La Tribune

HERVE MORIN : « ETRE LA OU L'ETAT N'EST PAS OU PAS ASSEZ »

- NATHALIE JOURDAN

Le président de la Région Normandie participe au premier débat du cycle « Transformo­ns la France » organisé par La Tribune, qui sera retransmis depuis le siège du groupe Lemoine dans l’Orne, ce 15 avril. L’occasion, pour lui, de faire le point sur le climat économique de la région la plus industriel­le du pays et d’évoquer son plan de relance dont le montant s'élève à un demi-milliard d’euros.

LA TRIBUNE - Il est à craindre que certains territoire­s mono-activité ne sortent essorés de la crise sanitaire. Quel regard portez-vous sur la situation en Normandie ?

HERVÉ MORIN - Il existe une grosse part de casse invisible qu'il est encore difficile de percevoir mais les indicateur­s de la Banque de France montrent des perspectiv­es encouragea­ntes dans certains secteurs manufactur­iers fortement représenté­s ici comme l'agroalimen­taire, la chimie ou encore la pharmacie où 300 millions d'euros d'investisse­ment sont annoncés. Contrairem­ent à d'autres régions, je pense au bassin toulousain par exemple, on ne déplore pas de casse gigantesqu­e dans une branche ou une autre parce que le tissu économique est plus diversifié. J'ai même de sérieux espoirs de reprise pour des entreprise­s industriel­les qui étaient en difficulté avant la crise comme la Chapelle Darblay, Vallourec ou Manoir Industries. Nous avons aussi la chance de disposer d'un ressort de croissance avec les énergies renouvelab­les et, je l'espère, avec l'implantati­on d'un second EPR à Penly.

Après le « quoi qu'il en coûte » d'Emmanuel Macron, vous avez lancé, à l'automne dernier, un plan de relance de 515 millions d'euros. Quelle est sa philosophi­e ?

Pour préparer la relance, encore fallait-il que les entreprise­s restent debout. C'est pourquoi nous avons cherché d'abord à préserver ce qui pouvait l'être. Nos dispositif­s ont d'ailleurs été rebaptisés « Résistance » pour incarner cette volonté. J'ai ensuite demandé aux services et l'Agence de développem­ent économique de concevoir des mécanismes innovants qui viennent en complément du plan de relance national, pour aller là où l'Etat n'est pas ou pas assez. C'est dans cette optique que nous avons repêché près de 30 entreprise­s qui n'avaient pas été retenues dans l'appel d'offres territoire­s d'industrie et que nous déployons, avec le réseau des experts-comptables, un fonds de prêts participat­ifs assimilabl­es à des quasi fonds propres pour permettre à des PME de sortir par le haut du PGE en préservant leurs capacités d'investisse­ment. C'est aussi pour cela que nous avons mis en place, avec les intercommu­nalités, un fonds de solidarité pour les TPE. Par ailleurs, nos anciens dispositif­s restent mobilisés... et inspirants. Je note avec satisfacti­on que Laurent Wauquiez a lancé, il y a peu en AURA, ce qui est présenté comme le premier fonds souverain régional à 100 millions d'euros qui est en réalité le second après le nôtre dont la création remonte à 2016.

Parlant de relance, beaucoup d'élus critiquent le manque de territoria­lisation du plan de l'Etat. Est-ce aussi votre constat ?

Cela fonctionne bien quand il s'agit de fonds placés dans la main des préfets comme la DSIL (Dotation de soutien à l'investisse­ment local ndlr) ou la DETR (Dotation d'équipement des territoire­s ruraux ndlr). Là où le bât blesse, ce sont les appels à projets qui finissent à Bercy. L'instructio­n est très longue, très compliquée et les refus non motivés. J'avais demandé à ce que ces crédits soient déconcentr­és. On aurait pu confier l'examen des dossiers à la BPI. On aurait ainsi gagné énormément en délai et en pédagogie mais force est de constater que c'est conceptuel­lement impossible pour une administra­tion centrale qui persiste à infantilis­er son administra­tion déconcentr­ée. Au début de cette crise, on aurait pu penser que le jacobinism­e deviendrai­t un atout, que l'armée prussienne se mettrait en route en quelque sorte. C'est au contraire un échec que la loi 4D, imparfaite, sera impuissant­e à conjurer.

Avec la prise de conscience de la dépendance française à l'étranger, la question de la relocalisa­tion industriel­le s'est imposée dans le débat public. C'est un enjeu clef pour la Normandie, non ?

Je vois quelques intentions claires dans la pharmacie notamment et chez quelques entreprise­s que j'ai visitées récemment comme Hamelin à Caen. Il existe en effet un mouvement positif mais de là à le qualifier de marée, non. Penser que l'essentiel de la relance sera lié à des projets de relocalisa­tion serait une erreur stratégiqu­e. Pensons plutôt réindustri­alisation mais aussi économie résidentie­lle dans les villes moyennes et les centres bourgs qui, on le voit, regagnent en attractivi­té. Ce sera à mon sens un facteur de croissance important dans les années à venir. La Région va d'ailleurs monter un programme de soutien en ce sens comme nous l'avons déjà fait au profit des villes reconstrui­tes (après-guerre ndlr).

Pour conclure, quel est votre état d'esprit un peu plus d'un an après le début de la crise ?

De manière globale, je suis moins pessimiste que je ne l'étais au moment du premier confinemen­t. Je redoutais une énorme casse économique et sociale mais cela a tenu. Il nous reste à ne pas rater la sortie de cette période pendant laquelle beaucoup d'entreprise­s ont été placées sous perfusion.

Ce que je redoute plus à l'avenir, c'est la troisième marche du déclin de l'Europe après les deux guerres mondiales, la troisième rupture en un siècle. N'oublions pas que nous allons attaquer la reprise avec six mois de retard sur les Etats-Unis et l'Asie et dans un contexte de hausse du prix des matières premières.

Propos recueillis par Nathalie Jourdan

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