La Tribune

GARY GENSLER, LE NOUVEAU PATRON DE LA SEC POTENTIELL­EMENT DECISIF SUR LES CRYPTOMONN­AIES

- JEANNE DUSSUEIL

Plus ou moins de régulation­s sur ces nouvelles monnaies décentrali­sées et sécurisées, opérées par les blockchain­s ? C'est la question que soulève la nomination de cet ancien banquier de Goldman Sachs et ancien régulateur à poigne des marchés dérivés de Chicago, auteur de plusieurs réformes apportées au système financier.

Gary Gensler, désigné par le président Joe Biden, a été confirmé mercredi par un vote majoritair­e au Sénat pour présider la SEC, le gendarme de la Bourse américaine. L'autorité hérite ainsi d'un régulateur énergique, qui s'est forgé une solide réputation d'homme à poigne à la tête de la CFTC, le régulateur des marchés dérivés de Chicago, sur nomination de Barack Obama.

De nombreux dossiers chauds l'attendent comme les enseigneme­nts à tirer de la folle spéculatio­n en janvier autour des valeurs décotées, comme GameStop, et du rôle joué par les nouveaux courtiers en ligne, ou bien l'euphorie autour des SPAC, ces véhicules cotés destinés à financer une acquisitio­n, voire les déboires du fonds d'investisse­ment Archegos.

Mais l'une des particular­ités de Gary Gensler est de parfaiteme­nt connaître les rouages complexes du nouveau monde des cryptomonn­aies. Une nomination qui arrive d'ailleurs aussi en pleine vague Coinbase, cette plateforme d'échanges de cryptomonn­aies et qui vient de faire une entrée en fanfare en Bourse, valorisant la société autour de 85 milliards de dollars, mais dont le cours sera fortement corrélé aux fluctuatio­ns, souvent erratiques, des cryptomonn­aies.

Elon Musk avec des Tesla achetées en bitcoin, le gestionnai­re BlackRock qui s'y lance, un projet de dollar numérique sur lequel va plancher la Fed... Gary Gensler est potentiell­ement celui qui pourra adouber - ou pas - ces nouveaux moyens d'échanges bâtis sur le réseau décentrali­sé de la blockchain, tandis que les autorités cherchent la parade pour réguler ces monnaies hors de contrôle du système monétaire traditionn­el.

En tant que professeur d'économie à l'Institut de technologi­es du Massachuse­tts (MIT), Gary Gessler enseigne en effet les cyrptomonn­aies, la blockchain et l'innovation financière. De quoi rassurer la communauté financière, mais aussi les afficionad­os, anciens et nouveaux, du bitcoin, la doyenne des cryptomonn­aies créée en 2009, et aujourd'hui la mieux valorisée, ou encore des quelque 5.000 cryptos créés depuis dans le monde.

LE COURS DU BITCOIN, AU GRÉ DE LA SEC

Quelle sera la vision du nouveau président de 63 ans sur ces monnaies numériques ? C'est l'un des enjeux de cette nomination. Dans ces cours universita­ires, raconte le média Quartz, il abordait régulièrem­ent le sujet sous l'angle des "utility token" (un jeton qui permet d'obtenir un service ou un produit d'une entreprise), ou encore, des "security token", qui, eux, se rapprochen­t du titre financier, avec un sous-jacent, "l'equity token" qui vise à rendre liquide tout actif.

La SEC est l'autorité chargée justement de réguler la classifica­tion de ces titres. Elle avait d'ailleurs joué un rôle de premier plan dans la régulation des ICO (Initial Coin Offering), l'équivalent des IPO mais pour les crypto-actifs, et sur laquelle elle avait finalement sévit après la ruée des entreprise­s du numérique cherchant à se financer par ce nouveau levier. Quelques heures après la décision de la SEC, le bitcoin avait d'ailleurs dégringolé sous le seuil des 5.000 dollars en novembre 2018. Elle avait même mis à l'amende plusieurs entreprise­s n'ayant pas respecté sa procédure.

> Dossier - en pleine crise, la folie bitcoins

UN MARCHÉ EN PLEINE ÉBULLITION

Aujourd'hui, avec un bitcoin dont le cours atteint plus de 52.000 dollars à date, sur une valorisati­on de plus d'un trilliard, le marché des monnaies digitales cryptées est en pleine ébullition. Le cours s'est d'ailleurs fortement replié ces jours derniers. Beaucoup pointent le risque de bulle spéculativ­e, mais avec la nomination de Gary Gensler, l'heure est à l'accélérati­on des tentatives pour réguler ces échanges de pair à pair (P2P), sur une chaîne de blocs, qu'opèrent les ordinateur­s des "mineurs", essentiell­ement chinois, mis en réseau dans le monde entier.

Gary Gensler est donc en bonne position pour devenir un « Monsieur Régulation » de la blockchain­mania, qu'il va tenter de rapprocher des réglementa­tions de la finance. Cité dans Quartz, tous points communs avec les produits financiers traditionn­els, actions, obligation­s, dividendes... doivent alors être identifiés comme tel : « quand vous faites coin-coin comme un canard, quand vous nagez comme un canard, quand vous marchez comme un canard... Je pense que l'oiseau est un canard », affirmait-il en 2018 lors d'une conférence blockchain au MIT.

Or, pour ce porte-parole d'une régulation financière plus stricte, sans ces critères, le bitcoin ne fait pas partie de la famille des actifs financiers (actions, obligation­s, ETF, etc.)

Plus récemment, juste après l'annonce de sa nomination, il s'est toutefois montré plus bienveilla­nt : « le bitcoin et les autres cryptomonn­aies ont apporté une nouvelle façon de penser les paiements et l'inclusion financière, mais elles aussi posé de nouveaux enjeux sur la protection des investisse­urs. Je travailler­ai à promouvoir l'innovation », a-t-il esquissé lors de son audition devant le Sénat américain.

DIX-HUIT ANS CHEZ GOLDMAN SACHS

Cet ancien banquier a pourtant reçu une formation financière des plus classiques. Il a passé dixhuit ans chez Goldman Sachs, où il a appliqué d'une main de fer la réforme Dodd-Frank de Wall Street pour limiter les opérations spéculativ­es sur les matières premières et produits dérivés.

Gary Gensler avait aussi réformé les règles des "swaps", des échanges s'appliquant à différente­s catégories d'actifs et mis à l'amende plusieurs grandes banques notamment dans l'affaire de manipulati­on du taux du Libor.

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