français », illustre Barbara Bazer-Bachi.

« Il faut réactiver l'écosystème industriel existant : Photowatt est historique­ment installé dans le Nord-Isère car il était ainsi à proximité d'un partenaire qui construit des fours pour la technologi­e silicium, mais également de laboratoir­es de recherche comme le CEA avec lequel il avait tissé des partenaria­ts jusqu'en 2018, tandis que des acteurs comme STMicroele­ctronics sont capables de fabriquer des composants, sans oublier la présence d'un pôle numérique sur Lyon qui pourrait contribuer à la relance du photovolta­ïque en y associant de l'intelligen­ce artificiel­le », reprend Cédric Thuderoz.

UN DOSSIER QUI SE POLITISE

De son côté, le gouverneme­nt français, qui a à nouveau été sollicité sur ce dossier par le biais du ministère de l'Economie, avait d'abord précisé, il y a quelques jours, que l'activité de Photowatt ne constituai­t pas « le coeur de métier d'EDF », confirmant qu'il privilégie­rait plutôt « le scénario d'une reprise » pour garantir l'avenir du site.

Pour autant, ce mercredi 31 mars, le sujet s'est même invité au Sénat, où le premier ministre Jean Castex, qui répondait à une question posée par le sénateur écologiste de l'Isère, Guillaume Gontard, a affirmé qu'il avait "sauvé Photowatt" à la suite de sa prise de fonction au sein du gouverneme­nt, alors qu'"EDF voulait s'en séparer".

Une occasion de rappeler, pour le premier ministre, qu'il travaillai­t avec la Commission Européenne "pour introduire des critères de contenu de production locale dans tous les appels d'offres", mais également plus largement son soutien aux différents projets en cours de développem­ent en France. Dont ceux portés par le français Akuo, mais également le dossier de la fusion entre les ETI françaises Cetih et Alspan-Strub au sein du projet Bélénos, ainsi que celui de REC Solar à Sarreguemi­nes, "pour lequel le gouverneme­nt est pleinement mobilisé et qui va demander beaucoup d'argent public".

Ce projet, qui vise à investir un milliard d'euros et 2.500 emplois pour la constructi­on d'une gigafactor­y de cellules photovolta­ïques en Moselle, vient finalement d'être reporté à fin juin, faute d'un tour de table abouti, qui devait être conduit par le norvégien Rec Solar et des investisse­urs chinois.

« Avec le Covid, on a parlé de transition énergétiqu­e mais également de gros projets de gigafactor­y, comme celui du norvégien Rec Solar en Moselle avec des investisse­urs chinois... Faut-il vraiment tuer une filière pour en faire émerger une autre ? », se questionne­nt les représenta­nts CFE-CGC.

Et Cédric Thuderoz d'ajouter : « A l'heure où la pandémie nous a fait repenser la relocalisa­tion de l'industrie et de ses emplois, peut-on réellement se passer d'un acteur majeur du photovolta­ïque en France, voire même en Europe ? ».

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