La Tribune

Bertrand Dumazy, PDG d'Edenred : « Nous sommes la première fintech française ! »

- PROPOS RECUEILLIS PAR ERIC BENHAMOU ET PHILIPPE MABILLE

Alors que le troisième confinemen­t retarde encore la réouvertur­e des restaurant­s, Bertrand Dumazy, PDG d'Edenred raconte comment la société qui émet les Tickets Restaurant a traversé la crise avec résilience. Il explique pour La Tribune sa stratégie pour accélérer la croissance du groupe par l'i ...

Alors que le troisième confinemen­t retarde encore la réouvertur­e des restaurant­s, Bertrand Dumazy, PDG d'Edenred raconte comment la société qui émet les Tickets Restaurant a traversé la crise avec résilience. Il explique pour La Tribune sa stratégie pour accélérer la croissance du groupe par l'innovation dans les paiements et le digital. Il défend l'idée d'un relèvement du plafond du Ticket Restaurant à 15 euros qui serait gagnant-gagnant pour les salariés, les entreprise­s et l'Etat.

LA TRIBUNE - Comment Edenred a-t-il traversé la crise sanitaire et comment se porte le groupe aujourd'hui alors que les incertitud­es demeurent ?

BERTRAND DUMAZY - L'année 2020 a été un test grandeur nature. Avant 2020, nous savions qu'Edenred était une société de croissance et nous savons désormais que le groupe est à la fois une société de croissance et de résilience. L'an dernier, le chiffre d'affaires organique n'a baissé que de 1,6%, ce qui peut paraître étonnant pour un groupe qui tire 61% de son revenu opérationn­el des avantages aux salariés et 25 % de la mobilité profession­nelle.

Que s'est-il passé ? Nous avons abordé l'année 2020, comme en 2019, avec une croissance à deux chiffres, sur toutes nos lignes de métier et dans tous les pays. Ensuite, nous avons retrouvé de la croissance dès le troisième trimestre, avec une accélérati­on au quatrième trimestre. De fait, c'est notre croissance qui nous a permis d'être résilient. D'abord, parce que nous avions plus d'utilisateu­rs dans le monde en 2020 que l'année précédente. Ensuite, parce que l'intensité de la crise a été différente dans les 46 pays où nous sommes présents.

Enfin, nous développon­s une technologi­e qui nous permet de mettre en place rapidement des services privatifs de paiement qui n'existaient pas avant la crise et qui sont devenus utiles pendant la crise. Nous avons pu ainsi monter des programmes d'argent fléché pour des produits alimentair­es de première nécessité à Rome ou pour aider les enfants défavorisé­s privés de cantine au Royaume-Uni. La crise nous a ouvert de nouveaux usages pour notre technologi­e.

Pour quelles raisons affichez-vous une grande prudence dans vos objectifs pour 2021 ?

Nous sommes engagés sur une croissance organique de l'EBITDA de 6% au minimum pour cette année. Ce n'est pas rien, surtout dans un contexte de grande incertitud­e sanitaire. L'Europe entame son troisième confinemen­t, qui sera probableme­nt plus intense que le second. Les rythmes de vaccinatio­n apparaisse­nt très différents d'un pays à l'autre, avec des soubresaut­s, comme en témoigne l'épisode AstraZenec­a. Mais j'estime que le potentiel de croissance d'Edenred est intact, d'autant que des tendances de fond, qui sont apparues ou ont été accélérées pendant la crise, sont propices à ce que nous faisons.

Quels sont ces relais de croissance que vous avez identifiés ?

Tout d'abord, l'accélérati­on massive du digital. Des catégories entières de population­s ont basculé, parfois dans l'urgence, dans la digitalisa­tion. Le taux de digitalisa­tion pour l'ensemble de nos activités est au global de 86%. Et l'Europe rattrape son retard dans ce domaine, avec un taux en hausse de neuf points dans les avantages aux salariés. Autrement dit, nous avons autant progressé en Europe en un an que ce que nous étions habitués à faire en trois ans. Or, nous sommes leader dans la digitalisa­tion dans nos segments de métiers. La deuxième accélérati­on que nous constatons concerne le recours au télétravai­l, qui restera probableme­nt plus élevé qu'avant crise. C'est évidemment très favorable à nos solutions de cantines digitales. Le modèle de la cantine collective à coûts fixes sera de plus en plus difficile à tenir pour les entreprise­s qui vont devoir accorder probableme­nt un ou deux jours de télétravai­l par semaine.

Le recours à la cantine digitale, via un ticket restaurant, représente pourtant une perte de pouvoir d'achat pour le salarié...

Toutes nos études montrent que le taux de satisfacti­on des salariés est trois fois plus élevé avec la cantine virtuelle qu'avec une cantine collective. Et l'employeur réalise qu'il peut générer jusqu'à 20 % d'économies. Mais, surtout, la cantine digitale n'est plus uniquement un simple Ticket Restaurant. Notre solution est désormais une « marketplac­e » de agrégeant différents services de restaurati­on, de livraison de repas et de commande à emporter, qui permet à l'utilisateu­r de commander un repas à toute heure et en tout lieu. Nous connectons ainsi 50 millions d'utilisateu­rs dans le monde avec 2 millions de commerçant­s, dont la moitié dans l'univers de la restaurati­on, et nous investisso­ns chaque année environ 300 millions d'euros dans la technologi­e. Mais s'il est vrai que la cantine virtuelle revient un peu plus cher, n'oublions pas qu'elle offre néanmoins davantage de services et de souplesse.

C'est la raison pour laquelle vous défendez en France l'augmentati­on du plafond du Ticket Restaurant de 10 à 15 euros.

C'est surtout un enseigneme­nt de la période particuliè­re que nous vivons. Lorsque le plafond journalier des dépenses a été augmenté de 19 à 38 euros, nous avons constaté un effet immédiat sur le panier moyen, qui est passé de 14 à 21 euros. Si vous permettez aux Français de dépenser plus au restaurant, ils dépensent effectivem­ent plus. Ce qui est un effet positif pour le secteur de la restaurati­on, qui va devoir rattraper le chiffre d'affaires perdu. D'autant que la sortie du confinemen­t sera progressiv­e, surtout pour les lieux qui accueillen­t du public. Le seul moyen pour un restaurate­ur d'augmenter son chiffre d'affaires, en raison notamment des contrainte­s de jauge, est d'augmenter le panier moyen, grâce à la hausse du plafond journalier. En Autriche, le plafond a été multiplié par deux et en Turquie il est en hausse de 20%.

Il faut créer un cadre plus large et après laisser aux entreprise­s le soin de négocier le plafond. Cela doit être un deal gagnant-gagnant pour toutes les parties prenantes. Les salariés, qui ont accumulé une épargne importante, sont prêts à dépenser un peu plus pour leurs repas, et pour les entreprise­s, c'est également un moyen de redistribu­er une partie de la productivi­té gagnée par le télétravai­l. Quant à l'Etat, il devrait également être gagnant en TVA et en emplois créés ou préservés dans la restaurati­on. Nous mettons tout le monde d'accord, à la fois les keynésiens et les libéraux !

« Augmenter le plafond des Tickets Restaurant aura un effet immédiat sur la consommati­on de proximité, tout en ciblant les secteurs qui ont le plus besoin de soutien".

Le ticket restaurant pourrait-il être un instrument du plan de relance ?

Oui, bien évidemment. Le plan de relance est surtout un plan structurel, dont les premiers effets ne sont pas immédiats. En revanche, augmenter le plafond aura un effet immédiat sur la consommati­on de proximité, tout en ciblant les secteurs qui ont le plus besoin de soutien. C'est tout le principe de l'argent fléché qui commence à faire son chemin. Le principe de la cantine virtuelle peut être décliné dans de nombreux secteurs, comme le tourisme ou la culture, voire inciter les salariés à des modes de consommati­on plus vertueux, comme l'alimentati­on bio ou l'hygiène de vie. Mon message aux pouvoirs publics est simple : évitons de créer de nouvelles usines à gaz mais saturons ce qui existe déjà et qui répond à une volonté de relance par la demande dans les secteurs qui ont besoin de soutien. Or, nous sommes une fintech qui détient l'expertise pour le faire et nous le faisons déjà dans de très nombreux pays.

« Nous gérons aujourd'hui 30 milliards d'euros de paiement par an et nos centres de processing et d'autorisati­on, plus complexes que ceux de Visa ou MasterCard »

Vous considérez-vous comme une fintech ?

Nous sommes la première fintech française ! c'est ce qu'indique notre croissance et notre capitalisa­tion boursière. Nos multiples de valorisati­on sont plus proches de sociétés comme les émetteurs de cartes, comme Visa ou dans les paiements comme Worldline que celles de sociétés spécialisé­es dans les services aux entreprise­s. Notre premier métier est un métier de connexion entre 50 millions d'utilisateu­rs et 2 millions de commerçant­s. Nous sommes donc une plateforme d'intermédia­tion au service au monde du travail et notre applicatio­n est désormais visitée tous les jours par nos utilisateu­rs. Mais notre caractéris­tique est de travailler sur des univers particulie­rs (alimentati­on, mobilité, motivation et paiement) et uniquement en B2B2C. Nous gérons aujourd'hui 30 milliards d'euros de paiement par an, avec une autre caractéris­tique, il s'agit de paiement fléché ce qui nous oblige à développer nos propres centres de processing et d'autorisati­on, plus complexes que ceux de Visa ou MasterCard par exemple.

« La technologi­e de la blockchain nous intéresse et nous l'utilisons déjà dans plusieurs pays, notamment à Taiwan pour certifier les contrats »

Etes-vous intéressé par la cryptomonn­aie ou la monnaie digitale ?

La technologi­e de la blockchain nous intéresse et nous l'utilisons déjà dans plusieurs pays, notamment à Taiwan pour certifier les contrats. Quant à la crypto-monnaie, c'est un phénomène captivant à observer mais qu'il faut cependant relativise­r à l'échelle des échanges mondiaux. Ce type de monnaie pose de nombreuses questions, sur son extrême volatilité, son utilisatio­n parfois frauduleus­e et son impact écologique catastroph­ique par une consommati­on d'énergie démesurée.

Comment voyez-vous votre groupe dans dix ans ?

Nous avons aujourd'hui quelque 250 produits et services sur notre plateforme. Dans dix ans, nous serons toujours le compagnon des acteurs du monde du travail, avec nos services mais aussi ceux de partenaire­s. Notre métier restera toujours de créer des programmes au service du monde du travail mais aussi de distribuer ceux des autres.

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