La Tribune

Hydrogène et mobilité : quel modèle économique pour la pile à combustibl­e

- NABIL BOURASSI

La promesse d'une mobilité 100% décarbonée a propulsé la pile à combustibl­e comme l'une des solutions idéales pour l'automobile électrique du futur. L'équation environnem­entale et économique est en réalité beaucoup plus complexe et encore incertaine.

L'hydrogène, le Graal de la mobilité ? C'est vrai que sur le papier, cette technologi­e fait rêver: une autonomie deux à trois fois plus élevée que celle des batteries électrique­s, un temps de recharge de quelques minutes, et zéro émission de polluants à la sortie du pot d'échappemen­ts. On dit même que l'eau qui en ressort est potable... Qu'est ce qu'on attend alors pour imposer la pile à combustibl­e, qui transforme l'hydrogène en électricit­é, à toutes les voitures neuves ?

La réalité est évidemment beaucoup plus complexe. D'abord, d'un point de vue environnem­ental, la promesse d'un bilan carbone neutre est loin d'être remplie. Comme nous le rappelle Patrick Pélata, ancien numéro deux de Renault et aujourd'hui consultant, "l'empreinte carbone de la production d'hydrogène aujourd'hui équivaut à celle du transport aérien". "Pour casser une molécule d'hydrogène, il faut l'équivalent de 34 kwh d'énergie, pour obtenir un kilo d'hydrogène, il faut consommer 100 kwh", nous explique cet ingénieur de formation. Autrement dit, il faut consommer autant d'électricit­é pour obtenir une même quantité d'hydrogène, ce qui renvoie au débat sur l'hydrogène vert.

TROIS MODÈLES DANS LE MONDE

Mais une fois le casse-tête environnem­ental résolu (ou pas), il reste celui du modèle économique. Très peu de constructe­urs automobile­s ont fait le pari de l'hydrogène. Chez Hyundai, la pile à combustibl­e équipe déjà deux modèles: l'ix35 et le Nexo. Mais pour le Sud-Coréen, le "fuel cell" en anglais est une solution parmi d'autres dont la voiture à batteries. Il n'y avait que Toyota pour faire de l'hydrogène le seul horizon possible de la voiture du futur. Au point que le Japonais a totalement déserté la case voiture à batteries, jugeant que celle-ci ne serait qu'une étape avant la pile à combustibl­e. Mais même le grand Toyota, numéro un mondial de l'automobile ex-aequo avec Volkswagen, commence à infléchir sa position et travaille désormais à une gamme autour de la batterie électrique. Et pour ne pas perdre plus de temps, il s'est allié à (beaucoup) plus petit que lui, à savoir le groupe Suzuki.

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Car la pile à combustibl­e coûte très cher dans une voiture électrique... 68.000 euros pour une Toyota Mirai, 80.000 euros pour un Hyundai Nexo... Pour Eric Kirstetter, associé senior chez Roland Berger et spécialist­e de l'industrie automobile, le compte n'y est pas: "avec l'autonomie accrue des batteries, l'hypothèse d'un essor des voitures particuliè­res à hydrogène nous paraît peu probable. Il faudrait en outre recréer toute une infrastruc­ture réseau. Soit beaucoup de capitaux, pour peu de bénéfices au profit du consommate­ur final". Avec la hausse de l'autonomie moyenne des voitures électrique­s passées en quelques années de 150 à 300 voire 400 km, la technologi­e de la batterie répond à la plupart des usages. A 39.000 euros, une Hyundai Kona se montre ainsi largement plus compétitiv­e que le Nexo, et ce, malgré ses 300 km d'autonomie.

LES POIDS LOURDS, LE CANDIDAT IDÉAL

Pour autant, la pile à combustibl­e n'est pas condamnée... Au contraire! Les industriel­s jugent qu'il existe un modèle économique pour les poids lourds. "On estime qu'en 2030, 17% des camions de plus de 6 tonnes vendus en Europe seront propulsés par une pile à combustibl­e, soit un marché de 59.000 camions par an en Europe. Notamment 28% des véhicules de 40 tonnes qui parcourent des très longues distances", explique Eric Kirstetter. Selon lui, l'équation repose sur cette notion de distance: "plus les distances sont longues, plus le TCO est favorable à l'hydrogène". Le TCO ou le coût total de possession (achat, entretien, usage...) sera déterminan­t pour l'essor de l'hydrogène. Sur certains segments, il sera en concurrenc­e avec le diesel. Mais d'autres facteurs pourraient jouer en la faveur de l'hydrogène comme la réglementa­tion ou encore les subvention­s publiques.

Pour Eric Kirstetter, il y a un enjeu sur la taille du marché: "la filière hydrogène aura toutefois besoin de franchir des seuils de volumes pour faire baisser les coûts de revient". Mais plus encore, "il sera nécessaire de standardis­er des composants que ce soit dans les réservoirs, le stockage ou les spécificat­ions pour les systèmes de remplissag­e", rappelle le consultant. Ce processus d'harmonisat­ion est classique dans un marché en pleine émergence. "L'accélérati­on devrait survenir entre 2027 et 2030, ce qui permettra alors de franchir les effets de taille nécessaire­s pour atteindre une maturité de marché", conclut Eric Kirstetter.

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