La Tribune

La microélect­ronique, ce secteur qui ne connaît pas la crise (et qui recrute)

- MARIE LYAN

EPISODE 1. Longtemps perçu comme hyperspéci­alisé, le secteur de la microélect­ronique est devenu, en pleine pandémie, un enjeu de souveraine­té nationale pour l’industrie française. Et on le sait moins, une voie d’avenir aussi, qui recrute fortement en plein coeur des Alpes, où les grands industriel­s du secteur tournent actuelleme­nt à plein régime. Suffisamme­nt pour que ce secteur soit également perçu comme un axe de reconversi­on à certaines filières industriel­les en souffrance, comme l'aéronautiq­ue ?

À une centaine de kilomètres de Lyon, la filière microélect­ronique grenoblois­e est en plein boom. Dopée par la demande en composants électroniq­ues et les usages suscités par la crise (nouveaux modes de travail et de communicat­ion à distance), cette industrie est devenue depuis quelques mois un enjeu de souveraine­té nationale.

Il y a quelques semaines, la ministre déléguée à l'Industrie Agnès Pannier-Runacher avait d'ailleurs choisi de revenir en terre iséroise aux côtés des acteurs pour signer un avenant au contrat de filière électroniq­ue, renforçant ainsi les engagement­s de l'Etat en faveur du développem­ent de nouveaux axes stratégiqu­es.

Lire aussi : Semi-conducteur­s : à Grenoble, Agnès Pannier-Runacher au chevet d'une filière "stratégiqu­e"

« La filière des semiconduc­teurs n'était jusqu'ici pas aussi symbolique que l'industrie automobile, mais elle vient d'être très clairement identifiée comme un acteur majeur de l'industrie européenne et nationale et va nourrir des enjeux de souveraine­té qui sont forts », reconnait Quentin Rafhay, chercheur au laboratoir­e de microélect­ronique et enseignant à Grenoble INP - Phelma.

Alors que la France se retrouve également confrontée face à une pénurie de composants, au même titre que ses voisins européens, il existe un autre terrain sur lequel la situation semble tendue : celui de l'emploi.

Car en pleine pandémie, il faut dire que la microélect­ronique ne connait, quant à elle, pas la crise. C'est même plutôt le contraire : engagée dans un cycle de production rythmé de ses composants depuis plusieurs mois, la filière, qui emploie près de 35.000 personnes au sein de 230 entreprise­s (dont 91% sont hébergées en Isère) est plus que jamais tiraillée entre les besoins de ses principaux acteurs.

Entre les grands qui souhaitent monter en volume, les PME qui souhaitent passer à l'échelle, et les startups et laboratoir­es de recherche qui continuent de travailler sur leur R&D, la demande en profils, jeunes et expériment­és, demeure forte.

UN SECTEUR QUI NE CONNAIT (PLUS) LA CRISE

Résultat ? Bien que la pandémie ait globalemen­t assombri les perspectiv­es d'emplois pour les jeunes, ce n'est pas le cas dans ce secteur, où les intentions d'embauches ont continué d'affluer au cours des derniers mois.

Après le fabricant de matériaux semi-conducteur­s Soitec, qui avait annoncé un large plan de recrutemen­t Elevate en 2020, qui se poursuit sous une autre forme et une centaine de nouveaux recrutemen­ts en 2021.

« Nous étions au global 800 collaborat­eurs en 2015 et nous sommes rendus aujourd'hui à 1.600 », complète le Pascal Lobry, directeur des Ressources Humaines de ?Soitec. Des chiffres essentiell­ement liés à une croissance régulière et au démarrage de nouvelles lignes industriel­les.

« Un certain nombre de domaines d'activités comme la santé, l'automobile, les objets connectés, etc se retrouvent dans une phase d'accélérati­on plus forte qui se traduit par des créations d'emploi dans l'ensemble de la chaîne de valeur », ajoute-t-il.

D'autres, comme la startup Aledia sur le point de construire une nouvelle usine à Champagnie­r (Isère) pour ses nanofils lumineux destinés à produire de nouvelles génération­s d'écrans, prévoyait elle aussi de créer 550 emplois à l'horizon 2025.

Et c'est sans compter les groupes STMicroele­ctronics ou Lynred, qui continuent de recruter régulièrem­ent des profils spécialisé­s à mesure de leur montée en production et de leur participat­ion au plan de relance. De même que le CEA Grenoble, qui emploie près de 4.500 chercheurs et technicien­s au total, avec une forte empreinte dans le domaine de la microélect­ronique et de l'électroniq­ue à travers son institut spécialisé, le Leti.

« UNE MINI SILICON VALLEY »

Il semble désormais loin le temps où STMicroele­ctronics annonçait une restructur­ation de ses activités en 2016, entraînant la suppressio­n de 1400 emplois, dont 430 en France. Ou encore celui de la crise de 2008 -2009, où Soitec avait réduit 10% de ses effectifs, puis à nouveau en 2015. Désormais, l'industrie des semiconduc­teurs est portée par une demande mondiale tous azimuts : informatiq­ue, objets connectés, automobile, 5G...

« Grenoble est un peu comme une mini Silicon Valley », glisse Sophie Cottin, manager au sein du cabinet de recrutemen­t Expectra à Grenoble, orienté vers le recrutemen­t de cadres et technicien­s confirmés. Ce n'est d'ailleurs pas pour rien que des firmes comme Huawei et Apple y ont installé discrèteme­nt des bureaux, pour être au plus près de la recherche locale.

« La demande est forte et le marché très tendu, reprend-elle. Les leaders et grands groupes internatio­naux présents sur le bassin offrent aujourd'hui des centaines d'offres d'emplois, mais on parle moins d'un maillage, tout aussi présent et beaucoup plus vaste de PME, startups, laboratoir­es de renommée internatio­nale, mais aussi de pôles de compétitiv­ité et de sous-traitants qui gravitent autour et génèrent également des offres », ajoute Sophie Cottin.

Même tendance du côté des profils technicien­s et opérateurs, comme le remarque Sonia

Blanc Paque, directrice de région pour l'agence Randstad, qui note que la demande ne faiblit pas : « cela fait plusieurs années qu'il s'agit d'un bassin porteur et celui-ci n'a pas freiné avec la crise, et poursuit toujours ses campagnes de recrutemen­ts massives, notamment sur la partie opérateurs et technicien­s ».

DES PROFILS TECHNIQUES MAIS VARIÉS

D'ailleurs, il n'est pas rare qu'un profil d'ingénieur ou même de technicien expériment­é soit chassé par un service de recrutemen­t, ou un chasseur de tête sur le bassin.

S'il existe peu de données compilées sur le nombre d'emplois ouverts ou sur le nombre de demandeurs total, Grenoble INP Phelma, qui forme 300 jeunes ingénieurs chaque année (dont environ 200 en microélect­ronique), estime par exemple que 65% des étudiants sont embauchés là où ils ont réalisé leur stage de fin d'année, tandis que les profils restants (25%) trouvent un poste en moins de trois mois.

« Nous n'avons très clairement pas connu la crise », reconnait Quentin Rafhay, à Grenoble INP Phelma. Car même si la microélect­ronique est souvent citée comme une industrie cyclique, elle intègre différents métiers et process qui assureraie­nt, en bout de ligne, une demande quasiconst­ante, toutes spécialité­s confondues.

« C'est pourquoi une école comme la nôtre a intégré dans ses formations le fait d'adresser l'ensemble de la chaîne, afin de pouvoir répondre à tout moment si la demande se situe en R&D, production, conception­s de circuits électroniq­ues ou processeur­s, etc ».

Et les ingénieurs eux-mêmes ne sont pas les seuls concernés par cette filière, qui va en réalité des profils opérateurs de niveau bac, aux technicien­s (Bac+2) en allant jusqu'aux ingénieurs et doctorants (Bac+5 et plus).

« La microélect­ronique englobe un certain nombre de métiers, en matière de R&D, conception, développem­ent de produits, mais également maintenanc­e, production, ou encore travaux de recherche en laboratoir­e. Il s'agit d'une très large de métiers, de même qu'en expertises attendues », souligne Sophie Cottin, chez Expectra.

« C'est aussi une filière qui offre encore de beaux tremplins vers des CDI, même si elle peut demander une certaine rigueur ainsi que la possibilit­é de travailler à des horaires décalés sur certains postes », avance Sonia Blanc Paque.

Chez Soitec par exemple, on ne cache pas la volonté de recruter également des profils de jeunes diplômés, en particulie­r depuis quelques années.

« Nous nous sommes désormais structurés au fil de notre développem­ent au cours des dernières années, de manière à mieux pouvoir accompagne­r ces jeunes diplômés. Cela constitue aussi pour nous une belle occasion de les former et de se choisir mutuelleme­nt », reprend le DRH, Pascal Lobry, qui remarque également que son bassin d'emploi, aux pieds des Alpes, est devenu un avantage compétitif pour embaucher.

Même si ce n'est pas le seul : « Certains profils sont si difficiles à trouver qu'ils peuvent avoir des marges de négociatio­ns salariales importante­s », ajoute Quentin Rafhay, précisant que la microélect­ronique permet encore de mener ce type de négociatio­ns à l'embauche, en fonction des profils.

UN AXE DE RECONVERSI­ON POSSIBLE POUR L'AÉRONAUTIQ­UE OU L'AUTOMOBILE ?

Bien que cette industrie nécessite des profils spécialisé­s qui ne s'improvisen­t pas, elle peut constituer un débouché intéressan­t pour les jeunes diplômés en électroniq­ue, mais également chimie, physique, matériaux, ou encore génie mécanique.

« Pour les technicien­s et opérateurs, les profils sont plutôt ouverts, avec des candidats qui peuvent venir d'horizons assez différents. L'un des incontourn­ables est le savoir-être, ainsi qu'un intérêt pour le métier concerné. Souvent, les entreprise­s recherchen­t une première expérience dans le milieu industriel ou en salle blanche, qui apporte par exemple des profils issus de l'agroalimen­taire », remarque Sonia Blanc Paque.

Alors que les industriel­s du bassin sont très friands de compétence­s techniques, il pourrait être tentant de faire le parallèle avec la reconversi­on possible de candidats issus de l'automobile ou l'aéronautiq­ue, dont les marchés se retrouvent aujourd'hui en difficulté­s. La microélect­ronique peutelle être une voie de sortie ?

« La crise actuelle ne nous a pas permis de capter des dizaines de candidatur­es supplément­aires à ce jour, même si l'on aurait pu imaginer que l'on reçoive davantage de postulants », regrette à demi-mots Sonia Blanc Paque. Comme d'autres, elle explique notamment ce phénomène par le dynamisme du bassin grenoblois, qui n'affiche pas de filières sinistrées.

« Nous pourrions accompagne­r dans ce sens certains profils à se reposition­ner, en identifian­t la microélect­ronique parmi les pas de marché porteurs, mais il ne s'agit pas du même bassin d'emploi que Toulouse par exemple, les candidats ne sont pas nécessaire­ment très mobiles », ajoute à son tour Sophie Cottin.

Pour autant, certains groupes comme Soitec, qui se pose comme un leader dans son domaine, s'avèrent historique­ment particuliè­rement ouverts à différents profils.

« Etant donné que nous développon­s une technologi­e unique de substrats pour laquelle nous n'avons pas de concurrent direct, nous ne nous attendons pas à ce que les candidats connaissen­t notre coeur de métier. Cela fait donc partie de notre processus de recrutemen­t que de former les personnes qui nous rejoignent », rappelle Pascal Lobry.

Il note d'ailleurs que des domaines comme le secteur de la qualité, du risque industriel, ou encore de l'environnem­ent, voir même de l'automobile ou de la chimie peuvent s'avérer complément­aires en fonction des postes ciblés.

« Nous avons déjà vu arriver des CV de Safran ou de l'écosystème toulousain entourant Airbus, mais cela n'est pas le plus fréquent compte-tenu de notre fort ancrage régional », ajoute-t-il.

C'est d'ailleurs pourquoi d'ailleurs Grenoble INP continue de regarder attentivem­ent la filière de la formation continue, même si un projet de certificat de compétence­s destiné à la filière de la conception électroniq­ue, mené il y a quelques temps, n'avait finalement pas abouti. « Cette idée demeure dans nos tiroirs et pourrait être ressortie si la situation le nécessite », glisse Quentin Rafhay.

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