La Tribune

Gel : « Le fait que les cultures aient tant souffert est lié au changement climatique » (JeanMarc Touzard, Inrae)

- PROPOS RECUEILLIS PAR MARINE GODELIER

ENTRETIEN. Face à l’épisode de gel exceptionn­el qui a surpris de nombreuses cultures en France, le gouverneme­nt a décidé de déployer le régime de calamité agricole. Pour JeanMarc Touzard, directeur de recherche à l’Institut national de recherche agronomiqu­e (Inrae) de Montpellie­r et co-animateur d’un projet sur l’adaptation des vignobles français au changement climatique, les dégâts sont, paradoxale­ment, imputables à la hausse globale des températur­es.

LA TRIBUNE - Le syndicat agricole majoritair­e, la FNSEA, parle d'un événement « historique ». Ce phénomène de chute des températur­es au début du mois d'avril est-il inédit ?

Jean-Marc Touzard - Même si l'ampleur de cet épisode de gel est forte, ce n'est pas une première dans l'histoire. Et il n'est pas non plus, a priori, lié au changement climatique en cours. Peut-être que nous nous apercevron­s, avec du recul, qu'il s'inscrit dans le processus plus long du dérèglemen­t, mais on ne peut pas l'affirmer aujourd'hui. Nous traversons chaque année, ou presque, des épisodes de gel plus ou moins importants en France.

En revanche, le fait que les cultures en aient tant souffert est bel et bien lié au changement climatique. Avec les hivers qui deviennent de plus en plus doux, on observe un phénomène de précocité dans la formation des plantes. Tous les stades de leur développem­ent s'accélèrent. En vingt ans, l'augmentati­on des températur­es a vu la date de maturité du raisin, par exemple, avancer de 15 à 20 jours. Et l'agricultur­e dans son ensemble est touchée. C'est ce mécanisme qui la rend plus vulnérable aux épisodes climatique­s inhabituel­s. Et qui explique l'ampleur du désastre d'une gelée tardive aujourd'hui pour les agriculteu­rs.

Lire aussi : Des propositio­ns pour sauver les agriculteu­rs de la guerre des prix

Concrèteme­nt, quelles sont les conséquenc­es de ce phénomène ?

Les dégâts seront considérab­les, notamment sur certaines plantation­s en pleine floraison début avril du fait du redoux. Certaines régions en ont particuliè­rement fait les frais, comme dans le Sud par exemple, où les vignes ont débourré très tôt. C'est-à-dire que le tissu duveteux à l'intérieur du bourgeon, qui lui permet de supporter des températur­es extrêmes en hiver, a disparu pour laisser place à la future fleur. Une fois débourrées, les pousses deviennent fragiles. Et, abîmées par le gel, elles se font un point d'entrée pour les champignon­s, qui les rendent malades.

En dehors de cet épisode météorolog­ique, les retombées de la précocité sont multiples sur la qualité des cultures. Dans le cas du vin, la date de la vendange est avancée de trois semaines en moyenne - vers la fin août -, dans des conditions de températur­es bien plus élevées qu'auparavant. Cela joue sur des mécanismes biophysiqu­es qui peuvent mettre à mal l'élaboratio­n des composants du raisin, et accentue le risque d'oxydation. En outre, cette précocité peut entraîner une part de fermentati­on non désirée du moût du raisin, car la chaleur augmente la vitesse de développem­ent des levures.

Comment peut-on y remédier ?

Il y a plusieurs leviers possibles pour s'adapter à ce phénomène. En amont, il est possible de modifier la date de plantation des semis, ou des cépages dans le cas du vin. En en choisissan­t des plus tardifs, ils pourront être débourrés plus tard, donc se révéler moins vulnérable­s à des épisodes de gel en avril, par exemple. On peut aussi localiser les parcelles dans des endroits moins gélifs. Par ailleurs, on peut encore améliorer les mécanismes d'informatio­n et d'alerte, à l'aide des nouvelles technologi­es, afin que les producteur­s soient au courant en avance, et plus précisémen­t, des menaces météorolog­iques qui planent sur leurs cultures.

Une fois que la vague de froid est là, plusieurs moyens existent pour minimiser les dégâts. Comme l'utilisatio­n de filets protecteur­s ou de tours antigel, une hélice qui, en tournant, permet d'amener l'air chaud vers le sol.

Enfin, en aval, si la catastroph­e n'a pas pu être évitée, nous devons réfléchir à la mise en place de dispositif­s financiers nouveaux pour les agriculteu­rs touchés, par le biais d'exonératio­n ou d'assurances, avec un mécanisme de mutualisat­ion du risque.

Alors que le changement climatique s'accentue, cela ne risque-t-il pas d'être insuffisan­t ?

Le problème, c'est que ces phénomènes s'accélèrent. Le climat deviendra de plus en plus instable, avec une multiplica­tion des événements extrêmes et de séquences inédites, qui renforcero­nt encore la précocité des cultures - avec toutes les conséquenc­es que l'on a évoquées, et bien d'autres. A l'Inrae, nous avons mis en place un programme, Climae, pour pouvoir étudier les questions d'adaptation de l'agricultur­e au changement climatique. Nous avons besoin que la recherche avance dans ce domaine, pour rendre nos systèmes alimentair­es plus résilients.

En France, nous avons la chance de disposer d'un territoire diversifié, avec des influences climatique­s différente­s - continenta­les et océaniques, et une large palette de parcelles agricoles. C'est un avantage, mais cela ne suffira pas. Je remarque que les acteurs bougent et font part de leurs volontés de trouver des solutions. La filière s'organise de plus en plus autour de ces questions, et le débat avance.

Lire aussi : Les citoyens invités à participer à l'élaboratio­n de la stratégie agricole nationale

Il est clair aujourd'hui que les systèmes qui résisteron­t le mieux sont ceux qui sauront se diversifie­r, à la fois dans la production et l'organisati­on des circuits. C'est pourquoi je pense qu'il ne faut pas s'enfermer uniquement dans des boucles locales, au risque de s'exposer à un risque très fort. Mais ne dépendre que des approvisio­nnements globaux n'est pas la solution non plus. Il est nécessaire de trouver le juste compromis.

Propos recueillis par Marine Godelier

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France