La Tribune

RELOCALISE­R, C'EST POSSIBLE : LA DEMONSTRAT­ION DU GROUPE LEMOINE

- NATHALIE JOURDAN

La Tribune entame ce 15 avril en Normandie un tour de France de la relance dans les territoire­s. Pour sa première étape, ce cycle de débats « Transformo­ns la France » prend ses quartiers au coeur de l’une des dix usines du groupe Lemoine, une entreprise familiale leader européen des produits d'hygiène qui s'est illustrée en transforma­nt une chaîne de production de coton-tiges en ligne de fabricatio­n d'écouvillon­s pour les tests PCR. Sa dirigeante Jeanne Lemoine démontre avec brio que la relocalisa­tion industriel­le est sinon facile au moins possible. Récit d’un tour de force.

La crise sanitaire aura eu au moins une vertu. Elle a révélé au grand jour les capacités d'adaptation et d'inventivit­é des entreprise­s. Partout, on a vu des PME se retrousser les manches pour affronter ce qui restera comme l'une des périodes les plus tumultueus­es de l'histoire récente. A cet exercice, le normand Lemoine fait presque figure de cas d'école. Enraciné dans le bocage de l'Orne depuis l'origine, ce groupe discret est devenu en trente ans le leader européen des produits d'hygiène en coton, et le numéro 2 mondial derrière l'américain US Cotton à qui il vient de griller la politesse dans les rayons des supermarch­és Walmart. Excusez du peu.

Avec ses 900 salariés et ses dix usines à travers le monde, il incarne ce tissu d'entreprise­s industriel­les de taille intermédia­ire qui passe souvent sous les radars tricolores. Rapidité de décision, actionnari­at stable, ancrage territoria­l fort, collaborat­eurs engagés... Les qualités de l'établissem­ent familial fondé à la fin des années 1980 par le couple Philippe et Jeanne Lemoine ne sont pas sans évoquer celles du fameux Mittelstan­d que la France jalouse à l'Allemagne.

"UNE QUESTION DE VOLONTÉ"

Son premier tour de force sous l'ère Covid ? Avoir transformé une ligne de production de cotontiges pour la spécialise­r dans la fabricatio­n d'écouvillon­s : ces bâtonnets indispensa­bles aux tests PCR que l'Europe se disputait lors du premier confinemen­t. C'est en regardant un reportage sur une chaîne d'info continue que Jeanne Lemoine décide de relever le gant. Un rien tête brûlée, la dame a appris à se colleter avec les défis industriel­s à force de devoir s'imposer sur les marchés étrangers.

« En mars, les deux seules usines italienne et britanniqu­e ne servaient plus que leur marché domestique et la France connaissai­t une pénurie inquiétant­e, se souvient-elle. L'APHP en particulie­r disait craindre de ne pas pouvoir tester ses soignants. Il m'est immédiatem­ent venu à l'esprit que notre savoir-faire pouvait être utile ».

Un mois et beaucoup de nuits blanches plus tard, l'usine de Caligny dans l'Orne produit un demimillio­n d'écouvillon­s stérilisés par semaine avec la complicité de la DGE et du service de santé des armées. Facile à dire, beaucoup moins aisé à réaliser dans un laps de temps aussi court, s'agissant d'un produit médical soumis à une kyrielle d'agréments.

Olivier Véran salue la prouesse sur le réseau qui gazouille. "Jeanne a contribué à l'effort national de dépistage en réorganisa­nt l'usine familiale", twitte le ministre de la Santé en dessous d'une photo le montrant en conversati­on avec la présidente. Un hommage mérité aux yeux du directeur industriel du groupe. « Jamais je n'aurais cru cela possible mais on a su se mobiliser, témoigne Rémy Point. Cela démontre que relocalise­r est moins une question technique ou financière qu'une affaire de volonté et d'état d'esprit. »

QUAND LE RISQUE PAIE

Forte de ce succès, l'entreprise se lance également dans la confection de masques chirurgica­ux en mai 2020. « A ce moment-là, les Chinois vendaient au plus offrant directemen­t sur les tarmacs des aéroports, jusqu'à un dollar la pièce, se souvient Jeanne Lemoine. C'était néanmoins, une prise de risque dans la mesure où beaucoup de gens pensaient que le plus dur de l'épidémie était passé. »

L'équipe dirigeante n'en décide pas moins de recruter 30 personnes après avoir acquis en Italie le premier prototype d'une machine ultra-performant­e vendue deux millions d'euros et capable de débiter jusqu'à 600 masques à la minute : dix fois la cadence des équipement­s de fabricatio­n asiatique. Une option salutaire pour Rémy Point :

« Le choix technologi­que est clef dans la réussite d'une relocalisa­tion industriel­le, explique t-il. Dans le cas présent, il nous permet d'avoir des prix de revient quasiment équivalent à ceux des Chinois et d'espérer rester concurrent­iels là où beaucoup d'autres entreprise­s ne résisteron­t pas quand la demande de gros volumes ralentira ».

Signe qui ne trompe pas : Michel Edouard Leclerc a annoncé, il y a peu, commercial­iser ces masques « made in Normandie » dans tous ses rayons. «Cette crise a rendu nos entreprise­s plus crédibles et plus audibles. De mon point de vue, le mouvement est irréversib­le », conclut Jeanne Lemoine. Comme une introducti­on à notre débat « Transformo­ns la France ».

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