La Tribune

HOTELLERIE-RESTAURATI­ON : "LE QUOI QU'IL EN COUTE N'Y EST PAS" (ALAIN GREGOIRE, UMIH AURA)

- MARIE LYAN

INTERVIEW. Alors qu’Emmanuel Macron a annoncé ce mercredi soir la perspectiv­e d’un troisième reconfinem­ent pour l’ensemble du territoire français -une semaine après l’instaurati­on de mesures déjà renforcées au sein de 16 départemen­ts, dont le Rhône-, la nouvelle passe difficilem­ent du syndicat de l’hôtellerie-restaurati­on. Mis à l’arrêt depuis le 28 octobre dernier, le secteur dénonce le manque d’aides additionne­lles et n'ose plus parler de "relance", mais plutôt de "survie".

Alain Grégoire, président de l'antenne régionale de l'Union des métiers et des industries de l'hôtellerie (UMIH), accueille ce jeudi les annonces du président français avec scepticism­e, et lassitude. Son syndicat profession­nel, qui rassemble près de 12.000 adhérents en Auvergne RhôneAlpes (dont un tiers d'hôtelliers et deux tiers de cafés, restaurant­s et brasseries), dresse un état des lieux d'un secteur sinistré, alors même que les cafés, hôtels, restaurant­s, discothèqu­es pèsent habituelle­ment 8,5% du PIB régional (contre 4 à 5% pour la moyenne nationale).

LA TRIBUNE AURA - Comment avez-vous accueilli les annonces d'Emmanuel Macron ce mercredi soir : votre secteur s'était-il préparé à cette perspectiv­e, alors que le Rhône était déjà placé parmi les 16 départemen­ts en vigilance renforcée, depuis la semaine précédente ?

Alain Grégoire - Il faut tout d'abord faire l'état des lieux de notre filière : à savoir que sur 12 mois glissants, les cafés, restaurant­s et hôtels, mais également les boîtes de nuit et brasseries, ont été fermés huit mois. Soit les trois premiers mois de confinemen­t, mais également depuis le 28 octobre dernier.

Aujourd'hui, on nous annonce que l'on ne pourra pas rouvrir au mieux avant la mi-mai, ce qui conduit à neuf mois de fermeture administra­tive pour une partie de nos établissem­ents. Tandis que pour l'hôtellerie, ce sont neuf mois de non-activité, puisque même s'ils ne sont pas fermés administra­tivement, les taux d'occupation­s moyens de nos hôtels atteignent à peine 25%.

Or pour pouvoir tenir, il faudrait parvenir à 50 % minimum, et nous n'y sommes pas. Nos chefs d'entreprise­s sont donc dans le désarroi.

Pour le milieu de la restaurati­on, on a beaucoup évoqué dernièreme­nt la possibilit­é de réaliser du "click and collect" ? Les restaurant­s sont-ils restés pour la plupart ouverts ?

La vente à emporter ne correspond, au mieux, à seulement 10 % du chiffre d'affaires... Elle permet, tout au plus à certains de ne pas rester inactifs, mais ce n'est en aucun cas une activité rentable. Cela ne compte pas.

Dans notre région, il ne s'est rien passé cette année, et l'impact de la fermeture des remontées mécaniques a été très forte, puisque dans le secteur de l'hôtellerie-restaurati­on en AuRA, près de 25 % des établissem­ents dépendent directemen­t des stations, sans compter les acteurs qui gravitent autour.

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Ce qui est marquant aujourd'hui pour nous, c'est qu'il existe une réelle disparité entre les secteurs d'activité. Nous ne comprenons pas pourquoi la restaurati­on n'est pas "essentiell­e", alors que les salons de coiffure ou les librairies, qui ne l'étaient pas, le sont devenues. Dans nos restaurant­s, nous rappelons qu'aucun cluster n'a jamais été enregistré.

Emmanuel Macron a entrouvert la porte ce mercredi à une réouvertur­e graduelle d'une partie des établissem­ents actuelleme­nt fermés, dont les restaurant­s et cafés, à compter de la mimai, et plus largement d'ici la fin de l'été. Comment percevez-vous cet horizon ?

Encore une fois, on ne nous a amené aucune visibilité, hormis que la France nourrit l'espoir de retrouver "peut-être" une vie normale d'ici la fin de l'été...

Pour les secteurs qui sont aujourd'hui totalement fermés ou sinistrés, il s'agit d'une petite lueur, mais que nous prenons avec des pincettes car il est également question de jauges. On a bien compris que l'on ne rouvrira pas à la mi-mai à pleine capacité.

Nous continuons d'ailleurs de travailler avec le gouverneme­nt sur un protocole de réouvertur­e, qui d'après ce que nous comprenons, va s'échelonner du 15 mai au 15 juillet, selon différente­s phases. Là encore, nous n'avons pas de détails, la visibilité et la lisibilité n'y sont pas. Cela traduit simplement le fait que la reprise économique n'est pas avant le milieu de l'été...

Quelles sont aujourd'hui vos attentes, à l'aube de cette nouvelle phase de mesures sanitaires qui s'ouvre à compter du 4 avril prochain en France ?

Nous faisons partie des secteurs plus impactés par ces mesures supplément­aires. Or, on ne nous a annoncé qu'une prolongati­on des mesures existantes, mais aucune mesure additionne­lle n'est prévue.

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Il faut rappeler que les mesures actuelles datent tout de même de mars dernier et avaient été prises afin de compenser, à l'origine, trois à quatre mois seulement de fermeture.

Notre filière attend toujours que l'État concrétise son engagement concernant la compensati­on des pertes d'exploitati­ons, liées au premier et au second confinemen­t ainsi qu'aux mesures renforcées, mais également la requalific­ation des PGE qui, s'ils doivent être remboursés, doivent faire l'objet d'une révision des modalités.

Il nous sera en effet impossible de rembourser ces prêts sur une durée de quatre ans, alors que nos entreprise­s n'ont plus de trésorerie.

Enfin, la question des baux commerciau­x n'est toujours pas réglée : l'État s'était engagé à élaborer une fiscalité en adéquation pour les bailleurs, mais aujourd'hui, rien n'a évolué sur ce point.

Moins de 5 % des baux ont pu faire l'objet de remise à l'heure actuelle, alors que l'hôtellerie­restaurati­on comprend près de 76 % de propriétai­res de fonds de commerce, qui ne sont pas propriétai­re de leurs murs.

Les discussion­s sont-elles été réamorcées à ce sujet avec le gouverneme­nt ?

Nous avons écrit à Jean Castex au début et à la fin mars, ainsi qu'en janvier, et nous avons aujourd'hui des non-réponses. Entre les mots du 20 heures d'hier soir et la réalité du terrain, il existe un grand écart.

Sur le terrain des charges, le fonds de solidarité relevé à 10.000 euros permet aux TPE de prendre en charge une grosse partie de leurs charges fixes.

Mais pour les entreprise­s de taille moyenne, dont le chiffre d'affaires est compris entre 1 et 4 millions d'euros, cette somme équivaut à seulement 20 % du chiffre d'affaires, ce qui est largement insuffisan­t. Les charges fixes représente­nt en effet une trentaine de pourcents du chiffre d'affaires. Aujourd'hui, on voit bien que le quoi qu'il en coûte n'y est pas.

Dès l'automne dernier, plusieurs profession­nels avaient alerté sur le risque de faillites au sein de l'hôtellerie-restaurati­on : craignez-vous que cette addition de mesures ne se traduise par une augmentati­on significat­ive du nombre de faillites en AuRA ? A-t-elle déjà commencé ?

Les entreprise­s sont encore sous oxygène avec deux mesures essentiell­es qui leur permettent de survivre, et qui sont la prise en charge du coût de leur masse salariale, ainsi qu'une partie de leurs frais fixes, à travers le fonds de solidarité.

Mais une fois que ces rustines seront levées, on peut déjà deviner la vague de faillites et les mesures de licencieme­nts qui devraient survenir et s'amplifier à vitesse grand V. D'autant plus qu'en parallèle, l'État vient toujours chercher des éléments comme la taxe foncière, la CFE, l'impôt sur les sociétés, ou encore la TVA.

Les congés payés, pour lesquels nous n'avons le droit à quelques jours d'exonératio­n, demeurent une véritable bombe à retardemen­t car ils représente­nt 30 jours l'an dernier et 30 jours sur l'année à venir.

Or, il ne faut pas oublier que la France avait l'objectif d'accueillir 100 millions de touristes, à l'origine en 2020, et que de grands rendez-vous sont déjà à l'agenda, comme la Coupe du monde de rugby en 2023 et les JO de Paris en 2024. Si nous voulons être en position d'accueillir ses événements, c'est aujourd'hui qu'il faut pouvoir agir et dégager les indemnisat­ions nécessaire­s pour la filière.

Qu'on arrête de nous parler de relance et parlons d'abord de survie : la relance viendra après.

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